Objectif Europe
Gruda, Agnès
Il y a la grande actualité, celle qui clignote en grosses lettres dans les manchettes des médias et charrie des chiffres vertigineux. Millions de déplacés. Dizaines de milliers de morts.
Et puis il y a l'actualité minuscule, celle qui se décline au singulier avec un nom, un prénom et un visage. C'est le point de vue qu'a choisi la photographe française Sarah Caron lorsqu'elle a braqué son objectif sur les immigrants qui s'arrachent aux confins de l'Afrique dans l'espoir de refaire leur vie en Europe.
Pendant deux ans, elle a suivi ces clandestins dans leur longue traversée du désert. Elle en a tiré un photoreportage publié sous le titre Odyssée moderne, voyage avec les migrants clandestins du Sahara à la Grande Bleue.
Qui sont donc ces gens que l'on a vus, ces dernières semaines, se jeter sur les barbelés de Ceuta ou Melilla, les deux enclaves espagnoles au Maroc? Sarah Caron les a bien connus. Selon elle, il s'agit surtout d'hommes plutôt jeunes, souvent envoyés par leur famille avec le mandat de s'établir en Europe pour aider leurs proches restés en Afrique.
"Certains ont pris la route parce qu'un village entier avait économisé de l'argent pour faire partir un garçon plus apte que les autres. Ils représentent tout l'espoir d'un village", raconte la photographe, jointe à Bangkok à la veille d'un nouveau photoreportage, au Cambodge cette fois.
Des milliers de jeunes villageois, des paysans mais aussi des universitaires ou des sportifs, convergent ainsi vers Agadez, au Niger. C'est là que commence le désert. Et c'est là que l'on trouve un passeur pour aller plus loin.
"Au début, ces garçons sont très naïfs. Certains mettent des chaussures blanches, un beau veston, ils sont sapés comme des nababs", raconte Sarah Caron.
Mais avant de se montrer dans leurs plus beaux atours aux portes de l'Europe, ils ont un long chemin à parcourir. En cours de route, ils se heurtent aux passeurs véreux, aux militaires algériens qui les dépouillent de tous leurs biens, ou à ceux du Maroc, qui les battent ou leur tirent dessus. Souvent, ces hommes des sables se font repousser vers le Sud. Alors ils recommencent, inlassablement, leur lente remontée.
"C'est comme le jeu de l'oie", dit Sarah Caron. On avance. On se fait refouler. On reprend la route. En moyenne, a estimé la photographe, cela peut prendre entre un et cinq ans avant qu'un clandestin parvienne à percer le mur de l'Europe. Pendant le voyage, les garçons perdent peu à peu leurs illusions. "Ils deviennent durs, sauvages..."
Un jour, la photographe a croisé un jeune Ivoirien qui quittait un pays au bord de la guerre civile. "Il avait 20 ans. Il pensait peut-être se rendre en France, pour acheter des pièces d'auto et les envoyer à son copain qui avait un garage. Il croyait sincèrement faire de l'import-export", s'étonne encore Sarah Caron.
Puis elle l'a perdu de vue, comme elle a perdu de vue de nombreux clandestins croisés dans le désert. Un jour, elle reçoit un courriel avec une photo. Le garçon, rayonnant et bien habillé, se trouvait en Espagne, où, disait-il, il avait trouvé un boulot dans les "communications". Vérification faite, il distribuait des prospectus publicitaires...
Ces milliers de jeunes chargés d'une mission - faire vivre un village entier - créent une lourde pression sur l'Europe. Cette semaine, la France et l'Espagne se sont entendues pour lancer une "initiative globale sur l'immigration clandestine", qui inclurait aussi les pays du Maghreb et les capitales africaines.
Mais comment stopper cet afflux humain quand on sait que la frontière entre le Maroc et l'Espagne est l'une des plus inégalitaires de la planète? C'est ce que signalait l'économiste espagnol Inigo More dans un texte publié récemment dans El Pais, traduit dans Le Monde.
