La deuxième vie de Sam Sullivan

Gruda, Agnès

Vancouver - Notre journaliste entreprend un voyage au Canada pour recueillir, en marge de la campagne électorale, des histoires qui touchent, inquiètent et font jaser. Premier arrêt: Vancouver.

Quand il avait 26 ans, Sam Sullivan s'est tué.

Il n'a pas appuyé un revolver contre sa tempe, ne s'est pas jeté en bas d'une falaise, mais c'est tout comme: il a imaginé de façon aussi précise que possible ce qui arriverait s'il se suicidait.

Puis, il a imaginé le contraire: ce qui arriverait s'il continuait à vivre malgré le terrible accident de ski qui, sept ans plus tôt, l'avait laissé paralysé, cloué à un fauteuil roulant.

Entre les deux scénarios, la vie a gagné. Mais le jeune homme a dû mettre le compteur à zéro. Le garçon féru de sport qui jouait du piano et s'entraînait dans un gym avait bel et bien disparu.

Le nouveau Sam Sullivan s'est accroché à de nouveaux rêves. Pour remplacer le ski, il a piloté des avions ultralégers, qu'il a fait adapter pour ses besoins. Puis il a fait de la voile et de la randonnée, et il a terminé un bac en administration tout en tissant un réseau d'organismes pour défendre les handicapés.

Pour finir, il s'est lancé dans un autre sport extrême: la politique. À 45 ans, Sam Sullivan vient d'être élu maire de Vancouver. Par les grandes fenêtres de son appartement du centre-ville, cet homme qui, au plus profond de sa dépression, avait été réduit à vivre de l'aide sociale, aperçoit aujourd'hui l'immeuble de " son " hôtel de ville.

Devant nous, de nombreuses grues hérissent le ciel de Vancouver, qui poursuit son expansion frénétique. Ce sont surtout des immeubles résidentiels, explique le nouveau maire, avant de tourner son fauteuil roulant pour se prêter à l'entrevue.

Son handicap a-t-il influencé ses idées politiques? Il réfléchit: " Oui, mon expérience a changé ma perception des toxicomanes. "

En gros, pour lui, ces derniers sont un peu comme des handicapés à qui la société renvoie le reflet de leurs incapacités: incapables de marcher; incapables de cesser de se piquer. Pourtant, comme les handicapés, " les toxicomanes ne souffrent pas d'un mal ponctuel que l'on peut régler, mais d'un problème chronique que l'on doit gérer ".

Sam Sullivan a opté pour une méthode de gestion radicale. Il y a cinq ans, il a demandé à une prostituée combien d'argent il lui faudrait pour acheter sa drogue. Puis, pendant quelque temps, il lui a fourni 40 $ par jour afin qu'elle n'aie plus à se prostituer. C'est ce qu'il appelle la méthode du moindre mal.

Plus récemment, il s'est rendu chez un dealer avec un homme en manque de crack, qu'il a ensuite invité à consommer la drogue dans sa propre fourgonnette.

Ce geste provocateur aurait pu lui coûter cher. Son principal rival à la mairie, Jim Green, ne s'est pas privé de rappeler aux électeurs que Sam Sullivan fournissait du crack aux drogués. Même dans une ville qui tient deux centres d'injection pour toxicomanes, l'argument aurait pu faire mal. D'ailleurs, l'histoire n'a pas fini de faire des vagues. Cette semaine, le chef de la police de Vancouver a demandé à la GRC d'enquêter sur le comportement potentiellement criminel du nouveau maire- qui est aussi son nouveau patron!

Conservateur vert

Comme Sam Sullivan a fait campagne en refusant d'augmenter le budget de la police, la presse locale se demande s'il ne s'agit pas d'un vilain règlement de comptes. Quant au principal intéressé, il n'en démord pas: la seule manière de lutter contre les méfaits des drogues, c'est de cesser de refouler les toxicomanes vers l'illégalité.

Cette position étonne de la part d'un homme perçu comme un conservateur pur et dur. Dans l'intelligentsia locale, les gens font la moue quand on mentionne le nouveau maire. On lui reproche d'avoir soutenu secrètement un candidat d'opposition qui porte le même nom que son principal adversaire à la mairie- James Green- pour profiter d'une division du vote. On lui reproche aussi de se servir de son handicap à des fins politiques.

