La justice masquée
Gruda, Agnès
Scène un, prise deux. Après cinq semaines d'ajournement, le procès de Saddam Hussein et de sept de ses anciens collaborateurs reprend demain à Bagdad.
Les procédures avaient été suspendues après une seule journée d'audience en octobre, parce que le témoin prévu pour cette journée-là avait refusé de se rendre au tribunal, de crainte de se faire assassiner au détour d'une ruelle.
On le comprend. Les Irakiens ne badinent pas avec la justice. Dès le lendemain, un avocat de la défense avait été kidnappé et abattu. Puis deux de ses collègues ont été la cible d'un attentat. Un des deux hommes y a laissé sa vie.
Contrairement aux juristes de la poursuite, l'équipe de défenseurs de Saddam Hussein n'avait alors droit à aucune protection. Ils se sentaient si vulnérables que, lorsque les procureurs se sont rendus interroger un témoin hospitalisé, pas un seul avocat de la défense n'a assisté à l'audience !
Après les deux assassinats, ces avocats en ont eu assez : ils ont menacé de boycotter le procès. Une entente de dernière minute, qui autorise les avocats de la défense à employer des gardes armés a finalement mis un terme au suspense.
À moins d'un événement imprévu, le procès reprendra donc demain matin, dans l'ancien quartier général du parti Baas, symbole honni de la dictature de Saddam Hussein. Quant aux témoins, ils pourront porter un masque ou alors comparaître derrière un écran.
Le dictateur et ses anciens sbires pourront donc être jugés pour le rôle qu'ils ont joué dans le massacre de Doujaïl, en 1982. Plus de 140 personnes avaient alors été abattues en guise de représailles après un attentat raté contre Saddam Hussein.
Mais faut-il vraiment se réjouir que ce procès ait lieu? L'ancien président irakien a sur la conscience des crimes bien pires que celui qu'on lui reprochera demain. Tant que ces crimes ne seront pas exposés publiquement, tant que les fautes ne seront pas expiées, l'Irak pourra difficilement tourner la page sur ce passé douloureux.
Malheureusement, ce procès masqué a peu de chances d'aider les Irakiens à franchir ce pas. D'abord, parce que malgré toutes les précautions prises protéger tous les acteurs de ce procès, celui-ci s'ouvre dans un carcan de peur. Tous les acteurs risquent leur peau dans ce procès. Où est la sérénité nécessaire à l'exercice de la justice?
Mais plus on déploie de précautions, plus on risque d'aboutir à une justice tronquée. L'une des craintes de l'organisation Human Rights Watch, qui suit ce procès à la trace, c'est que dans l'obsession de protéger les témoins, on omette de dévoiler leurs noms aux avocats de la défense... qui n'auraient alors aucun moyen de préparer leurs interrogatoires.
On verra comment les choses se dérouleront demain, mais le simple fait qu'un critère d'équité aussi fondamental ne soit pas garanti en dit long sur cette justice de guerre.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Contrairement aux procès de Nuremberg, dont on commémore ces jours-ci le 60e anniversaire, contrairement aux autres procès au cours desquels on a jugé des dictateurs de tout acabit, le procès de Bagdad se tient dans un pays qui s'enfonce chaque jour un peu plus dans la violence.
La "zone verte" où a été établi le tribunal n'est qu'une vaste illusion, un tour de prestidigitateur visant à convaincre le monde que le nouvel Irak chemine vers une sorte de normalité quecontredisent chaque jour les bombes et les attentats.
On aurait pu échapper à ça en traduisant Saddam Hussein devant un tribunal international établi à l'extérieur du pays, comme on l'a fait dans le cas du Rwanda et de l'ex-Yougoslavie. Mais les États-Unis, qui ont poussé pourque ce procès ait lieu, ne reconnaissent pas la justice internationale. D'autant plus que celle-ci rejette la peine de mort.
Ces pressions elles-mêmes jettent une grosse ombre, politique celle-là, sur le procès. C'est que l'administration Bush voudrait bien commencer à retirer ses soldats de l'Irak. Mais pour s'en aller, encore faut-il donner l'impression d'avoir réussi quelque chose.
Il y a quelques jours, un Irakien de 13 ans s'est fait exploser à Kirkuk, dans le nord du pays. Ce n'est pas tout à fait une image de mission accomplie.
En revanche un beau procès, avec un dictateur pendu haut et court... voilà qui finirait l'aventure américaine en Irak sur une jolie note bien positive.
COUP D'OEIL
- 8 juillet 1982 : massacre à Doujaïl
- 10 décembre 2003: création du Tribunal spécial irakien
- 13 décembre 2003: capture de Saddam Hussein
- 19 octobre 2005 : ouverture du procès
agruda@lapresse.ca
Salubrité: le Québec est très en retard
Gruda, Agnès
" Il y a encore des salles d'accouchement sans lavabos pour se laver les mains! "
L'infirmière française Isabelle Fontaine a travaillé pendant trois ans, de 2002 jusqu'au printemps dernier, dans des hôpitaux montréalais. Elle a " fait " des départements de neurologie, de gériatrie, d'obstétrique. L'expérience l'a traumatisée...
" Je suis tombée à la renverse en voyant qu'au XXIe siècle, il y a encore des salles d'accouchement sans lavabos pour se laver les mains! " s'exclame-t-elle.
