Libération balance l’ingérence de Sarkozy dans les médias
jeudi 29 juin 2006
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Le locataire de la place Beauvau a pris l’habitude d’intervenir dans le travail des journalistes.
Sarkozy, la main dans l’info
(source : www.liberation.fr)
par Olivier COSTEMALLE et Raphaël GARRIGOS et Catherine MALLAVAL et Isabelle ROBERTS
QUOTIDIEN : mardi 27 juin 2006
Dans quel pays le ministre de l’Intérieur peut-il exiger - et obtenir - la tête du directeur d’un grand hebdo sous prétexte qu’il a publié des photos qui déplaisent ? La Corée du Nord ? Le Turkménistan ? Cuba ? Pas besoin de chercher si loin : l’histoire se passe en France, où Nicolas Sarkozy, ulcéré par la publication, à la une de Paris Match, d’un cliché de son épouse en compagnie du publicitaire pour lequel elle l’avait quitté, a fait chuter Alain Genestar, le patron du magazine.
Et s’il n’y avait que Match ! Car le ministre de l’Intérieur entretient avec de nombreux médias des relations intimes, voire incestueuses. On ne compte plus ses interventions, discrètes ou directes, sur les rédactions. Il va même parfois jusqu’à s’en vanter. Dossier à charge.
Télévision
JT sous influence
Selon nos informations, Nicolas Sarkozy n’est pour rien dans le prochain passage Des Chiffres et des lettres de France 2 à France 3. Pour tout le reste, en revanche... Sarkozy et la télé, c’est un véritable roman d’amitié : coups de fils, conseils, pressions de la part du président de l’UMP mais aussi autocensure de la part des chaînes pour ne surtout pas lui déplaire.
Exemple en novembre 2005, lors de la crise des banlieues. Figurez-vous que nos chères télés, si promptes d’habitude à faire feu de toute insécurité et tsunami de toute eau, se sont soudainement montrées d’une prudence de Sioux. Très vite, France 3 ne donne plus le nombre de voitures brûlées, France 2 ne montre pas les pourtant télégéniques incendies d’autos et TF1 fait dans le positif à coups de reportages sur les initiatives en banlieue. Un oukase de Sarkozy ? Même pas. Il a simplement suffi que des élus tel le député UMP Jacques Myard fassent publiquement les gros yeux en accusant les médias d’être « instrumentalisés par les casseurs ». Et Sarkozy là-dedans ? Oh, trois fois rien, il s’est juste contenté d’appeler personnellement Robert Namias et Arlette Chabot, patrons de l’info de TF1 et France 2, pour les remercier de leur prudence.
Sont-elles sourcilleuses, ces chaînes, et soucieuses d’équité... Le 6 novembre, 7 à 8 (TF1) saisit en caméra cachée une provocation policière envers des jeunes. Savon de Namias. Le dimanche suivant, 7 à 8 contrebalance avec les interviews de maires de banlieues chaudes... Le 8 novembre, dans "Nous ne sommes pas des anges (Canal +)", la représentante d’une association souligne la responsabilité de Sarkozy dans les émeutes en banlieues et fait le parallèle entre le couvre-feu de Villepin et celui de Papon en octobre 1961. Emoi à la direction de Canal +, qui exige « un autre point de vue ». Ce sera, deux jours plus tard, celui d’un maire UMP... Officiellement, Nicolas Sarkozy n’est pas intervenu. Juste, il a fait demander la cassette au service de presse... Le 10 novembre, France 2 diffuse dans son JT les images du tabassage de jeunes par des flics. Ceux-ci sont suspendus. Arlette Chabot décide d’ôter le reportage du site web de France 2 : « Nous ne voulions pas tomber dans la surenchère [...] au risque d’envenimer les choses à la veille d’un week-end à risque ». Le ministre de l’Intérieur peut dormir sur ses deux oreilles, Chabot veille.
Et puis Sarkozy passe à la télé. Il faut alors mettre les petits plats dans les grands. Quand il est invité du Grand Journal de Canal + de Michel Denisot début mars 2006, il accepte, mais à condition de figurer aux côtés de Denisot en Une de TV Mag, le supplément télé de la Socpresse (le groupe de presse de Dassault) distribué avec 42 quotidiens nationaux et régionaux et diffusé à près de cinq millions d’exemplaires. Commentaire d’un cadre de Canal : « Sarkozy n’en a rien à faire du Grand Journal, ce qui l’intéresse, c’est d’être sur la table du salon de 5 millions de personnes. » Ce n’est pas la première fois que Sarkozy prend ses aises avec la chaîne cryptée : quand en juin 2005, dans le plus grand secret, Canal + décide de mettre fin au contrat de Karl Zéro, celui-ci fait donner ses amis qui tenteront de faire plier Bertrand Méheut, PDG du groupe. Au premier rang des pro-Zéro :
Sarkozy, qui appelle en personne.
