AP
Avec le peu de moyens à sa disposition, un homme rassemblait hier toutes sortes d'objets chariés par les flots, du côté de Slidell, près de La Nouvelle-Orléans.
Le bilan s'alourdit, le danger augmente
Gruda, Agnès; Girard, Mario
Louisiane - Tandis que La Nouvelle-Orléans devient carrément invivable et que la police municipale et la Garde nationale achèvent de sillonner la ville à la recherche de survivants, de plus en plus de signaux indiquent que le bilan de l'ouragan Katrina sera beaucoup plus lourd que tout ce que l'on a pu imaginer depuis 10 jours.
Pour l'instant, les décomptes officiels évoquent 337 morts, dont 118 en Louisiane. Mais les autorités se préparent au pire.
L'agence américaine responsable des mesures d'urgence, la FEMA, a entrepris d'acheminer 25 000 sacs destinés à transporter des cadavres vers le sud de la Louisiane, selon un porte-parole du ministère de la Santé de cet État, Bob Johannessen.
Le nombre de survivants encore coincés, volontairement ou pas, dans la ville inondée, a lui aussi été revu à la hausse. Selon Charles Parent, chef du service d'incendie de la Ville, ils seraient entre 10 000 et 15 000.
Une accalmie régnait hier dans La Nouvelle-Orléans où quelque 15 000 policiers et militaires- 63 000 soldats ont été déployés dans les régions sinistrées- venus de tout le pays assuraient la sécurité. L'armée a entrepris de désarmer tous les civils, même ceux qui détiennent un permis de port d'arme. Pour l'instant, les gardiens privés embauchés par les commerçants semblaient échapper à cette directive.
Même si l'eau continuait de baisser, pompée à une cadence de 11 000 pieds cubes à la minute, 60 % de la ville était toujours inondée. Ce chiffre circulait depuis quelques jours, mais le porte-parole du Génie militaire l'a confirmé hier.
Trop tard
Les secouristes qui ont entrepris d'explorer une des paroisses les plus affectées de l'agglomération de La Nouvelle-Orléans, Saint-Bernard, arrivent de plus en plus souvent trop tard. Il y a deux jours, ils sont entrés dans un centre d'accueil, le St. Rita Nursing Home, pour y trouver une trentaine de vieillards morts.
Un secouriste de l'Ohio qui tentait de retracer les survivants dans la paroisse de Saint-Bernard a confié hier qu'il y trouvait surtout des cadavres. Dont celui d'un homme qui semblait être mort très récemment, son chien toujours vivant veillant à ses côtés.
Les survivants sont de plus en plus en danger, avec la dégradation galopante de l'eau dans laquelle baignent les maisons inondées. Les autorités de la Louisiane demandent à toute personne qui est entrée en contact avec cette eau chargée d'égouts et de plomb de se faire décontaminer aussi vite que possible.
Des policiers et des militaires attendaient hier de recevoir un vaccin antitétanique dans une clinique installée par des membres de l'Église de scientologie devant le Casino Harrah's, dans le centre-ville.
" Les gens souffrent de plus en plus de déshydratation sérieuse, et plus les jours avancent, plus les eaux sont corrompues ", a averti Juliette Saussy, porte-parole de la santé publique de la Ville, au cours du point de presse quotidien à l'hôtel de ville de La Nouvelle-Orléans.
Plus le temps avance, plus les rescapés sont mal en point. Ceux que l'on a secourus depuis deux jours dans la paroisse de Saint-Bernard ont des cloques et leur peau a changé de couleur, selon un officier local, Anthony Fernandez.
À La Nouvelle-Orléans même, la police et la Garde nationale ont réussi à inspecter 80 % des résidences, au cours d'un sinistre porte-à-porte où les maisons où gisent des cadavres sont marquées d'un code qui permet à une firme privée de les repérer pour récupérer les corps.
Mais de grands pans des paroisses voisines, comme Saint-Bernard et La Nouvelle-Orléans-Est, demeurent inaccessibles autrement que par la voie des airs.
Malgré l'ordre d'évacuation forcée diffusé mardi par le maire de La Nouvelle-Orléans, la police préférait achever hier l'évacuation de personnes souhaitant quitter leurs maisons. L'évacuation forcée pourrait commencer dans deux jours. Et les policiers vont procéder avec un " minimum de force ", selon leur chef Eddie Compass.
