Les réfugiés de l'intérieur
Gruda, Agnès
Jeudi prochain, les Algériens sont conviés à un référendum sur une charte de la paix et de la réconciliation, censée mettre fin à 13 années d'une guerre civile qui aura fait, au bas mot, 100 000 morts.
Ce conflit oublié avait fini par s'apaiser au fil des ans. Il y a cinq ans, le gouvernement a adopté une loi sur la concorde civile, qui a incité de nombreux militants à déposer les armes contre la promesse de l'impunité.
Mais des centaines d'autres hommes se terrent toujours avec leurs fusils. La violence éclate toujours de façon sporadique. Et les blessures des familles qui ont perdu leurs proches sont toujours à vif.
En plus de tous ceux qui ont été massacrés par les insurgés, on estime que plus de 6000 personnes, souvent des pères de famille, sont disparues en Algérie après avoir été enlevées par les forces de l'ordre. Aujourd'hui, leurs proches demandent des comptes et des indemnisations.
Avec son référendum, le président Abdelaziz Bouteflika veut tourner la page sur ce passé douloureux. Mais selon un récent rapport de Human Rights Watch, il s'y prend plutôt mal.
Sa démarche s'inspire pourtant de la commission Vérité et Réconciliation tenue il y a 10 ans en Afrique du Sud. Dirigé par l'archevêque Desmond Tutu, cet exercice cathartique avait permis de crever le purulent abcès de l'apartheid.
Les audiences de la Commission avaient été largement diffusées. Des victimes avaient pu faire face à leurs bourreaux ou les voir s'effondrer en demandant pardon.
Dix ans plus tard, l'Afrique du Sud est loin d'être devenue le paradis des relations interethniques. Mais sa séance de psychothérapie collective lui a permis de faire le ménage dans ses fantômes. Depuis, son expérience a servi de modèle dans plusieurs coins ravagés de la planète. Avec un succès inégal.
Plusieurs commissions de type sud-africain ont été mises sur pied dans des pays d'Amérique latine tels que le Guatemala, le Chili ou le Salvador. Ou en Afrique, comme au Burundi. Dans l'ancien bloc soviétique, la République tchèque et l'ex-Allemagne de l'Est se sont livrées à des exercices de "lustration", mettant les noms des anciens délateurs sur la place publique.
Ces recettes d'expiation collective combinent, à des degrés différents, deux ingrédients de base. D'abord, il faut faire sortir la vérité et nommer les coupables. Ensuite, les auteurs des pires crimes doivent être punis.
Selon les experts, dans tous ces exercices de réconciliation, la question de l'amnistie est particulièrement délicate. Il faut une part d'impunité pour obtenir des témoignages. Mais qui doit en bénéficier? Qui doit être déféré devant un véritable tribunal?
En Afrique du Sud, le système judiciaire a largement complété le travail "psychologique" accompli par la Commission de Mgr Tutu. Sur plus de 7000 demandes d'amnistie, à peine 1300 ont été accordées.
"L'impunité ne devrait pas être le prix à payer pour la réconciliation", affirme Human Rights Watch. Or, la charte proposée par le président Bouteflika comporte des failles béantes grâce auxquelles des criminels pourront facilement échapper à la justice.
Exemple: la charte prévoit que les auteurs de viols, de massacres collectifs et d'attentats à la bombe ne pourront pas bénéficier de l'amnistie. Mais elle ne dit pas comment ceux-ci seront démasqués. Plus grave, sans le dire explicitement, le texte est formulé de manière à laisser de côté les crimes commis par les agents de l'État engagés dans la lutte contre les islamistes.
Et enfin, les comités de probation, qui s'occupent des insurgés contrits et décident qui doit subir un procès travaillent en secret et ne rendent de comptes à personne.
Bref, toute cette marche vers la réconciliation algérienne s'amorce avec une patte cassée. Un peu comme en Amérique centrale où, exception faite du Chili, les tentatives de guérison sociale se sont avérés décevantes.
Comment guérir les traumatismes d'un conflit civil? Pour le juriste François Crépeault, spécialiste du droit international à l'Université de Montréal qui a suivi de près la démarche sud-africaine, la clé minimale du succès, c'est "la capacité de dire qui a fait quoi, de nommer les gens".
"Ceux qui ont vu pleurer les maîtres d'hier peuvent se réapproprier leur histoire", dit-il. Ce n'est qu'après qu'ils peuvent faire leur deuil et passer à autre chose. Manifestement, l'Algérie n'en est pas là.