Enfin, il y a Sarkozy le faiseur de stars. Le 7 mars, la veille d’un délicat voyage du ministre aux Antilles, TF1 annonce que le joker de PPDA sera désormais le journaliste noir et antillais Harry Roselmack. Un bien beau hasard n’arrivant jamais seul, Sarkozy était déjà au courant. Le 17 février, recevant place Beauvau le club Averroès, qui défend l’image des minorités dans les médias, le ministre de l’Intérieur et ami intime de Martin Bouygues, PDG de la maison mère de TF1, avait en effet annoncé la nouvelle : il y aura, cet été, un Noir au 20 heures. Mieux, selon certains témoins de la rencontre, Sarkozy aurait raconté avoir lui-même soufflé l’idée à Bouygues...
Radio
Conseil en recrutement
Le ministre de l’Intérieur garde aussi un oeil sur le recrutement des journalistes politiques. En février, le Canard enchaîné révèle que Jean-Pierre Elkabbach, directeur d’Europe 1 (filiale de Lagardère, tout comme Paris Match), a pris conseil auprès de Nicolas Sarkozy sur le choix d’un journaliste politique. « C’est normal, fanfaronne Sarkozy. J’ai été ministre de la Communication. » Et il ajoute : « Je les connais, les journalistes. » Elkabbach revendique sa « méthode » de recrutement, qui consiste, dit-il, à prendre l’avis des politiques, mais aussi de syndicalistes ou d’associations : « Je fais cela pour tous les services parce que je veux avoir les meilleurs... Je ne peux pas interdire aux politiques de me donner leur avis. Mais ensuite je décide à 100 % moi-même ».
Presse, édition
Convocation
Pauvre Valérie Domain. Cette journaliste de Gala croyait pouvoir publier tranquillement une bio autorisée de Cécilia Sarkozy. Elle l’avait même rencontrée à plusieurs reprises. Mais le livre ne verra pas le jour, du moins sous sa forme initiale. Fin 2005, l’éditeur est convoqué place Beauvau par le ministre de l’Intérieur en personne. Menace de procès, intimidation : il comprend le message et remballe son ouvrage. Lequel sera transformé à la va-vite en roman à clé. Chez Prisma, propriétaire de Gala, on anticipe les soucis à venir en demandant désormais aux journalistes maison de soumettre leurs projets de livre à la direction.
Mais Nicolas Sarkozy ne peut pas convoquer au ministère tous les journalistes. Un homme de l’ombre, dans son cabinet, se charge de faire passer les messages non officiels aux rédactions. Pierre Charon a ainsi fait savoir à quelques journalistes que le fils cadet de François Hollande et Ségolène Royal avait été interpellé, en mai dernier, après une soirée arrosée. C’est lui aussi qui a agité la menace d’un procès dans les rédactions susceptibles de révéler l’identité de la journaliste du Figaro qui partageait la vie de Nicolas Sarkozy après sa rupture avec son épouse.
Mais c’est sans doute avec Paris Match que les interventions ont été les plus directes et les plus pressantes. Outre l’affaire de la Une de Cécilia, il y a eu le cas Noah. Dans un entretien à l’hebdomadaire, en décembre dernier, le chanteur-tennisman déclare : « Une chose est sûre : si jamais Sarkozy passe, je me casse ! » Bizarre : le 15 décembre, lorsque l’hebdo arrive en kiosque avec la longue interview - titrée « Mes quatre vérités à la France » - dans laquelle Noah évoque notamment la crise des banlieues, la petite phrase a tout simplement disparu, comme le révèle le Canard. Sur ordre de Sarkozy ? Ou bien l’hebdo a-t-il décidé de s’autocensurer et de s’éviter, cette fois, les foudres du ministre de l’Intérieur et de son ami Arnaud Lagardère, propriétaire de Match ? A chacun sa version.
source : http://www.liberation.fr/page.php?A...
Ce texte est repris avec Sarkozy en Hitler sur fond de svatika américanisée sur http://dieudo.net/2007/article.php3...
NDLR : Serge July quitte Libération aujourd’hui.