Reste que les policiers se font de plus en plus insistants, selon ce qu'a confié à La Presse l'officier Lee Zambito. Ce dernier est entré dans un foyer de vieillards de La Nouvelle-Orléans-Est pour y rencontrer une vingtaine de vieux récalcitrants. " Nous avons été un peu plus agressifs ", a-t-il confié. Finalement, le groupe a pu être évacué.
Selon M. Zambito, une poignée d'irréductibles refusant de quitter la ville se terre encore dans le Convention Center, qui a été officiellement fermé aux évacués.
Selon un couple croisé à La Nouvelle-Orléans hier, Emile Cola, 52 ans, et Vanessa McIntosh, 48 ans, les policiers et militaires n'ont pas montré beaucoup de délicatesse pour les convaincre de quitter leur maison. " Ils nous ont donné toutes sortes d'arguments, y compris qu'un nouvel ouragan allait frapper la ville. "
Illustration(s) :
The New York Times
Même si l'eau continuait de baisser, pompée à une cadence de 11 000 pieds cubes à la minute, 60 % de La Nouvelle-Orléans était toujours inondée. Dans les rues d'où l'eau a été évacuée, on assiste à un spectacle désolant où les poissons se mêlent aux déchets de toute sorte.
LES ÉVACUATIONS FORCÉES ONT COMMENCÉ
"On m'a traité comme un criminel"
Gruda, Agnès; Girard, Mario
Louisiane - La Nouvelle-Orléans a pris les allures d'une ville en état de siège, hier, alors que la police locale entreprenait d'arracher les derniers survivants de l'ouragan Katrina à leurs maisons qui baignent dans une eau de plus en plus dangereuse pour la santé. Une certaine confusion régnait hier sur le sort des 10 000 irréductibles qui ont choisi de rester chez eux, dans une ville privée d'électricité, de communications et d'eau courante.
Les autorités locales ont annoncé qu'elles utiliseraient " toute la force nécessaire " pour évacuer tous les résidants, même ceux qui habitent des maisons asséchées et n'ayant pas subi de dommages graves. Mais des policiers qui patrouillaient les rues inondées affirmaient n'avoir pas encore reçu l'ordre de recourir à la force. " Nous attendons toujours le feu vert ", a dit l'agent A.J. Rodriguez rencontré dans le principal point d'évacuation de Carrolton District.
Pourtant Elliott Smith, 57 ans, qui vivait seul dans ce quartier de La Nouvelle-Orléans, trouve que les secouristes n'ont pas mis de gants. " Ils m'ont dit de prendre mes affaires et de partir, sinon je risquais d'être mis en prison ", rageait-il hier après-midi. Assis sur le talus où il attendait avec ses deux valises qu'un camion d'évacuation vienne le chercher, Elliott Smith fulminait. " On m'a traité comme un criminel. Je suis le propriétaire de cette maison, j'ai le droit de rester là si je veux ", s'indignait-il.
Un peu plus loin, une femme dans la quarantaine poussait un chariot transportant des sacs, des valises et deux chiens dans une cage. Elle aussi affirme que la police ne lui a pas laissé le choix. " Ils ont frappé brutalement à ma porte avec un fusil et ils m'ont dit que je devais partir absolument, J'ai eu peur ", a-t-elle confié.
Pourquoi les derniers habitants de cette ville quasi déserte, où il n'y a pas un seul magasin ouvert, et qui baigne dans une eau remplie de bactéries et de contaminants chimiques, s'entêtent-ils donc à rester?
Risques pour la santé
Hier encore, les autorités médicales mettaient les habitants en garde contre les risques d'un simple contact avec cette eau charriant des égouts, de l'essence et du plomb. Et on rapportait cinq cas de personnes mortes d'infections contractées dans cette eau insalubre.
" La plupart continuent à croire que la situation s'améliorera rapidement. Et puis, ils ne savent pas où aller ", observe l'agent Rodriguez. D'autres secouristes notent que les gens sont réticents à quitter leurs maisons parce qu'ils ont peur qu'elles soient dévalisées, qu'ils imaginent qu'ils s'y trouvent mieux que dans un refuge collectif, et aussi parce qu'ils ne veulent pas abandonner leurs animaux domestiques.
Une arme de poids Pour survivre dans un environnement aussi hostile, ces irréductibles ont besoin d'aide pour s'approvisionner en eau et nourriture. Les équipes de secours ont donc une arme de poids pour les convaincre de partir. Jusqu'à maintenant, aucune source officielle n'a confirmé que l'on ait cessé de leur fournir ces denrées essentielles pour les inciter à sortir.