Une maison au Maroc coûte environ 6000 euros (8500$), soit un an de travail au salaire minimum en Espagne, souligne-t-il. Il ajoute que, avec la même somme, on peut acheter deux propriétés agricoles en Mauritanie, et quatre dans un pays comme le Mali.
L'expérience américano-mexicaine montre bien que ni les barbelés ni la répression ne réussissent à refouler ces réfugiés du désespoir. "Le plus curieux, note enfin Inigo More, ce n'est pas tant que Ceuta et Melilla soient prises d'assaut, mais qu'elles tiennent encore debout."
""En moyenne, cela peut prendre entre un et cinq ans avant qu'un clandestin ne parvienne à percer le mur de l'Europe.
EN UN COUP D'OEIL :
Onze personnes ont été tuées depuis la fin août en tentant de traverser les barrières des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, au Maroc.
L'Espagne a un PIB par habitant 15 fois plus élevé que le Maroc.
Depuis un an, 464 émigrants mexicains sont morts en tentant d'entrer aux États-Unis.
Les États-Unis ont un PIB par habitant six fois plus élevé que celui du Mexique.
agruda@lapresse.ca
La chronique ironique qui voit et entend tout... à sa façon
Hachey, Isabelle; Gruda, Agnès
AFP; Courrier International; Guardian
DES CHIFFRES QUI PARLENT
4000
Prix de départ, en dollars canadiens, pour un bébé de sexe masculin offert sur le site chinois d'enchères en ligne Eachnet. La police a ouvert une enquête.
60
Prix, en cents, d'un billet de métro à Montréal... dans la tête de l'aspirant maire Pierre Bourque. Le coût réel est quatre fois plus élevé: 2,50$.
33
Âge moyen auquel les hommes italiens ont leur premier enfant - ce qui fait d'eux les pères les plus âgés des pays occidentaux.
ICI ET AILLEURS
GRÈCE
Sus au cyclope
L'enseignement de la mythologie est en péril dans les écoles helléniques. Plusieurs parents se sont plaints de la violence contenue dans les légendes des dieux grecs. "Les héros qui tuent les animaux à mains nues, les monstres à trois têtes ou bien encore les Cyclopes sont jugés trop agressifs par l'ensemble des associations de parents d'élèves, note le quotidien To Vima. Espérons que le Ministère ne cédera pas à ces caprices!" Homère et Rambo, même combat?
ANGLETERRE
Sus aux courriels
Des experts anglais estiment que des millions d'heures d'exercice sont perdues chaque semaine dans les bureaux à cause du courriel. Plutôt que de se lever pour communiquer avec leurs collègues, les gens se contentent désormais d'écrire une note et d'appuyer sur "envoyer". Les experts recommandent carrément aux employeurs d'interdire les courriels internes. Selon eux, augmenter de 10% l'activité physique pourrait sauver 600 vies, en plus de faire maigrir un million d'obèses en Angleterre.
ILS, ELLES ONT DIT...
Pessimiste
"Le refus global du changement fait mal au Québec parce qu'il risque de le transformer en république du statu quo, en fossile du XXe siècle."
- Le manifeste Pour un Québec lucide, présenté par une douzaine de personnalités québécoises, LUCIEN BOUCHARD en tête.
Menaçant
"Vous me connaissez et vous savez bien que je ne me lasserai pas."
- Le dictateur déchu SADDAM HUSSEIN, à l'occasion de l'ouverture de son procès à Bagdad. Atermoiements à la Milosevic en vue.
Antisémite
"Déjà c'était signé."
- L'humoriste DIEUDONNÉ, racontant l'agression qu'il aurait subie aux mains de quatre Israéliens l'ayant attaqué "dans le dos". Sur le plateau de Tout le monde en parle, les invités n'ont rien trouvé de mieux à faire que de compatir.
