Le président qui fait peur au monde
Gruda, Agnès
S'il n'en tenait qu'à lui, un martyre de l'islam serait honoré à chaque carrefour de Téhéran. La Shoah serait réduite au rang de mythe. Et Israël serait définitivement rayé de la carte du monde. Élu président de l'Iran en juin 2005, Mahmoud Ahmadinejad a-t-il les moyens de réaliser ses rêves- et de plonger ainsi le monde dans un cauchemar?
Àla mi-septembre, lors de son tout premier voyage présidentiel en Occident, Mahmoud Ahmadinejad s'est présenté devant les dirigeants des Nations unies vêtu d'un veston sombre et d'une chemise blanche au col entrouvert.
L'assemblée retenait son souffle: qui était cet homme au visage émacié dont l'élection, trois mois plus tôt, avait surpris le monde entier?
Le tout nouveau président de l'Iran a commencé par en appeler à Dieu. Puis, il s'est lancé dans un discours impitoyable à l'égard des États-Unis, dénonçant " l'apartheid nucléaire " dont son pays est victime. Et défendant le droit inaliénable de l'Iran à poursuivre son programme nucléaire.
Son discours s'est abattu sur l'auditoire comme une douche glaciale. Mahmoud Ahmadinejad, qui avait jusque là peu voyagé, venait de faire son entrée dans le monde. Le ton était donné: c'était celui de la confrontation.
Quelques semaines plus tard, une cassette vidéo allait révéler une autre facette de ce chef d'État, le premier laïc à diriger l'Iran depuis un bon quart de siècle. La vidéo montre Mahmoud Ahmadinejad à son retour de New York, expliquant à un mollah qu'il avait senti un " halo lumineux " se former autour de son corps lors de sa présentation devant l'assemblée générale de l'ONU.
La main d'Allah
" Tout à coup, l'atmosphère avait changé et pendant 27 ou 28 minutes, aucun dirigeant n'a cillé. Ils étaient abasourdis comme s'il y avait une main pour les maintenir en place ", se félicitait-il. Quelle main? Celle d'Allah, bien sûr.
Ces images ont fait le tour de la planète et alimenté bien des blagues. Un caricaturiste de la diaspora iranienne a dessiné le leader illuminé à côté d'un homme lui demandant d'éteindre enfin la lumière et de le laisser dormir tranquille...
Mais le mysticisme Mahmoud Ahmadinejad, conjugué à son agressivité à l'égard de l'Occident et à la reprise des activités nucléaires de l'Iran, n'inspirent pas que des rires. De plus en plus, ils donnent la chair de poule. " L'Iran est-il dangereux? ", demande Newsweek dans un récent numéro dont la première page arbore la barbe poivre et sel du président iranien. " L'homme le plus terrifiant de la planète ", titrait récemment l'hebdomadaire Macleans.
Qui est donc Mahmoud Ahmadinejad? Et surtout, faut-il avoir peur de lui?
Un homme du peuple
Mahmoud Ahmadinejad est né il y a 50 ans à Garmsar, petite ville poussiéreuse au pied du désert. Rapidement, sa famille s'installe dans un quartier ouvrier de Téhéran où son père exerce le métier de forgeron.
Le président iranien n'a jamais trahi ses origines. La liste d'avoirs qu'il a dû révéler après son accession au pouvoir est étonnamment courte. Une maison de 175 mètres carrés dans un quartier de classe moyenne où il vit avec sa femme et ses trois enfants. Une vieille Peugeot 504.
Mahmoud Ahmadinejad pratique et prône l'austérité. Il y a quelques jours, il a annoncé que les hauts dirigeants iraniens devraient abandonner leurs voitures blindées, trop bourgeoises à ses yeux.
Interrogé par TIME, Mahmoud Ahmadinejad a dit qu'il apporte toujours un lunch à son bureau présidentiel. " Pourquoi donc devrais-je abandonner la bonne cuisine de ma femme? ", s'étonne-t-il.
Mahmoud Ahmadinejad cultive son image d'homme du peuple. On l'a déjà vu porter l'uniforme des balayeurs de rue, ou encore sortir de son auto pour débloquer un puisard.
