Huit mois avant l’élection présidentielle en france
M. Sarkozy déjà couronné par les oligarques des médias ? Adossés à des sondages dont la fiabilité est pourtant nulle plusieurs
mois avant l’échéance, les principaux médias français présentent comme
jouée l’élection présidentielle du printemps prochain : son second tour
opposerait donc M. Nicolas Sarkozy à Mme Ségolène Royal. Si tous deux
tirent un même profit de la personnalisation inouïe des enjeux,
M. Sarkozy dispose d’un atout spécial. Jamais dirigeant politique
n’avait bénéficié autant que lui de l’appui des patrons de presse.
Par Marie Bénilde La
courte défaite électorale de M. Silvio Berlusconi, en avril 2006, a
porté un coup au système clanique italien, bien déterminé à contrôler
l’opinion grâce à un mélange de marketing politique, d’intérêts croisés
avec la presse et l’édition, et de mainmise directe ou indirecte sur le
paysage audiovisuel. Certes, un an plus tôt, en France, le référendum
sur la Constitution européenne établissait qu’il ne suffisait pas de
disposer de la quasi-totalité de l’espace médiatique pour convaincre
une majorité de citoyens. Toutefois, la perspective de l’élection
présidentielle, au printemps 2007, va permettre d’apprécier si un
laborieux travail de domestication des médias ne finit pas, malgré
tout, par se révéler payant. N’est-ce pas ainsi que certains ont
interprété la réélection à la tête de l’Etat de M. Jacques Chirac en
2002, sur fond de campagne de presse matraquant le thème de
l’insécurité ?
Tout est en place, en tout cas, pour favoriser l’intronisation de
M. Nicolas Sarkozy à l’Elysée. Chef du principal parti de droite,
l’Union pour un mouvement populaire (UMP), ministre de l’intérieur et
président du conseil général du département le plus riche de France,
les Hauts-de-Seine, l’homme s’est employé à construire depuis vingt ans
un étonnant réseau d’influence dans les médias. Au service de ses
ambitions suprêmes. Ce réseau a une nouvelle fois donné sa mesure
pendant l’été 2006. Le nouveau livre de M. Sarkozy,
Témoignage (Xo, Paris), paru en juillet, fut aussitôt salué par une couverture souriante du
Point (la
troisième en quatre mois) et, entre autres exemples, par un entretien
d’une complaisance presque burlesque avec Jean-Pierre Elkabbach sur
Europe 1. Pour l’intervieweur et patron de la radio privée appartenant
au groupe Lagardère – qui comprend aussi
Paris Match,
Le Journal du dimanche,
Elle... –,
M. Sarkozy a cette qualité remarquable qu’il refuse la « docilité ».
Une vertu qu’on sait très prisée par M. Arnaud Lagardère, dont
Jean-Pierre Elkabbach est aussi le conseiller : en juin 2006,
l’éviction d’Alain Genestar, directeur de
Paris Match, coupable
d’avoir publié en couverture une photo de l’épouse du président de
l’UMP avec son compagnon de l’époque, démontra les limites de
l’indocilité permise aux médias du groupe en question. Un patron de
presse limogé pour complaire à un ministre et chef de parti ? Cela
faisait longtemps qu’on n’avait pas connu pareille marque d’allégeance
journalistique au pouvoir politique...
Il y a là le résultat d’un long et patient travail entrepris par le
candidat de l’UMP pour se rapprocher des grands patrons propriétaires
de médias. M. Sarkozy possède un épais carnet d’adresses d’amis
influents dans la presse et l’audiovisuel. On y remarque d’abord les
familiers, comme M. Martin Bouygues, actionnaire de TF1 et parrain de
son fils, ou M. Bernard Arnault (
La Tribune,
Investir,
Radio Classique), dont la fille Delphine se maria en présence de
M. Sarkozy. Habitant Neuilly, MM. Bouygues et Arnault furent tous deux
témoins aux épousailles du maire de la ville.
Des compagnons de route... cyclableCes relations professionnelles ont affermi les amitiés. Ainsi,
M. Lagardère doit à M. Sarkozy le règlement, en 2004, du conflit
d’héritage qui l’opposait à sa belle-mère Betty, lorsque l’homme
politique et ancien avocat d’affaires avait, en tant que ministre de
l’économie, des finances et de l’industrie, la haute main sur
l’administration fiscale.
« On signe ton truc fiscal et on passe à autre chose », aurait dit le ministre, sitôt nommé à Bercy (1).
Décédé en 2003, Jean-Luc Lagardère avait lui aussi eu l’occasion
d’apprécier, lors de la faillite de La Cinq en 1992, les conseils de
l’associé du cabinet Claude-Sarkozy.
En avril 2005, le président de l’UMP fut l’invité d’honneur d’un
séminaire du groupe Lagardère à Deauville. L’héritier Arnaud le
présenta
« non pas comme un ami, mais comme un frère ». Un mois
plus tard, le patron du principal groupe de presse et d’édition
français affichait son amitié en participant à un meeting de M. Sarkozy
(animé par le journaliste Michel Field) en faveur du « oui » à la
Constitution européenne. M. Lagardère dévoila ce soir-là la nature de
son engagement :
« Quand il y a un but à marquer, je préfère être dans l’équipe que dans les vestiaires (2)
. »Stéphane Courbit, président d’Endemol France, producteur des émissions
de Marc-Olivier Fogiel et de Karl Zéro, assistait également à cette
réunion électorale.
