Martinique : grève générale sur fond de tension raciale Par François Krug | Eco89 | 07/02/2009 | 19H50
Après la Guadeloupe,
la Martinique entre en grève contre la vie chère. Visés: les "békés",
les descendants des colons blancs, accusés d'accaparer les richesses et
de fixer les prix. Un reportage de Canal+ sur leur pouvoir a ravivé les
tensions.
En Martinique, la grève a démarré jeudi, à l'appel d'un "collectif
du 5 février" réunissant syndicats et associations. Le mouvement
sera-t-il aussi suivi qu'en Guadeloupe? Là-bas, il dure depuis le 20
janvier. Les négociations, menées par le secrétaire d'Etat à
l'Outre-Mer, Yves Jégo, se poursuivent ce week-end.
Malaise social, mais aussi racial: un reportage de Canal+ sur "les derniers maîtres de la Martinique" a fait monter la tension. Il a été diffusé le 30 janvier en métropole et ce vendredi à la Martinique, et circule déjà sur le web.
"On a voulu préserver la race"Le reportage s'intéresse notamment à Alain Huyghues-Despointes, 82 ans, qui domine l'industrie agro-alimentaire locale.
Pour cet industriel "béké", "les historiens ont exagéré les problèmes"
de l'esclavage. Plus de quatre siècles après l'arrivée des colons
blancs, il tient à ce que chacun reste à sa place:
"Dans les familles métissées, les enfants sont de
couleurs différentes, il n’y a pas d’harmonie. Moi, je ne trouve pas ça
bien. Nous, on a voulu préserver la race."
Ces déclarations ont eu peu d'écho en métropole, mais elles ont choqué la Martinique. Dans le quotidien France Antilles, le "béké" Roger de Jaham les juge "malheureuses et inacceptables":
"Aujourd'hui nos familles békés sont complètement
ouvertes aux autres communautés. On n'est plus au XIXe siècle. C'est
vrai que mon arrière-arrière grand-père était esclavagiste. C'est une
certitude. Je ne peux pas influer sur mon passé. Je ne peux influer que
sur mon aujourd'hui et mon demain."
Pour Chamoiseau, une "animosité diffuse" à ne pas sous-estimerCette ouverture "aux autres communautés", l'écrivain Patrick Chamoiseau en doute. Il est lui aussi interrogé par France Antilles:
"Leur système raciste est intégré à notre imaginaire
comme une fatalité, un ordre des choses, que nous ne voyons presque
plus, et que des visions extérieures comme celles-là (le reportage de Canal+, ndlr)
nous rappellent délicieusement. Mais cette 'fatalité' n'annule pas
l'animosité diffuse qu'on aurait tort de sous-estimer. Disons que, dans
la mesure où nous ne nous sommes pas encore débarrassés de nos
structures archaïques profondes, ils trouvent encore un restant
d'oxygène."
Installé depuis quinze ans en Martinique, notre riverain François-Xavier Martel nous a écrit pour partager son "choc":
"Je pensais que la plupart des békés avaient fait du
chemin sur la voie de la tolérance et de l'acceptation des
différences... quel choc! Certes, la jeune génération des békés dans sa
grande majorité rejette ce point de vue, mais je ne comprends pas dans
le contexte actuel comment un grand patron martiniquais peut se
permettre de dire de telles insanités! C'est rajouter de l'huile sur le
feu dans un contexte social difficile."
Les "békés" contrôlent-ils l'économie?Le "contexte social difficile", ce sont notamment ces écarts de prix ahurissants
entre la métropole et la Martinique: +112% pour les produits
alimentaires de marque par exemple, et même +43% dans le "hard
discount".
La faute aux "békés"? Le reportage de Canal+ ne l'affirme pas
directement, mais souligne qu'avec 1% de la population, ils contrôlent
90% de l'industrie agro-alimentaire, la moitié des terres et 40% de la
grande distribution.
Les hommes d'affaires interrogés par France Antilles contestent ces chiffres. Roger de Jaham estime que les "békés" ne contrôlent que 20% de l'économie, "et c'est tant mieux":
"La communauté béké reflète la société martiniquaise. Il
y a des békés smicards. Il y a des békés au chômage... Les békés ne
sont pas tous chefs d'entreprise agricole sous leur véranda. C'est fini
ça."
Eric de Lucy, directeur général du groupe Bernard Hayot
et président de l'Union des producteurs de banane, évoque de son côté
une part de 10% dans l'économie. Il est justement un des principaux
personnages du reportage de Canal+, qui révèle son talent de lobbyiste
à Bruxelles, au siège de la Commission européenne, et à Paris, du
ministère de l'Agriculture à l'Elysée.
L'Elysée? Son silence est aussi une des sources de la tension. Jeudi, pendant son interview, Nicolas Sarkozy n'a pas eu un mot pour la Guadeloupe, bloquée depuis deux semaines. Et encore moins pour la Martinique.
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► Sarkozy est-il indifférent aux grèves en Guadeloupe et en Martinique ?
Ailleurs sur le Web► La grève générale en Martinique en images, sur le site de France Antilles
► Enquête sur la vie chère en Martinique, sur le site de France Antilles
Mar 17 Fév - 10:28 par mihou