" C'est un populiste qui peut s'asseoir sur un banc de parc pour écouter les gens ", note Hossein Derrakhshan, un ancien journaliste iranien établi à Toronto qui commente la politique de son pays sur un blogue, hoder.com .
Le garde révolutionnaire Étudiant en technologie du transport, Mahmoud Ahmadinejad a frayé avec les milieux révolutionnaires des années 70. À l'époque, les universités forment le foyer de la révolte contre le régime du shah.
Ceux qui ont alors connu Mahmoud Ahmadinejad le décrivent comme un jeune homme " ordinaire et poli ", déjà religieux, que l'on apercevait parfois sur le campus en train de discuter avec des étudiants qui ne partageaient pas son point de vue.
Y aurait-il un autre Mahmoud Ahmadinejad, moins pacifique?
À Washington, on le soupçonne d'avoir participé à la prise d'otages à l'ambassade américaine à Téhéran, ce qu'il nie avec véhémence. Autre élément trouble: l'Autriche le relie à l'assassinat d'un leader kurde en 1989, à Vienne, et vient d'ailleurs d'ouvrir une enquête à ce sujet.
Exception faite de ces zones obscures, Mahmoud Ahmadinejad a suivi le parcours d'apparatchik au sein des Gardes révolutionnaires islamiques- tantôt gouverneur de province, tantôt professeur, au gré des changements de régime à Téhéran.
Puis, en 2003, c'est la propulsion à un poste de premier plan: la mairie de la capitale. Une ascension " surprenante ", selon le Montréalais d'origine iranienne Amir Maasoumi qui a déjà coordonné un projet de parrainage entre Montréal et Téhéran. Selon lui, Mahmoud Ahmadinejad avait l'image d'un homme médiocre, un joueur mineur sur l'échiquier iranien. " Je n'aurais jamais imaginé le voir un jour accéder à la présidence ", s'étonne encore cet exilé.
Le gestionnaire Pendant deux ans, le nouveau maire tisse son image de gestionnaire efficace, soucieux des problèmes des gens. Il déloge des baraques militaires pour améliorer le réseau routier de Téhéran, en proie à une congestion chronique. Il aménage des parcs, fait planter des arbres.
Le maire Ahmadinejad s'intéresse aussi aux besoins économiques d'un peuple de plus en plus ravagé par les inégalités sociales. Par exemple, il crée des " fonds de mariage " pour aider matériellement les jeunes couples.
Encore aujourd'hui, Mahmoud Ahmadinejad " voyage et distribue de l'argent ", signale Sayeed Rahnema, professeur à l'Université York, à Toronto. Ce qui accroît son pouvoir de séduction auprès des plus pauvres, selon ce Canadien originaire d'Iran.
Le mystique Mais derrière l'administrateur efficace et empathique se profile un autre homme: un mystique adepte de l'un des courants les plus intégristes de l'islam chiite.
À l'époque où Mahmoud Ahmadinejad a accédé à la mairie, l'Iran était dirigé par le réformiste Mohammad Khatami. Élu en 1997, ce dernier avait desserré peu à peu le corset religieux qui étranglait le pays.
À l'échelle de la capitale, le nouveau maire allait entreprendre le chemin inverse. Les maisons de la culture ont été transformées en lieux de prière. D'immenses panneaux célébrant l'islam ont été installés à tous les carrefours.
Le blogueur Hossein Derakhshan, qui s'est rendu à Téhéran pour suivre la campagne présidentielle, a été frappé par l'omniprésence des messages religieux. Plusieurs évoquaient le retour prochain du " mahdi ", l'imam disparu.
La majorité des chiites vénèrent le dernier d'une lignée de 12 imams, celui que l'on dit " caché " et dont la réapparition est censée annoncer le Jugement dernier. Mais un ayatollah radical, Messbah Yazdi, a placé cette croyance au coeur de sa doctrine.