De son côté, M. Serge Dassault
(Le Figaro,
Valeurs actuelles) se souvient que l’actuel ministre de l’intérieur a « démêlé » la succession de son père Marcel (3).
Et il n’ignore pas que M. Sarkozy est devenu un familier de son fils
aîné Olivier, par ailleurs député UMP. Parfois, les rôles
s’entrecroisent : proches de la famille, MM. Bouygues et Arnault
comptèrent aussi au nombre des clients du cabinet d’avocats. Enfin,
avec un homme politique amateur de vélo, on ne saurait oublier les
compagnons de route... cyclable. MM. Bouygues et Arnault sont à nouveau
du nombre, tout comme M. Jean-Claude Decaux, leader mondial de
l’affichage urbain, et M. François Pinault, propriétaire du
Point. Sans oublier Michel Drucker, animateur populaire de France 2.
La construction d’un tel réseau n’est nullement le fruit du hasard.
En 1983, lorsqu’il conquiert, à 28 ans, la mairie de Neuilly,
M. Sarkozy s’attelle très vite à bâtir un cercle de relations
susceptibles de favoriser son ascension politique. Sa ville, une des
plus prospères de France, compte deux mille quatre cents entreprises,
donc de nombreux patrons qui s’intéressent à lui en voisins ou en
simples administrés, à titre personnel ou professionnel. Dès 1985, le
maire crée le club Neuilly Communication, lequel compte parmi ses
membres M. Gérald de Roquemaurel, président-directeur général
d’Hachette Filipacchi Médias, M. Nicolas de Tavernost, président de M6,
ou encore M. Arnaud de Puyfontaine, patron de Mondadori France (ex-Emap
France, troisième éditeur de magazines). M. Sarkozy veille également à
s’entourer de publicitaires, comme MM. Thierry Saussez, président
d’Image et stratégie, Philippe Gaumont (FCB), puis Jean-Michel Goudard
(le « G » d’Euro RSCG). Il fréquente enfin les grands annonceurs
Philippe Charriez (Procter & Gamble) et Lindsay Owen-Jones
(L’Oréal).
En juillet 1994, l’actuel président de l’UMP devient simultanément
ministre de la communication et ministre du budget du gouvernement de
M. Edouard Balladur, ce qui lui permit d’être à la fois le décideur
politique et le pourvoyeur de fonds publics des grands groupes de
médias... Mais c’est surtout sa position de porte-parole du
gouvernement, puis du candidat Balladur, entre 1993 et 1995, qui
l’amène à rencontrer les hommes d’influence que sont Alain Minc –
lequel le conseillera dix ans plus tard à l’occasion du référendum
européen – et Jean-Marie Colombani, en train de consolider leur pouvoir
au
Monde. M. Sarkozy s’emploie à orchestrer l’engouement
médiatique en faveur de M. Balladur, dont M. Minc est un des partisans
déclarés, et à présenter son élection comme acquise. Il bénéficie à
cette fin de l’appui du sondeur Jérôme Jaffré, alors directeur général
de la Sofres. Le 22 mars 1995,
Le Monde titre en « une » : « et
Mme Chirac ont tiré profit d’une vente de terrains au Port de Paris ».
L’information émane de la direction du budget chapeautée par...
M. Sarkozy.
TF1 est également de la partie (4).
Une de ses présentatrices, Claire Chazal, signe une hagiographie de
M. Balladur tandis que M. Bouygues ouvre les portes de sa chaîne à
celui qui passe déjà pour un vice-premier ministre.
« Pour Martin [Bouygues], explique un observateur,
Sarkozy
est une espèce de maître à penser. Pour Sarkozy, Martin est une force.
Leur duo est une association, une PME. Ce qui explique en partie
pourquoi, pendant la campagne de 1995, TF1 est devenue “télé Balladur”.
Bouygues ne rendait pas service à Balladur, mais à l’un des lieutenants (5)
. »C’est l’époque où l’ambitieux ministre est surnommé « Darty » en raison
de sa propension à être omniprésent avant et après la météo... Alors
directeur de l’information de France 2, Jean-Luc Mano suit le
mouvement ; il participera plus tard à la conception de la campagne
menée par M. Sarkozy pour les élections européennes de 1999. L’échec
sera cuisant (6).
Déjà en 1995, M. Sarkozy a choisi le mauvais camp. Qu’importe, il
profite de son ascension-éclair pour imposer son style et son image. En
mai 1993, une spectaculaire prise d’otages dans une maternelle de
Neuilly le fait connaître des téléspectateurs.
« Il était toujours devant les caméras, sans parler, rappelle Jean-Pierre About, rédacteur en chef au service enquête de TF1.
Mais le lendemain, lorsque HB [Human Bomb, nom donné au preneur d’otages]
a
pris une balle, il avait disparu du dispositif. Un coup de maître,
puisqu’il n’est pas lié à la polémique sur l’opportunité de tuer le
ravisseur qui a suivi (7)
. »Cette technique dite du « mouvement permanent », qui consiste à se
saisir de l’actualité immédiate pour apparaître à son avantage dans les
médias, puis à foncer sur un autre événement, constitue la marque de
fabrique de M. Sarkozy.
Sam 21 Avr - 12:28 par mihou