La Franc-maçonnerie en Afrique noire, un si long chemin vers la liberté, l'égalité, la fraternité de Joseph Badila : Chiche ?
30/08/2005
La Franc-maçonnerie est-elle bien placée pour sortir l'Afrique de ses turbulences politiques et économiques ? Rien n'est moins sûr, même si le continent compte parmi ses chefs d'Etats et de gouvernements de nombreux "Maîtres" et "Vénérables". Dans son ouvrage, le Congolais Joseph Badila, Franc-maçon lui-même, fustige la "trahison de la franc-maçonnerie par les siens".
L’auteur n'est pas seulement Franc-maçon. Membre fondateur du Golac [Grand Orient et loges associées du Congo], il est surtout Grand commandeur du Suprême conseil du Congo. Qui donc est mieux placé que lui pour nous raconter la grande et la petite histoire de la franc-maçonnerie en Afrique noire? Seulement, on ne peut évoquer la franc-maçonnerie sans parler de l'histoire et de la vie politique. Comme on le sait l'Afrique francophone compte de nombreux leaders politiques francs-maçons. Inutile cependant de courir derrière une quelconque révélation. Il n'y a en a pas. Cela aurait pu être le livre d'un citoyen ordinaire plus ou moins informé. De plus l'abondance de citations et de références bibliographiques lui donne l'aspect d'un bon compromis entre l'essai et le devoir de composition française. S'agissant d'un récit autobiographique, on était en droit d'en attendre plus. Le vrai scoop dans ce livre c'est l'admiration que le Congolais Joseph Badila nourrit pour Pierre Savorgnan de Brazza, un explorateur français d’origine italienne qui a "baptisé" la capitale congolaise. Il y a aussi le père Augouard, élevé par l’auteur au rang de "pacificateur et patriote".
Normal, pourrait-on dire, puisque Joseph Badila estime que "Le colonisateur a conclu avec [les Africains] un pacte fondamental…sur la base des intérêts communs…" Une vraie révélation !
Certainement par souci d’équilibre, l'auteur revient aussi sur la vie de certains prophètes africains qui ont donné leurs vies pour la liberté des leurs. De Simon Kimbangu, il écrit : "Après quelques mois seulement de prédications, le rayonnement de cet homme dépassa les frontières du Congo ex-belge. Les vieux souvenirs de mon enfance me rappellent que, à l'occasion de mes vacances au village, situé à la frontière séparant les deux Congo, des villages entiers se dépeuplaient : hommes, femmes et enfants prenaient le chemin de N'kamba [village natal de Kimbagu] à travers monts et vallées, pour des processions. Plusieurs années après sa mort, ses adeptes vénèrent toujours l'homme qui a laissé ses marques ici-bas."
On comprend mieux la place et le rôle des religieux dans la vie politique du Congo B. Ainsi les "Matsouanistes" [secte politico-religieuse d'André Grenard Matsoua, mort en exil en 1942] ont été "les premiers à organiser une forme de désobéissance civique au Congo pré et post-colonial : le refus du recensement, de la demande de carte d'identité et de l'acquittement de l'impôt […] Ils tenaient pour vrai que Matsoua allait un jour être du voyage avec le général de Gaulle lors d'un de ses nombreux déplacements au Congo !"
Le livre s'attarde également sur les médiations initiées par la Franc-maçonnerie pour réconcilier les frères ennemis congolais. Mais pour Joseph Badila, si ces initiatives ont échoué les unes après les autres, c'est parce que la Franc-maçonnerie "a été trahie par les siens". Laissons-lui la parole : "Il faisait même bon d'être franc-maçon, pour certains, d'être maçons s'estimant plus proche de tel ou tel chef politique. Entre temps, aucun travail individuel d'assainissement interne n'aura été accompli. [ … ] Dans la rue, d'autres maçons pavoisent, révélant la participation de 5 ou 10 maçons au gouvernement. Et la rue emboîte le pas, à tort ou à raison de la "maçonnerie du ventre". […] C'est un tournant de la maçonnerie que nous remarquons dans les relations fraternelles au grand dam de la qualité maçonnique." Ah bon ? La vérité, c'est qu'il n'existe pas de Franc-maçonnerie mais de nombreuses obédiences qui se font un peu, beaucoup, ou à la folie, la guerre. Samuel Badinga en fera l'amère expérience. Pour avoir participé à la cérémonie d'affiliation du "frère" Pascal Lissouba à la loge Union et Concorde, "Il écopera d'une sanction doublée d'une radiation de la Grande Loge du Sénégal ! […] Décidément, même la franc-maçonnerie ne parviendra pas à créer l'exception." Cela n'empêche pas Joseph Badila d’enfiler ses gants et son tablier pour saluer l'ingérence de la Franc-maçonnerie dans les affaires publiques. "Nous étions à un tournant. La Franc-maçonnerie considérée comme récente [en Afrique] s'ingéra pour une fois dans les affaires d'un pays. Pas n'importe quel pays. Un pays ayant à sa tête un Francmaçon !" Pour quel résultat ? Puisque deux francs-maçons, chefs miliciens patentés ont causé la mort de plusieurs milliers de leurs compatriotes dans une terrible guerre où il n’aura manqué que l’arme atomique. Une œuvre digne des ténèbres réalisée par d’illustres "frères de lumière".
* La Franc-maçonnerie en Afrique noire, un si long chemin vers la liberté, l'égalité, la fraternité, Joseph Badila, Editions Detrad, 326 p.
Source : Le Gri-Gri no.21 - 28 octobre 2004
Gnimdéwa Atakpama
Mar 6 Sep - 12:33 par MBOA