Les Echos, no. 19750
Dernière, mercredi 13 septembre 2006, p. 20
En marge
La Commission européenne face à la fuite des cerveaux
KARL DE MEYER
Une demande de congé sabbatique est en train de faire beaucoup de bruit à Bruxelles. Un des fonctionnaires de la prestigieuse Direction de la concurrence de la Commission européenne, qui devait, à partir de cet automne, diriger son unité, en charge du dossier Microsoft, a sollicité un « congé pour convenance personnelle » pour rejoindre le cabinet de conseil LECG, qui compte parmi ses clients... la firme américaine. Coup dur pour la Commission, qui, depuis deux ans et demi, est engagée dans une guérilla judiciaire sans précédent avec le géant de l'informatique, qu'elle a condamné, en 2004, pour abus de position dominante. Beaucoup se soucient du conflit d'intérêts potentiel. Mais ce n'est apparemment pas le problème le plus préoccupant : les statuts des fonctionnaires stipulent qu'ils doivent, en pareil cas, cesser tout contact avec leurs anciens collègues et ne pas travailler pour des sociétés sur lesquelles ils ont enquêté à la Commission. Le cabinet LECG soutient en outre qu'il est avant tout intéressé par l'expérience du fonctionnaire français en matière de fusions-acquisitions.
La question de fond que pose cette affaire est plus profonde : c'est celle d'une éventuelle fuite des cerveaux de la Commission. La dernière réforme administrative prévoit, dans certains cas, des conditions d'entrée moins avantageuses. Certains agents temporaires se voient proposer, lors du renouvellement de leur contrat, des salaires moins élevés. Les Etats membres de l'UE veulent en outre réduire les effectifs, via une réorganisation des services et la mise en oeuvre de nouvelles synergies. On dit que la présidence finlandaise de l'UE viserait la suppression de quelque 1.500 postes, soit environ 7 % de l'effectif total. Dans ces conditions, affirment certains fonctionnaires, il va être de plus en plus difficile d'attirer les talents, et, surtout de les retenir, alors que la Commission est en compétition avec les plus grands cabinets d'avocats et les grandes institutions internationales pour recruter des experts polyglottes, aptes au travail dans un environnement multiculturel.
Officiellement, la Commission affiche la sérénité. « Dans la situation actuelle, on ne peut pas parler de fuite des cerveaux », affirme son porte-parole, qui évoque une « concurrence saine et inévitable » pour recruter les meilleurs. Il souligne toutefois qu'une réduction des effectifs paraît contradictoire avec l'élargissement de l'UE et l'extension des missions confiées à la Commission.
KARL DE MEYER (À BRUXELLES).