Sam Sullivan ne le nie même pas. Oui, le maire tétraplégique a décidé de se servir de sa paralysie comme d'une arme. Quand les gens le rencontrent, il y a cet instant de malaise où ils se demandent comment agir avec lui. Comme un judoka, il profite de ce moment d'instabilité pour frapper...

Pour ce qui est de ses idées, il se définit comme un " conservateur vert ", qui adhère à la vision économique du parti de Stephen Harper mais rejette son conservatisme social. Sur cette côte Ouest plus proche de la Californie que de Montréal, il n'est pas le seul à cultiver ce paradoxe.

PC
On reproche souvent au maire de Vancouver, Sam Sullivan, de se servir de son handicap à des fins politiques; il ne le nie pas. Oui, le maire tétraplégique a décidé de se servir de sa paralysie comme d'une arme.


La chronique ironique qui voit et entend tout... à sa façon

Gruda, Agnès; Thibodeau, Marc; Touzin, Caroline
AFP; BBC

DES CHIFFRES QUI PARLENT

20

Nombre de couples qui ont accepté de s'inscrire à des cours gratuits sur le mariage offerts par la mairie de Rome pour contrer la hausse croissante du nombre de divorces. On n'est jamais trop prudent.

5000

Un autre encan en ligne demande 5000$ pour un ancien habit militaire du dictateur irakien déchu Saddam Hussein. Une petite salle de torture avec ça ?

100

Somme, en milliers de dollars, que devrait générer la vente sur e-Bay de plusieurs biens personnels y compris des toilettes de l'ex-meneur du groupe des Grateful Deads, Jerry Garcia. Des toilettes ? Ça, c'est de l'amour.

ICI ET AILLEURS

VATICAN

En finir avec les limbes

Les petits enfants morts avant d'être baptisés, qui croupissent depuis des siècles dans les limbes, pourraient bientôt hériter d'un aller simple pour le paradis. Les théologiens du Vatican songent en effet à réviser la position de l'Église catholique, qui s'inspire des réflexions de saint Augustin. Le théologien, mort en 430, avait conclu que ces enfants ne pouvaient accéder au paradis parce qu'ils n'avaient pas été "lavés" du péché originel. Ils ne pouvaient pas non plus aller en enfer parce qu'ils n'avaient encore rien fait de mal. L'actuel pape, qui s'était déclaré favorable au début des années 80 à l'abandon de "l'hypothèse" de l'existence des limbes, pourrait faire pencher la balance en faveur de ces oubliés de l'Histoire. Les surréalistes n'auraient pas fait mieux.

ISRAËL

La vengeance

Un homme-grenouille israélien qui était parti à la pêche près des côtes de la mer Méditerranée, au nord de Tel-Aviv, a été attaqué par un banc d'espadons. Son visage a été transpercé de part en part par l'épée de l'un de ses agresseurs. Pendant ce temps, dans un village russe, une bande d'écureuils noirs a sauvagement agressé un chien. "Quand ils ont vu des hommes arriver, ils se sont dispersés, prenant des morceaux de leur proie avec eux ", relate un témoin. Assiste-t-on à une révolte animale ? Lemonde est-il en train de devenir fou ? L'angoisse nous tétanise.

ILS, ELLES ONT DIT...

Arrogant

"C'est toujours agréable d'être à Chicago."

Le magnat déchu CONRAD BLACK, qui s'est rendu aux États-Unis cette semaine pour plaider non coupable à des accusations de fraude. Espérons qu'il ne perdra pas sa superbe en entrant dans sa cellule.

Convaincant

" Le "New York Times" n'est plus ce qu'il était. "

YANIK DESCHÊNES, porte-parole de Wal-Mart au Québec, commentant le fait que le prestigieux quotidien new-yorkais a fait une critique positive d'un film fustigeant les pratiques de ce géant du commerce au détail.

Rassurant

"Ce sont les conflits qui donnent le plus d'espoir d'emploi aux jeunes."