LA VÉRITÉ
En 2005, la Commission des droits de l'homme de l'ONU a adopté une résolution intitulée Le droit à la vérité. Elle y souligne qu'il faut "respecter et mettre en oeuvre le droit à la vérité, afin de contribuer à mettre fin à l'impunité et à promouvoir et protéger les droits de l'homme."
agruda@lapresse.ca
Des jumeaux briguent le pouvoir en Pologne
Gruda, Agnès
Dimanche prochain, les Polonais doivent élire les députés qui formeront leur future Diète. Deux semaines plus tard, ils iront aux urnes pour choisir un nouveau président.
Ces deux scrutins sont marqués par une irrépressible montée de la droite conservatrice. Mais aussi par la présence de deux figures aussi colorées qu'identiques: les jumeaux Jaroslaw et Lech Kaczynski, qui ont tous deux des chances d'accéder aux plus hautes fonctions du pays.
Jaroslaw Kaczynski dirige le parti Droit et Justice (PiS) qui pourrait remporter les législatives de dimanche. Maire de Varsovie, Lech Kaczynski aspire plutôt à la présidence du pays.
Dans les plus récents sondages, le PiS arrive à égalité avec son principal adversaire, la libérale Plateforme citoyenne (PO). Jaroslaw Kaczynski est donc un candidat sérieux au poste de premier ministre.
Quant à son frère Lech, sa popularité s'est un peu émoussée depuis qu'il a annoncé sa candidature, au printemps dernier. Mais il reste l'un des deux principaux candidats à la présidentielle.
" Il n'y a pas de liens plus forts que des liens entre deux jumeaux ", a dit un jour Lech Kaczynski. En effet, les deux frères se suivent et se ressemblent.
Jaroslaw a 56 ans, Lech à peine... 45 minutes de moins. Leurs visages ronds, surmontés de cheveux argentés séparés par une raie sur le côté tapissent les murs de la capitale.
Ils sont si semblables que de nombreux électeurs ont de la peine à les identifier. Surtout depuis que Lech Kaczynski a rasé la moustache qui, autrefois, faisait sa marque. Seul un grain de beauté sur la joue le distingue maintenant de son jumeau.
Depuis leur plus tendre enfance, les deux frères ont tout fait ensemble. Dans les années 60, ils ont joué les rôles de Jacek et Placek dans Les deux gars qui ont volé la lune- un film basé sur un populaire roman pour enfants.
Puis ils ont étudié le droit à l'Université de Varsovie, avant de s'engager dans le mouvement Solidarité.
Après l'effondrement du communisme, c'est à quatre mains qu'ils ont fondé Droit et Justice, un parti qui veut lutter contre la corruption, envoyer davantage de criminels derrière les barreaux, stimuler la fibre patriotique des Polonais et réduire leurs impôts.
" Nous voulons réaliser une révolution morale ", a déjà dit Lech Kaczynski. Vaste programme qu'il a entrepris de mettre en branle à la mairie de Varsovie, en s'attaquant à la criminalité et en interdisant, à deux reprises, la tenue d'un défiléde la Fierté gaie. Leurs opinions sur la moralité et la peine de mort ont fait apparaître un néologisme dans le vocabulaire politique local: " kaczisme ", en référence à leur conservatisme social.
Une faille idéologique
Mais même des jumeaux identiques ne sont pas des clones parfaits. Tandis que Lech Kaczynski est marié, père et grand-père, son frère Jaroslaw reste célibataire.
Récemment, une faille idéologique est d'ailleurs apparue entre les deux hommes, alors que Jaroslaw affirmait qu'il ne fallait pas embaucher de professeurs homosexuels dans les écoles, tandis que son frère Lech rejetait publiquement cette thèse.
Les deux frères pourraient-ils siéger ensemble, l'un comme président, l'autre comme premier ministre? Théoriquement, rien ne l'interdit. Mais récemment, Jaroslaw Kaczynski a voulu chasser toute équivoque en affirmant qu'en cas de victoire de Lech à la présidentielle, il refuserait le poste de premier ministre.
Quel que soit le dénouement des prochaines élections, une chose est acquise: les sociaux-démocrates qui dirigent le pays n'ont aucune chance de garder le pouvoir. Irrités par les scandales de corruption, les difficultés économiques et un taux de chômage avoisinant les 20 %, les Polonais s'apprêtent à leur montrer la porte.
La Pologne vire à droite. Et les jumeaux ont de bonnes chances d'influencer l'évolution du pays, que ce soit dans un rôle de premier plan ou comme acteurs de soutien.