West Side Story...
Élevé lui aussi dans le West Side, ce dernier a été témoin du meurtre de trois membres de sa famille, dont sa propre mère, à l'âge de 4 ans. Aujourd'hui, il est un juriste respecté, marié et père de cinq enfants. " Ils sont obligés d'aller à l'université, ils n'ont pas le choix ", dit fièrement cet homme qui, à 45 ans, fait partie de l'élite locale. Il exhibe fièrement le certificat d'immatriculation de sa Porsche, porte des vêtements de plein air dernier cri. Et continue à défendre les siens.
Don Worme n'en revient pas: ça fait 15 ans que Stella Bignell se bat pour connaître la vérité. " Notre système de justice a refusé de traiter ses préoccupations légitimes d'une manière humaine, dans des délais raisonnables ", s'indigne-t-il.
Mais depuis que l'enquête sur l'affaire Stonechild a été rendue publique, la police n'a-t-elle pas tenté de retisser les liens avec la communauté autochtone?
Oui et non, dit le père André Poilièvre, qui côtoie les jeunes aux prises avec la justice. La police de Saskatoon est maintenant dirigée par un nouveau chef qui a embauché de nouveaux policiers, plus jeunes, moins contaminés par le racisme ambiant, selon lui.
Mais, poursuit le père André, il reste un noyau dur de vieux policiers qui contestent toujours les conclusions de l'enquête. Et qui ont d'ailleurs tout fait pour avoir la tête de leur nouveau patron.
Les deux tendances cohabitent dans la police, comme elles coexistent dans la communauté. " La police n'est que le reflet de la population ", dit le père André.
Ainsi, l'affaire Stonechild n'est pas seulement une histoire de jeune délinquant qui a peut-être été maltraité par des policiers. Ce n'est pas seulement l'histoire de policiers qui se couvrent les uns les autres. C'est aussi, et surtout, l'histoire d'un racisme ordinaire dans une ville sous haute tension.
Il n'y a pas si longtemps, Don Worme a eu la surprise de voir, dans un livre de lecture de sa fille, des histoires qui perpétuent les pires préjugés à l'égard des autochtones: des ivrognes paresseux, point à la ligne.
Il y a deux ans, Jim Pankiw, ex-député conservateur récemment expulsé de son parti pour des déclarations trop incendiaires, entre autres sur les autochtones, a brigué la mairie de Saskatoon. Une de ses brochures clamait qu'il faut " stopper le crime indien ".
Y a-t-il du racisme à Saskatoon? Mais bien sûr, dit le père André. " Depuis que j'ai décidé de me vouer aux autochtones, il y a des gens qui ne me parlent plus. "
Pas étonnant que, lorsqu'un Amérindien est trouvé gelé dans une zone industrielle, l'affaire soit vite classée. Que, lorsque des femmes autochtones disparaissent dans la nature, personne ne s'en préoccupe.
Le Buffle blanc
Mike Tanton est Métis. Enfant, il a connu Neil Stonechild, qui fréquentait la même église que lui. Avec sa gueule de latino, il est bien placé pour déceler toutes les manifestations de racisme. Des deux côtés de la barrière raciale. " Parfois, des Blancs ignorent que je suis Amérindien et j'entends des choses très racistes. Mais j'en entends aussi chez les autochtones ", dit-il.
Mike Tanton travaille au Buffle blanc- un centre pour jeunes du West Side. Avec le club de lutte des Wolverines, dont était autrefois membre Neil Stonechild, et quelques autres équipes sportives, c'est l'un des rares lieux où les ados du quartier peuvent se retrouver, ailleurs que dans la rue.
La ville offre peu de parachutes à ces jeunes entraînés dans un univers de drogue et de violence. Et quand les choses se corsent, la machine judiciaire se met vite en branle. " Parfois, des parents demandent à la police de protéger leurs enfants contre les menaces des gangs. Mais les policiers n'ont pas le temps, ils sont trop occupés à les arrêter ", déplore l'avocat Healy Kearney. Pour mettre un frein à la violence, Saskatoon envisage d'ailleurs d'imposer un couvre-feu aux jeunes de moins de 16 ans.
Tout n'est pas noir à Saskatoon. Le père André dit voir de plus en plus de jeunes adultes finir leurs études, travailler, élever leur famille. Ils sont éducateurs, juristes, poètes.
Don Worme se dit lui aussi optimiste. Seulement, si les deux policiers impliqués dans l'affaire Stonechild devaient être réembauchés, la ville pourrait s'embraser, avertit-il.
À Saskatoon, les jeunes Blancs s'en vont. Les autochtones débarquent des réserves et font beaucoup d'enfants. " D'ici 20 ou 30 ans, nous serons majoritaires. Ou bien les Blancs devront se barricader dans des quartiers réservés, ou bien nous apprendrons à vivre ensemble ", dit Don Worme.
Pour l'instant, dit-il, toutes ces options restent ouvertes.
À LIRE
Starlight Tour, de Susan Reber et Robert Renaud. Ce livre, qui vient tout juste de paraître chez Random House Canada, raconte la longue quête de Stella Bignell, mère de Neil Stonechild, qui veut savoir ce qui est arrivé à son fils. Une quête qu'elle poursuit toujours.
L'ultime goutte rouge dans un océan bleu...