AHMEDOU OULD-ABDALLAH, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest, lors de la présentation d'un rapport sur cette région mouvementée du globe. Quelle belle façon de lutter contre le
chômage !

EN HAUSSE... EN BAISSE

CAMILLA BOWLES

La maîtresse du prince Charles, devenue sa femme après la mort de Lady Di, continue son ascension dans l'univers captivant de la monarchie britannique. Elle pose avec son charmant époux sur une carte de Noël en compagnie des quatre enfants de leurs mariages précédents. Si touchant.

LES INSURGÉS IRAKIENS

Il ne faut plus utiliser ce terme pour désigner les opposants au régime irakien et aux troupes étrangères dans le pays, souligne le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld. Non, non, ça leur donne trop d'importance. M. Rumsfeld suggère plutôt de parler "d'ennemis d'un gouvernement irakien légitime ". C'est noté, commandant.

LES CHRONIQUES DU CAHIER PLUS

Élections obligent, les chroniques "Des nouvelles du monde" et "Que sont-ils devenus ?" feront relâche jusqu'à la fin de la campagne. Promis, nos collègues Agnès Gruda et Marie-Andrée Amiot reviendront après le 23 janvier.

Walesa estime que les États-Unis ont perdu leur autorité morale

Gruda, Agnès

Sa moustache a blanchi, sa silhouette s'est épaissie, mais surtout, le monde autour de lui a changé. À un tel point que l'ex-leader de Solidarité, Lech Walesa, ne retrouve plus ses anciens repères.

" Même s'ils mènent toujours sur les plans économique et militaire, les États-Unis ne sont plus une autorité morale et politique, ils ne représentent plus l'espoir ", a constaté avec regret hier cet homme qui, il y a 25 ans, avait fait basculer le destin de la Pologne, et du coup, celui de l'Europe entière.

Lech Walesa avait 37 ans, en août 1980, lorsqu'il a sauté par-dessus une clôture des chantiers maritimes de Gdansk pour transformer une simple grève en un irrépressible mouvement politique.

Pour lui, les États-Unis ont longtemps représenté un idéal de liberté. Mais l'aventure irakienne dans laquelle ce pays s'est engagé l'a fait durement déchanter.

Les États-Unis devaient répondre par la force à ceux qui les ont attaqués le 11 septembre 2001, a plaidé l'" homme de Gdansk " hier après-midi, devant quelque 200 compatriotes réunis dans une église polonaise de Montréal. Aussi, l'attaque contre l'Afghanistan des talibans se justifiait-elle. Mais au lieu de déclencher seuls une nouvelle guerre contre l'Irak, les États-Unis auraient dû convaincre le monde de les suivre.

La débâcle irakienne, c'est aussi un peu beaucoup la faute de l'Europe, qui ne parvient pas à parler d'une seule voix, juge cet homme dont le pays vient tout juste d'adhérer à l'Union européenne.

Non sans difficulté, d'ailleurs, puisque la Pologne a milité fort pour inscrire des valeurs chrétiennes dans la Constitution européenne- une vision qui a été rejetée. " Deux conceptions s'affrontent aujourd'hui, dit Lech Walesa. Il y a ceux qui croient que la mondialisation doit être basée uniquement sur des libertés individuelles. Et il y a ceux qui croient que les valeurs doivent orienter les décisions politiques et économiques. " Walesa adhère à la seconde école.

25 ans plus tard

Que reste-t-il donc des idéaux de Solidarité, 25 ans après les grèves de Gdansk? Lech Walesa, lui-même, a pris ses distances avec le syndicat: depuis un mois, il ne paie plus ses cotisations syndicales.

Un sale climat règne en Pologne, qui souffre du plus haut taux de chômage de tous les pays de l'Union. Et où les anciens héros se font accuser d'avoir collaboré avec l'ancienne police politique.

Walesa lui-même a été la cible de telles attaques. Il en fait état sans amertume, en mentionnant qu'il a reçu beaucoup de récompenses, et qu'il peut donc encaisser quelques coups. Nommé Homme de l'année par le magazine Time en 1981, récipiendaire du prix Nobel de la paix en 1983, le petit électricien a effectivement eu sa part de lauriers. Et c'est d'ailleurs pour venir récolter son 33e doctorat honoris causa, décerné par l'Université du Québec à Trois-Rivières, qu'il faisait hier sa première visite au Québec.