Mais l'agent A. J. Rodriguez est catégorique: " On ne leur donne plus d'eau ou de nourriture, cela les encouragerait à rester ", dit-il, alimentant ainsi une rumeur qui circule dans la ville fantôme.
Ramona Jennings, shérif de l'État de New York, affirme employer plutôt la méthode douce: " On communique beaucoup avec les gens qui refusent de sortir. C'est très dangereux de rester. On a vu des gens laver leurs vêtements dans l'eau, ils ne réalisent pas qu'il y a plein de bactéries, d'animaux morts et de cadavres ", s'inquiète-t-elle.
Les deux policiers notent ne pas avoir vu énormément de corps flotter dans l'eau. Une douzaine à peine, estime l'agent Rodriguez. " Mais les corps, après être remontés, finissent pas redescendre. C'est dur à dire, mais il faudra attendre que les eaux se retirent pour les retrouver ", croit Mme Jennings.
Même si l'eau qui s'est déversée sur la ville après la rupture de trois digues continue à refluer, le travail des secouristes demeure compliqué. Ils ne peuvent pas atteindre tous les quartiers inondés, entre autres en raison des arbres tombés qui bloquent le passage des jeeps et des bateaux, note Jeremy Guillemette, shérif de l'État de la Louisiane.
Tous prévoient que la grande opération d'évacuation sera lancée aujourd'hui. En attendant, la police et l'armée tentaient hier de réinstaurer un peu d'ordre dans la ville. Les hommes en uniforme étaient omniprésents, et les convois de jeeps et de humvees quadrillaient la ville.
Journalistes bloqués
À midi, ils ont tenté de bloquer un groupe de journalistes, dont l'envoyé spécial de La Presse, qui tentaient d'entrer dans La Nouvelle-Orléans. " Tous ceux qui ne sont pas engagés dans l'opération de secours doivent quitter la ville ", a averti le maire Ray Nagin. Ce dernier s'appuie sur une loi de la Louisiane pour soumettre sa ville à la loi martiale. " Les risques d'incendie et de maladie ne nous laissent plus le choix ", martèle-t-il.
Pour reprendre en main une ville qui glisse vers l'anarchie, l'organisation fédérale responsable des situations d'urgence, la FEMA, a annoncé hier avoir conclu une entente avec le FBI pour recréer le corps de police de La Nouvelle-Orléans, décimé par des démissions massives.
SAUVER PITOU
Il n'y a pas que les humains. De nombreux animaux domestiques, prisonniers des maisons inondées, risquent de mourir de faim, de soif et de maladie. Leurs propriétaires ont été évacués, mais n'ont pas eu le droit de les emmener avec eux. Une équipe de la compagnie Code Three Associates, de concert avec la SPCA, a donc entrepris de sillonner les rues transformées en rivières à la recherche de chats, de chiens et de perroquets coincés dans leurs maisons submergées. Selon un des responsables de cette opération, Warren Craig, cette équipe de secours dispose d'une liste de 2000 adresses, qui s'allonge sur une centaine de pages. Mais il y a animal et animal...Hier au point de secours de Carrolton District, les secouristes ont eu la surprise de voir débarquer un beau gros cochon de 135 kg. Lorsqu'il a été poussé dans l'embarcation, celle-ci a failli chavirer. Mario Girard et Agnès Gruda
KATRINA EN CHIFFRES
63 000 militairesdont 45 000 gardes nationaux et 18 000 militaires actifs sur le terrain pour évacuer La Nouvelle-Orléans.
60% de la ville reste inondée, elle a d'abord été inondée à 80%
160 000, le nombre de maisons irrécupérables
235 000, le nombre de sinistrés dans des foyers d'accueil dispersés dans de nombreux États.
200 000 élèves de la Louisiane sont sans école
50 milliards US la nouvelle somme que demande GeorgeW. Bush au Congrès américain
2,8 millions CAN en dons la Croix-Rouge canadienne a amassé cette somme en cinq jours.
Cinq jours après le tsunami, elle avait obtenu du public plus de 26 millions.
400 000 emplois perdus et un point de croissance à l'économie américaine
178 Canadiens qui se trouvaient dans le coeur de l'ouragan ont survécu au passage de Katrina .
62 autres, dont plusieurs résidants permanents, demeurent introuvables.
30, le nombre de personnes âgées retrouvées mortes, selon CNN dans un centre d'accueil d'un quartier de La Nouvelle-Orléans.