Pauvreté: un portrait montréalais
Repartir à zéro...
Gruda, Agnès
Dans son pays d'origine, la République démocratique du Congo, Sylvie Mouna a étudié les sciences humaines avant de travailler comme aide humanitaire pour la Croix-Rouge. Son conjoint a obtenu un diplôme de littérature et de philosophie. Il gagnait sa vie en enseignant le français.
Il y a 10 ans, le couple a fait le grand saut en réclamant l'asile politique au Canada. La demande a été acceptée. Mais les diplômes congolais, eux, n'ont pas été reconnus. Officiellement, Sylvie Mouna et son mari détiennent à peine l'équivalent d'une cinquième secondaire. Voilà qui n'aide pas à se tailler une place dans une nouvelle société.
Sans reconnaissance professionnelle, sans contacts, le couple a vécu longtemps de petits boulots précaires.
Au fil des ans, Sylvie Mouna a occupé mille petits emplois: ouvrière dans une usine de jouets, télémarketing, service à la clientèle. Des horaires impossibles pour des salaires microscopiques. Le couple a eu un enfant, puis deux. " Un jour, la réalité nous a frappé au nez: si nous ne changions rien, nos deux enfants risquaient de grandir dans le cercle de la précarité ", dit la jeune femme de 33 ans.
Pour s'arracher à ce cercle, Sylvie Mouna a décidé de jouer le tout pour le tout et de retourner à l'université. Objectif: un diplôme en service social.
En attendant, elle agit à titre de marraine auprès d'autres familles immigrantes. Partout, elle voit le même dilemme: pour subsister, les immigrants acceptent des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. Au risque de vivoter ainsi jusqu'à leur retraite...
Un marché plus compétitif
La réalité n'est pas nouvelle: les derniers arrivants ont toujours accusé un retard économique sur leur société d'accueil. Mais ce retard est de plus en plus important, et le rattrapage, de plus en plus incertain.
Pourtant, les immigrants sont scolarisés comme jamais auparavant. En 1981, à peine 19 % avaient un diplôme universitaire. En 2001, c'était 42 %. Mais les nouveaux venus ont peine à mettre ce bagage à profit. Selon une étude récente, les immigrés arrivés au pays entre 1995 et 1999 touchent des revenus inférieurs de 24 % à ceux qui ont débarqué à la fin des années 60.
Une autre étude indique que si les immigrés gagnent moins que les Canadiens de vieille souche, cet écart tend à s'effacer avec le temps. Cependant, dans les vagues d'immigration des années 60 ou 70, il s'effaçait presque entièrement au bout de 20 ans. Ce n'est plus le cas pour les vagues d'immigration ultérieures.
Résultat: en 1980, le quart des immigrés devaient survivre avec des revenus considérés comme faibles. Aujourd'hui, ils sont 36 %- plus d'un sur trois.
" Autrefois, les immigrés mettaient 10 ans à s'intégrer. Depuis les années 80, ils ne parviennent plus à faire complètement le rattrapage socioéconomique ", dit Daniel Salée, politologue à l'Université Concordia.
Les raisons? Il y a eu le ralentissement économique des années 90, le fait que les pays générateurs d'immigration ont changé, la difficulté à faire reconnaître les accréditations professionnelles. Mais il y a aussi, note Daniel Salée, un marché du travail de plus en plus compétitif. Pour les jeunes adultes nés ici. Et encore plus pour ceux qui doivent tout recommencer à zéro.
Encadré(s) :
GÉNÉRATION BON MARCHÉ
Si les conditions matérielles des jeunes familles canadiennes se dégradent, ce n'est rien comparativement au sort des jeunes adultes dans bien des pays européens. En Espagne, en France, en Italie, en Allemagne, des diplômés
quittent l'université, leur maîtrise ou leur doctorat sous le bras, pour se cogner le nez sur des portes fermées. Stages gratuits, ou presque, emplois précaires mal rémunérés, ils sont incapables de payer seuls le loyer d'un appartement et restent colocs jusqu'à 30 ans. En Espagne, 40% des jeunes diplômés sont incapables de trouver un emploi correspondant à leur formation, selon un récent sondage.
Dans un dossier consacré à ce phénomène, le Courrier international a appelé ces jeunes en attente " la génération low cost ". Génération bon marché. " Je suis une mille-euriste ", a écrit une publicitaire de 27 ans, qui partage avec trois colocataires un appartement au centre de Barcelone, dans une lettre adressée au journal El Pais. Mille-euriste pour... mille euros par mois. Un peu moins de 1400 $.