EN HAUSSE... EN BAISSE
- LE PLOMBIER POLONAIS
Il avait fait un tabac en promettant aux Français de ne pas "voler leur job" après l'élargissement de l'Union européenne. Une fois de plus, le plombier polonais compte des points: son allure sexy a engendré une hausse de 14% des touristes français dans son pays cet été. Le plombier aurait eu un succès encore plus délirant au Canada puisque le nombre de touristes canadiens en Pologne a augmenté de 62%!
- JUDITH MILLER
La journaliste du New York Times a croupi trois mois en prison pour avoir refusé de dévoiler sa source dans l'affaire Valerie Plame, cette espionne de la CIA qui aurait été "brûlée" par des proches du président Bush. Libérée, Judith Miller affirme... avoir oublié l'identité de sa source! Son propre journal semble sur le point de la lâcher, après avoir publié des reportages mettant en doute sa crédibilité.
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Sources: Isabelle Hachey, Agnès Gruda, AFP, Courrier International, Guardian
Le procès de Saddam Hussein reporté au 28 novembre
"Des conditions de" sécurité extrêmes"
Gruda, Agnès
Pour pouvoir assister à l'ouverture du procès de Saddam Hussein, hier après-midi à Bagdad, Wesley Gryk a dû montrer patte blanche deux fois plutôt qu'une.
Dès mardi, des militaires américains lui ont fait subir une interview de sécurité. Hier, il est passé à deux reprises par des détecteurs de métal. Et c'est mains nues, sans crayon, sans carnet de notes et sans l'ombre d'un sac qu'il a enfin accédé au balcon d'où il a observé le déroulement de l'audience.
Wesley Gryk représente l'organisation Amnistie internationale au sein du petit groupe d'une vingtaine d'observateurs qui ont été autorisés à suivre le procès de l'un des pires dictateurs du XXe siècle. " Et parmi nous, il n'y avait pas un seul représentant des victimes, pas un seul Irakien ordinaire ", a déploré Wesley Gryk, joint hier à Bagdad.
Hier, à l'issue d'une audience de trois heures, ce procès a été ajourné au 28 novembre, à la demande des avocats de la défense qui réclamaient plus de temps pour parcourir les 2000 pages de l'acte d'accusation dressé contre l'ancien président irakien et sept de ses proches collaborateurs.
Tous sont accusés d'un seul et même crime: l'assassinat de 143 habitants du village chiite de Doujaïl, à la suite d'un attentat raté contre Saddam Hussein, en 1982.
L'audience a été télédiffusée en différé, avec un délai de 20 minutes. Craignant pour leur sécurité, quatre des cinq juges du tribunal spécial irakien (TSI) n'ont pas voulu que leur visage soit filmé.
Pas de témoins
Le TSI avait au moins une autre bonne raison de retarder la tenue du procès: craignant pour leur vie, les témoins ne se précipitent pas à la barre. L'un des témoins, Wadhah Ismaïl Khalil, a fait savoir qu'il était incapable de se rendre à Bagdad. " On va aller l'écouter là où il se trouve ", a indiqué hier le juge Rizkar Mohammed Amine, qui préside les audience du TSI.
Des témoins terrorisés, des juges qui cachent leur visage et une surveillance militaire exceptionnelle: est-il possible de tenir, dans ce climat, un procès juste et équitable? Pour Wesley Gryk, la difficulté d'accéder au tribunal, même si elle se justifie par les impératifs de sécurité, est préoccupante.
Le procès se tient dans la " zone protégée " de six kilomètres carrés au coeur de Bagdad, interdite au commun des mortels, signale-t-il. M. Gryk a mis deux heures à passer toutes les barrières de sécurité avant d'accéder à une petite salle où un interprète traduisait le procès, tenu uniquement en arabe. Une quinzaine de journalistes, choisis par tirage au sort, ont été réunis dans une autre salle, au rez-de-chaussée.