Gruda, Agnès
Edmonton - À l'occasion de la campagne électorale, notre journaliste Agnès Gruda et le photographe Martin Tremblay poursuivent leur voyage au Canada, à la recherche d'histoires qui préoccupent les gens. Deuxième arrêt: Edmonton.
Des biscuits et un plant de poinsettia. C'est le cadeau qu'a apporté la ministre de la Sécurité publique et députée d'Edmonton Centre, Anne McLellan, aux habitants de la résidence pour personnes âgées Ortona Villa, en plein coeur de la capitale albertaine.
La rencontre a lieu mardi après-midi. Dehors, il règne un froid glacial. Les autos roulent au ralenti pour ne pas déraper sur la chaussée couverte d'une neige dure. Enrhumée, la voix vacillante, Mme McLellan répond aux questions de la dizaine de personnes réunies dans la salle de séjour de l'immeuble.
Certains se demandent si Ottawa percevra un impôt sur les 400 $ qu'ils recevront bientôt de leur gouvernement provincial. Non, ce cadeau ne sera pas imposable, répond la ministre. Fiou...
D'autres questions portent sur la sécurité. L'an dernier, la résidence s'est fait cambrioler. Les voleurs sont partis avec le poste de télévision. Pour lutter contre la criminalité, il faudrait peut-être imposer un service militaire obligatoire à tous les jeunes hommes, suggère-t-on.
La ministre comprend cette préoccupation, mais elle ne croit pas que ce soit vraiment une bonne idée.
" Allez vous voter? " demande-t-elle aux vieux venus entendre leur députée. Des gens mentionnent qu'ils seront à l'extérieur du pays le jour du scrutin. Alerte générale: une assistante d'Anne McLellan, Mary MacDonald, se précipite pour recueillir les noms des voyageurs. Il faudra s'organiser pour qu'ils puissent voter par anticipation...
Tel un bûcheron qui se fraie un chemin dans une forêt dense, Anne McLellan mène sa campagne vote par vote, électeur par électeur. D'ici le 23 janvier, elle compte visiter une trentaine d'autres résidences semblables.
Dans Edmonton Centre, chaque bulletin de vote peut être décisif. En 1993, Mme McLellan a été élue avec... une voix de majorité. Après un nouveau dépouillement, elle devançait son adversaire par 11 petites voix. Les élections subséquentes lui ont donné une avance plus confortable, mais toujours fragile.
Cette année, la pression est particulièrement forte: depuis que son collègue David Kilgour a quitté le parti pour siéger comme indépendant, elle est devenue la seule députée libérale de l'Alberta. Les chances qu'un libéral l'emporte dans une seule des 27 autres circonscriptions de la province sont infimes. Si elle perd, c'est l'Alberta en entier qui sombrera dans une mer bleue...
Dans son bureau de campagne logé dans un ancien McDonald de la rue Jasper- la seule artère de la ville désignée par un nom plutôt que par un chiffre-, une grande carte montre sa circonscription, qui longe la rivière Saskatchewan, en passant du centre des affaires aux quartiers résidentiels plus ou moins riches.
Anne McLellan finit par admettre qu'elle porte cette année un poids supplémentaire sur ses épaules. Des journalistes de tout le pays viennent observer comment elle se débrouille. Pendant que ses collègues du cabinet se promenent partout au pays, Anne McLellan a une " dispense " pour faire campagne surtout dans sa propre circonscription.
Ici, deux arguments de poids militent en sa faveur. Même s'ils votent massivement pour les conservateurs, les Albertains aiment bien avoir une voix au cabinet. L'autre argument, Mme McLellan l'adresse aux électeurs de gauche, ceux qui seraient tentés de choisir le NPD. Votez stratégiquement, leur dit-elle, sinon vous risquez de contribuer à faire élire un conservateur.
Des néo-démocrates en Alberta? Eh oui! il y en a. Aux dernières élections, ils ont frôlé 10 % des voix. Et près d'un Albertain sur quatre a voté pour les libéraux.
Non, l'Alberta n'est pas un monolithe bleu, se tuent à expliquer les analystes locaux. " Comme dans les autres provinces, les électeurs de centre-gauche sont concentrés dans les grandes villes, tandis que la banlieue et les petites communautés penchent plus à droite ", écrit un commentateur de l'Edmonton Journal, Murdoch Davis.
Et ce vote " de gauche " est particulièrement concentré à Edmonton, qui, en raison de ses préférences électorales, a hérité du sobriquet Redmonton... Qu'y a-t-il donc de particulier dans cette ville plus tranquille que Calgary?
" Edmonton est une ville universitaire, c'est une capitale avec une forte fonction publique et beaucoup d'employés syndiqués ", explique un autre chroniqueur du quotidien d'Edmonton, Graham Thomson.
Edmonton est aussi une ville en changement: la richesse albertaine attire de plus en plus d'immigrants. " La ville devient de plus en plus cosmopolite ", dit Graham Thomson. Anne McLellan suit cette évolution de près: les immigrants ont tendance à soutenir davantage les libéraux.
" Près de 25 % des Albertains votent pour le Parti libéral, ils aimeraient que leur voix soit entendue ", insiste-t-elle, en se disant en faveur d'un système électoral proportionnel. En attendant, elle reste l'ultime représentante de ceux qui, dans cette province, votent contre le vent dominant.