Mahmoud Ahmadinejad est le disciple le plus célèbre de ce leader religieux dont le discours frôle la violence. " Les deux hommes veulent préparer le monde pour le retour du messie. La certitude que la fin du monde approche leur donne une confiance absolue ", dit Amir Maasoumi.
Pour Mahmoud Ahmadinejad, cette croyance n'est pas qu'une métaphore religieuse. Il la prend au pied de la lettre. On dit que pendant ses années à la mairie, il a fait établir le trajet que prendrait le 12e imam le jour où il reviendrait sur Terre. Et que pour s'y préparer, il aurait entrepris la réfection des rues longeant ce parcours.
Dès son élection à la présidence, le gouvernement iranien s'est lancé dans la restauration du temple de Jamkaran, près de la ville sainte de Qom. La légende veut que l'imam caché ait été vu près de ce temple millénaire.
D'autres égarements religieux ouvrent des perspectives plus sombres. Lors d'une conférence anti-sioniste, en octobre, le président iranien suggère d'éliminer Israël. En décembre, il déclare que la Shoah est un mythe inventé par les Européens. En janvier, il accuse les Européens de s'être débarrassés des Juifs pour les installer au milieu du monde arabe.
Le président Ahmadinejad pense-t-il vraiment ce qu'il dit? Certains analystes croient qu'il s'agit d'un discours à usage interne, visant à asseoir sa popularité.
Ce n'est pas l'avis de Frédéric Tellier, spécialiste de l'Iran à l'Institut français de recherches internationales et stratégiques (IRIS). " On a affaire à un idéologue à l'état pur, il adhère pleinement à ses propos ", dit-il.
" Mahmoud Ahmadinejad croit que le 12e imam va revenir de façon imminente. Il pense vraiment que le sionisme et Israël seront d'ici là rayés de la surface de la Terre. Il croit détenir la vérité et ne reculera pas devant la pression ", affirme Houchang Hassan-Yari, professeur d'origine iranienne au Collège militaire de Kingston. " S'il a les moyens de faire ce qu'il dit, il le fera ", prévoit cet analyste. Mais les a-t-il, ces moyens?
En Iran, le président a forcément l'imprimatur du clergé, signalent les experts. Ce sont les mollahs qui filtrent les candidatures présidentielles, ce qui incite bien des gens à bouder les élections. C'est d'ailleurs le clergé qui a donné le mot d'ordre de choisir Mahmoud Ahmadinejad, à la veille du vote.
Et puis, le contrôle des dossiers les plus névralgiques, comme la politique étrangère et les activités nucléaires, est entre les mains du guide suprême, Ali Khameini.
Théoriquement inféodé aux autorités religieuses, Mahmoud Ahmadinejad prend pourtant de plus en plus ses aises. Depuis son élection, il a remplacé les gouverneurs de province, procédé à des purges dans les universités. " C'est un bulldozer qui fonce et fait des dégâts à chaque jour qui passe ", s'inquiète M. Hassan-Yari.
Certains experts, tel le Français Frédéric Tellier, croient que le clergé contrôle toujours le jeu et que, dans une stratégie bien pesée, il brandit Ahmadinejad tel un épouvantail destiné à faire peur au monde.
Mais personne n'écarte le scénario Frankenstein, mettant en scène un monstre échappé des laboratoires des mollahs...
Encadré(s) :
République islamique d'Iran
Capitale: Téhéran
Superficie: 1 648 000 km2
Population: 71 369 000
Langues: persan (off.), kurde, turc, baloutche, arabe, arménien...
Nature de l'État: république islamique
Nature du régime: théocratique et démocratique
Chef de l'État: Ali Khamenei, guide de la Révolution (depuis juin 1989).
Chef du gouvernement: Mahmoud Ahmadinejad, élu en juin 2005.
Illustration(s) :
Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, photographié en janvier dernier lors d'une conférence de presse à Téhéran. " L'homme le plus terrifiant de la planète ", titrait récemment l'hebdomadaire Macleans.
L'Europe a peur de Mahmoud Ahmadinejad. On pouvait d'ailleurs voir une représentation en forme de missile du président iranien lors du défilé du Carnaval de Dusseldorf, en Allemagne, lundi dernier.