Le Devoir
LES ACTUALITÉS, vendredi 30 décembre 2005, p. a1

Quand festoyer est bon pour la santé

Gravel, Pauline

Même si l'envie de festoyer l'emportera sur la raison, voyons si les
victuailles qui garnissent nos tables en cette période des Fêtes sont
bénéfiques pour notre santé ou simplement bonnes à ravir nos papilles
gustatives.

Pour trinquer et s'égayer tout en tirant des bienfaits pour
l'organisme, il faudra privilégier les vins rouges, prévient Richard
Béliveau, titulaire de la Chaire en prévention et traitement du cancer
de l'UQAM et directeur du laboratoire de médecine moléculaire au
Centre de cancérologie Charles-Bruneau de l'hôpital Sainte-Justine.
Tous les vins blancs, y compris le champagne et le sauternes, sont
très pauvres, voire complètement dépourvus de polyphénols, de
proanthocyanidines, de flavanols, de resvératrol, autant de composés
qui sont reconnus pour aider à prévenir un grand nombre de
pathologies, dont le cancer et les maladies cardiovasculaires, et ce,
principalement grâce à leur activité antioxydante. Ces antioxydants
préviennent la production d'un excès de radicaux libres, des molécules
extrêmement réactives qui attaquent les membranes des cellules et
l'ADN situé au creux de leur noyau.

Le resvératrol par exemple est dix fois plus abondant dans les vins
rouges que dans les vins blancs. On compte aussi de 20 à 30 fois plus
de proanthocyanidines dans les vins rouges que dans les vins blancs.
Et on a mesuré jusqu'à 100 mg de flavanols par litre de vin rouge
alors que ces composés antioxydants sont complètement absents des vins
blancs.

«La plupart des composés issus des fruits et légumes ayant une
activité biologique sur la santé humaine se retrouvent dans la peau,
car celle-ci est la première ligne de défense de la plante», souligne
Richard Béliveau qui a connu récemment la célébrité auprès du grand
public avec sa publication intitulée Les Aliments contre le cancer.
«Les cellules végétales se défendent en fabriquant des insecticides,
des fongicides, des bactéricides qu'elles concentrent dans leur peau,
qui est la première à subir les attaques de l'extérieur. Or, ces mêmes
composés s'avèrent posséder des propriétés anticancéreuses, ou du
moins bénéfiques pour la santé humaine.»

Les vins rouges sont plus riches en ces composés antioxydants car, au
cours de leur préparation, le jus issu du pressurage des raisins
continue à macérer avec la pulpe et la peau des baies pendant
plusieurs jours, alors que les vins blancs s'obtiennent de la
fermentation du premier jus sorti des raisins uniquement.

Une bonne nouvelle pour ce temps des Fêtes est que l'abstinence ne
protège pas de la maladie, bien au contraire. Elle augmenterait le
risque de maladies cardiaques alors qu'une à deux consommations de
boissons alcoolisées - vins, bières ou spiritueux - contribueraient à
réduire l'incidence des maladies coronariennes. Au-delà de deux
consommations quotidiennes, le système cardiovasculaire en souffrira.

En guise d'amuse-gueule, il faudra troquer les petites timbales
ultrasalées contre les légumes aux couleurs foncées, qu'on
accompagnera d'une trempette préparée avec un yogourt contenant des
bifidobactéries et des lactobacilles acidophilus reconnus pour exercer
une activité bienfaisante, notamment dans l'intestin.

Le saumon fumé aussi sera apprécié pour son apport en oméga-3, ces
acides gras polyinsaturés qui sont salutaires pour le système
cardiovasculaire et que certains scientifiques croient dotés de vertus
préventives contre la maladie d'Alzheimer et la dépression.

Apaisante dinde!

L'incontournable dinde quant à elle ne fera pas qu'enchanter les
gourmets, elle les transportera dans un état de bien-être et de
relaxation prédisposant au sommeil en raison du tryptophane qu'elle
renferme. Le tryptophane est un précurseur de la sérotonine, un
neurotransmetteur qui intervient dans l'humeur et dont le
dysfonctionnement est associé à la dépression. Attention toutefois à
la peau trop rôtie du volatile qui, comme les viandes calcinées qui
ont été grillées au barbecue ou les frites trop brunes, peut contenir
des molécules d'acrylamide. Ce composé chimique cancérigène se forme
lorsque certains aliments sont cuits à de très hautes températures.
Pour éviter de consommer trop d'acrylamide, il faudra donc éviter les
beignes que nos grands-mères faisaient frire dans l'huile jusqu'à ce
que la pâte devienne bien brune. «De toute façon, toutes les fritures
ne sont pas très bonnes pour le système cardiovasculaire et n'aident
pas à prévenir le cancer, bien au contraire. Et il en est de même de
la peau de volaille rôtie, qui concentre la majorité des graisses
saturées [les plus délétères], explique le chercheur.

En matière de condiments, la compote de canneberges demeure le must,
car «la canneberge est l'une des meilleures sources d'antioxydants
parmi les fruits», rappelle Richard Béliveau, avant de souligner qu'il
est préférable de consommer la baie entière que sous forme de jus,
compte tenu du fait que «les molécules actives deviennent instables
lorsqu'elles sont extraites du fruit».

Les légumes d'accompagnement seront de préférence verts et membres de
la famille des choux ou des plantes à bulbe, qui sont reconnus pour
leur pouvoir anticancéreux. Nous ne serons pas déçus par le vaste
choix qui nous est offert, souligne le biochimiste. Les crucifères,
parmi lesquels figurent les choux vert et rouge, le chou de Bruxelles,
le chou-fleur ainsi que le brocoli, contiennent des molécules
anticancéreuses appelées glucosynolates.

L'oignon, l'ail, le poireau et l'échalote, qui appartiennent à la
famille des liliacées, regorgent aussi de molécules anticancéreuses
qui préviennent dans l'organisme la formation de molécules
cancérigènes dans certains aliments. Les nitrites, par exemple, qui
sont utilisés en tant qu'agents de conservation dans maintes
charcuteries, peuvent être convertis en sous-produits appelés
nitrosamines, lesquels sont liés à un risque accru de cancer et sont
employés pour induire le cancer chez les animaux de laboratoire.
«Certaines molécules de l'ail interfèrent avec la formation des
nitrosamines, explique M. Béliveau. Et c'est pour cette raison que
certains chercheurs prétendent que dans certaines régions du monde
comme le sud de la France, où on consomme beaucoup de charcuteries,
les cancers sont moins fréquents parce que l'ail et l'oignon abondent
dans le régime alimentaire.»

Et pour conclure un tel festin, «pourquoi ne pas remplacer le café par
un thé vert, riche en polyphénols et catéchines, qui sont dotés d'une
bonne activité antioxydante?», propose Richard Béliveau. Les liqueurs
digestives, qui sont constituées essentiellement d'alcool, pourront
aussi être remplacées par du porto, qui est avant tout un vin et, de
ce fait, contient des polyphénols.

«Festoyer pendant le temps des Fêtes n'est pas problématique; ça le
devient quand on le fait tous les jours», affirme le chercheur, qui ne
veut surtout pas être moralisateur en cette période de réjouissances.


Illustration(s) :

France-Presse, Agence
AFP
Trinquer à la nouvelle année, quel bonheur! Et, du strict point de vue
de la santé, il vaut mieux le faire au vin rouge qu'au champagne.


Catégorie : La Une; Actualités
Sujet(s) uniforme(s) : Cuisine et restaurants; Alimentation
Type(s) d'article : Article
Taille : Long, 821 mots

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Doc. : news·20051230·LE·98722