Un spectacle pathétique
Finalement, les accusés ont commencé à entrer dans la salle d'audience. " Le premier était un vieil homme, il était menotté et il a trébuché en avançant. C'était pathétique ", raconte Wesley Gryk.
Puis, Saddam Hussein est apparu, vêtu d'un veston gris et d'une chemise blanche, les cheveux teints en noir, serrant un exemplaire du Coran dans sa main. " Qui êtes vous? " a-t-il lancé au juge qui lui demandait de s'identifier. " Vous êtes irakien, donc vous me connaissez ", a clamé l'ex-président irakien.
L'ex-président et ses anciens collaborateurs, sont accusés de crimes contre l'humanité, en vertu d'un article fondateur du TSI, et de meurtre prémédité, selon l'article 6 de l'ancien Code pénal irakien.
" Ce procès se déroule dans une atmosphère irréelle, il y a des militaires partout, et on est dans une bulle, on ne sent pas le danger ", dit Wesley Gryk. Comme d'autres groupes de défense des droits, Amnistie internationale avait critiqué cette procédure judiciaire, entre autres en raison du statut du TSI, mis sur pied par un gouvernement d'occupation.
Mais depuis, le gouvernement irakien a entériné les statuts du TSI, lui octroyant une plus grande légitimité. Et la procédure d'hier s'est déroulée selon les standards de la justice internationale, juge Wesley Gryk. " Le juge était très soucieux de laisser la parole à tout le monde, il avait une attitude très douce ", note cet homme qui estime qu'après les critiques, il est temps de donner une chance au TSI et d'espérer que tout va se dérouler " aussi bien qu'aujourd'hui ".
"Je suis le président de l'Irak." Je me réserve le droit constitutionnel de faire valoir mes droits de chef d'État et je refuse de répondre."-Saddam Hussein
"La raison pour laquelle ce pays est dans un tel état est qu'un seul homme a volé la volonté de 27 millions de personnes pendant 35 ans."- Leith Koubba, porte-parole du gouvernement irakien
"Je n'ai jamais vu un père aussi beau, courageux et fantastique. Qu'y a-t-il de plus beau qu'un lion qui résiste à l'occupation, sacrifie sa famille et sa position pour ses principes et son pays?"- Raghad, fille de Saddam Hussein
"Qui êtes-vous? Que voulez-vous? Avez-vous déjà été juge?"
Je ne reconnais pas votre autorité parce que tout ce qui est fait dans ce tribunal est infondé."-Saddam Hussein
" VOUS SAVEZ BIEN QUE JE NE ME LASSERAI PAS "
Voici un extrait du dialogue musclé entre l'ancien dictateur Saddam Hussein et son juge, Rizgar Mohammed Amine.
Saddam Hussein : Ceux qui ont combattu pour la cause de Dieu seront victorieux.
Rizgar Mohammed Amine : M. Saddam, s'il vous plaît, déclinez votre identité... Vous avez suffisamment de temps pour dire ce que vous voulez et exprimer votre pensée. Mais ce tribunal a une procédure et vous devez la suivre. SH : Qui êtes-vous ? Que faites- vous ici ? Je ne répondrai pas à ce prétendu tribunal. Et je me réserve mes droits constitutionnels comme président de l'Irak. Je ne reconnais pas votre autorité parce que tout, ici, est infondé. Avez-vous
déjà été juge ?
RMA : Il n'y a pas de place pour ce discours dans ce tribunal.
SH : Je suis dans ce tribunal militaire depuis 2 h 30 ce matin (...) Vous me connaissez et vous savez bien que je ne
me lasserai pas.
RMA : Je suis ici pour vous demander votre identité.
SH : J'ai répondu à cette question par écrit.
RMA : M. Saddam, allez-y, êtes-vous coupable ou innocent ?
SH : J'ai dit ce que j'ai dit, je ne suis pas coupable, je suis innocent.