Parfois cabotin, Walesa a multiplié ses déclarations sur l'état du monde et de son pays. L'effondrement du communisme s'est fait trop vite, a-t-il noté.

" Nous avons remporté une grande victoire, mais le monde n'a pas réussi à la gérer. "

La Pologne, qui vient de porter au pouvoir la droite eurosceptique des frères jumeaux Jaroslaw et Lech Kaczynski, ralentira-t-elle son intégration européenne? Non, croit Lech Walesa, selon qui le pays continuera d'aller dans la " bonne direction ".


La chronique ironique qui voit et entend tout... à sa façon

Geiser, Christian; Gruda, Agnès; Thibodeau, Marc
AFP; BBC

DES CHIFFRES QUI PARLENT

30

Pourcentage de citoyens britanniques qui jugent qu'une femme ayant trop bu est entièrement ou partiellement responsable si elle se fait violer.

1000

Amende imposée à une femme d'origine française qui a tenté, durant un vol de Hong Kong à Brisbane, d'ouvrir la porte de l'avion pour fumer une cigarette. Une petite greffe de neurones ne lui ferait pas de mal.

ICI ET AILLEURS

ALASKA

Vive le gras !

Une étude produite par l'Université de l'Alaska explique le déclin des oiseaux de mer par la baisse des stocks de poissons gras. Les chercheurs affirment que les oisillons qui mangent moins de gras apprennent moins vite et sont plus susceptibles de devenir des adultes moins fonctionnels et moins "brillants" (qu'est-ce qu'un oiseau brillant ? ). Reste à voir si les enfants privés de Big Mac et de poutine subissent un destin aussi tragique.

SUISSE

Tête de mort

La Banque nationale de Suisse a lancé en février un concours de graphisme en vue d'une nouvelle série de billets pour 2010. Un des concurrents, Manuel Krebs, a remporté la palme en proposant une série thématique. Le billet de 200 francs porte sur le sida alors que d'autres billets affichent des organes humains en filigrane ou encore une tête de mort. Ça nous changerait de la reine d'Angleterre et des castors.

ILS, ELLES ONT DIT...

Moral

"Ne vivez pas dans les festins, dans les débauches, ni dans les voluptés impudiques. "

Le comédien français GÉRARD DEPARDIEU, lisant des extraits choisis de saint Augustin cette semaine à la basilique Notre-Dame. C'est bien de prêcher par l'exemple.

Inquiet

"Si vous n'ordonnez pas d'homosexuels, d'hommes mariés et de femmes, qui reste-t-il ?"

Un théologien de San Francisco, s'inquiétant d'une nouvelle directive du Vatican qui vise à empêcher les gais d'accéder à la prêtrise.

Confus

"Dès que nous l'avons su, nous leur avons dit tout ce que nous savions. "

Le président de l'hôpital général de Saint-Boniface, à Winnipeg, réagissait au fait que l'établissement a circoncis le mauvais garçon.

Triste

"Je ne pense pas qu'il y aura un autre Sam. Certaines personnes pourraient penser que c'est une bonne chose."

SUSIE LOCKHEED, commentant la mort de son animal de compagnie, couronné plusieurs fois comme le chien le plus laid de la planète.

EN HAUSSE... EN BAISSE

- L'HOMME BLANC

Le ministère des Travaux publics a annoncé, dans une directive, que toutes les personnes engagées jusqu'en avril prochain devaient être issus des minorités visibles. Le ministre Scott Brison, craignant peut-être pour son emploi, a rapidement fait renverser la décision après que les médias ontariens eurent ébruité l'affaire.

- CNN

La chaîne américaine a multiplié les excuses cette semaine après qu'un gros X clignotant fut apparu à quelques reprises sur le visage du vice-président Dick Cheney durant une émission. Un appareil défectueux serait à l'origine de l'incident, qui a généré un flot de courriels de partisans républicains furieux. Ah, la politique !

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