http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3220,36-669495@51-669395,0.html
L'Afrique voit partir, chaque année, selon les estimations de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), quelque 23 000 professeurs et chercheurs. Une perte colossale qui touche, en particulier, le secteur de la santé. L'exemple de la Zambie, analysé dans un rapport de l'OIM, rendu public mardi 5 juillet à Genève, résume le désastre : sur plus de 600 médecins, formés par ce pays d'Afrique australe depuis son indépendance en 1964, seuls 50 se trouvent encore aujourd'hui sur le sol national. Tous les autres sont partis, vers l'Europe et les Etats-Unis de préférence.
Pour les pays d'accueil, le bénéfice est double : ils font des économies à la fois sur la formation et sur les salaires. C'est ce qui s'est passé pour Tassadit B., quand elle est arrivée à Paris, en 1994. Cette médecin psychiatre, qui a fait ses études de médecine à Alger (et de psychiatrie à Paris) avait exercé en Algérie pendant dix ans. Elle a pourtant, une fois en France, "attendu cinq ans pour avoir le droit de passer les équivalences en médecine" , et quelques années de plus pour passer le concours de praticien hospitalier, soit "dix ans au total pour avoir les mêmes droits qu'un médecin français" , souligne-t-elle. Durant ces dix années, elle a fait comme tous ses collègues venus d'Afrique : gardes de nuit et vacations au rabais.
"Sur les 24 000 médecins dotés d'un diplôme extra-communautaire présents en France, seulement 8 000 travaillent comme médecins. Les autres prennent ce qu'on leur donne y compris des postes d'infirmiers" , s'indigne le docteur franco-sénégalais, Elisabeth Sow Dione, médecin associé à l'hôpital de Saint-Germain-en-Laye et présidente de l'association des médecins français qui ont des diplômes extra-communautaires. Cette association, créée en 2003, milite, en partenariat avec le syndicat national des médecins extra-communautaires contre la non-reconnaissance des diplômes obtenus hors de France. " Théoriquement, tant qu'on n'est pas inscrit à l'Ordre des médecins ce qui est notre cas , on n'a pas le droit d'exercer. C'est pourtant ce qui se arrive : allez dans n'importe quel hôpital, à partir de juillet, il n'y a plus un seul Dupont-Durand parmi les médecins de garde !" , ironise le docteur Sow Dione. "Nous sommes l'élite de nos pays et on nous traite comme des clochards ! s'irrite le docteur Sow Dione. Si ça continue, bien que francophones et francophiles, tous vont aller au Canada et en Grande-Bretagne, les conditions sont bien meilleures ".
"LES HÔPITAUX SE SONT VIDÉS"
Pas question, en tout cas, de retourner au Sénégal, même si elle "culpabilise" . Tassadit B., elle aussi, avoue que "ça -lui- tord le coeur" de ne plus travailler en Algérie. "En quelques années, les hôpitaux se sont vidés , remarque la psychiatre. Les médecins restés sur place ont ouvert des cliniques ou des cabinets privés qui sont devenus des pompes à fric : la moindre opération coûte au minimum entre 500 et 1 500 euros... Dans le même temps, les hôpitaux ont perdu leurs médecins, leur réputation, encore bonne jusqu'au début des années 1990, et, en prime, la confiance des patients. Réduction des budgets aidant, les hôpitaux ne recrutent plus, sauf dans certaines spécialités. Il y a aujourd'hui en Algérie des médecins généralistes au chômage : un comble dans un pays riche, assis sur sa rente pétrolière !"
Selon les prévisions de l'ONU, d'ici à 2020, les Etats-Unis devraient avoir un déficit d'environ 800 000 infirmiers. Ce qui ne présage rien de bon pour les pays africains. L'Afrique du Sud a d'ailleurs demandé au Canada d'arrêter de recruter son personnel médical chez elle. D'après les statistiques onusiennes, dans la province canadienne du Saskatchewan, plus de 50 % des médecins ont été formés à l'étranger et au moins un cinquième ont obtenu leur premier diplôme de médecine en Afrique du Sud.
Catherine Simon
Article paru dans l'édition du 06.07.05