Elle était aussi sidérée de constater que les jeunes infirmières aient si peu de connaissances en matière de produits antiseptiques. " En France, on nous enseigne les différences entre les divers types de désinfectants. Après tout, à la maison, on ne lave pas sa table avec du démaquillant! "
Isabelle Fontaine a beaucoup rouspété, elle a quitté successivement deux hôpitaux, puis a fait sa valise pour s'établir dans un hôpital de Moncton, sur lequel elle ne trouve rien à redire.
Depuis, les hôpitaux québécois ont pris le virage salubrité. Mais ils partent de loin. " Il nous manque encore plusieurs coches au Québec ", dit le responsable de la salubrité de l'institut Philippe-Pinel, Paul-Émile Trudeau. L'an dernier, cet ingénieur a fait une étude sur les désinfectants utilisés dans les hôpitaux. Conclusion: en règle générale, les préposés ne les laissaient pas reposer assez longtemps avant de les essuyer, ce qui les rend inefficaces.
M. Trudeau a par la suite fait un stage en salubrité à Strasbourg, en Alsace. Il en est revenu avec un gros regard critique sur le Québec. " Nos médecins travaillent encore avec des manches longues. Ils se lavent les mains, mais laissent traîner leurs manches sur les patients ", dit-il.
Plus important, en France, chaque hôpital est rattaché à un centre local d'infections nosocomiales. " Tout est systématisé, les infections sont déclarées, dès qu'il y a un dérapage, on intervient. "
Au Québec, seul le C. difficile est pour l'instant soumis à un système de surveillance. Le ministère de la Santé compte étendre ce système à deux autres bactéries, l'ERV (entérocoque résistant à la vancomycine) et le SARM (staphylocoque doré résistant à la méthicilline), dès l'an prochain. Mais de nombreuses autres bactéries peuvent être transmises lors d'un séjour à l'hôpital. Et la maladie nosocomiale la plus fréquente demeure l'infection urinaire.
Autre problème: il n'existe au Québec aucune norme sur les produits désinfectants, souligne l'infectiologue de l'hôpital du Sacré-Coeur, Gilbert Pichette. " Les solutions alcoolisées ne sont pas toutes équivalentes. En Europe, elles répondent à des normes. Ici, nous sommes à la merci des manufacturiers. "
M. Pichette entreprend d'ailleurs un projet de recherche, avec l'Université de Montréal, pour mesurer l'efficacité des produits utilisés couramment dans les hôpitaux de la province.
Employé d'entretien, un métier pris au sérieux
Gruda, Agnès; Hachey, Isabelle
Il y a quelques années, Yvan Castonguay, directeur du service de la salubrité à la Cité de la Santé, à Laval, a revêtu les habits des employés d'entretien et passé la journée à passer la vadrouille.
" J'ai été complètement ignoré, il n'y avait aucun respect pour mon travail ", se rappelle-t-il.
Depuis la crise du Clostridium difficile, les choses ont changé. " Les employés d'entretien ne sont plus des moppeux, mais des préposés à la salubrité. C'est devenu un métier. Ils doivent connaître les produits de désinfection et les concentrations nécessaires. "
Mais les préposés à l'entretien ont-ils été formés pour ces nouvelles responsabilités?
L'institut Philippe-Pinel, où sont hospitalisés des hommes souffrant de maladies mentales, offre une certification maison pour ses employés d'entretien. À la fin du processus, ils sont soumis à un test ultime: désinfecter une chambre devant leur " patron ", Paul-Émile Trudeau.
" C'est pour simuler la pression qu'ils vont subir lorsqu'ils vont arriver devant un médecin ou des infirmières ", explique M. Trudeau. Ces hommes qui n'ont souvent qu'un diplôme de cinquième secondaire doivent apprendre à imposer leur autorité au personnel médical.
D'autres hôpitaux ont mis au point leur formation maison. Mais dès janvier, les futurs préposés à la salubrité auront accès à un nouveau programme, dispensé au collège de Shawinigan. Le cours, intitulé Hygiène et salubrité en entretien sanitaire, s'adresse aux diplômés du secondaire et n'existe nulle part ailleurs au Québec. Il s'agit d'une attestation d'étude collégiale d'une durée d'un an.
Alice Guillemette, enseignante en soins infirmiers, a eu l'idée de cette formation en regardant le bulletin télévisé, un soir d'automne 2004, en pleine crise de C. difficile. " Je n'en ai pas dormi de la nuit! Le lendemain, j'en ai parlé à la direction du collège. "
Il était plus que temps qu'un tel programme voie le jour, estime Mme Guillemette. " En ce moment, les préposés à l'entretien n'ont absolument aucune connaissances. La bactérie C. difficile, ils ne savent tout simplement pas ce que c'est. En suivant ce cours, ils auront une formation spécifique et pourront faire leur travail sans risque dans les unités d'isolement. "
Cherchez l'infirmière...
Gruda, Agnès
Pour combattre les infections nosocomiales, les hôpitaux devraient embaucher une infirmière spécialisée pour 133 lits, recommandait en avril dernier un important rapport sur les maladies contractées à l'hôpital, signé par Léonard Aucoin.
Fort bien, mais où les trouver?
" Ce n'est pas facile ", dit l'infectiologue de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, Ewa Sidorowicz. Cet établissement a récemment ouvert un poste d'infirmière en prévention des infections. Mais à peine trois infirmières ont posé leur candidature. Et pas une seule n'avait la formation requise.
" Les infirmières épidémiologistes, c'est une denrée rare. Et pour en former une, cela prend plusieurs semaines, quand ce n'est pas des mois ", dit Mme Sidorowicz.
Pour pallier cette lacune, l'Institut national de la santé du Québec offre, dès cet automne, des sessions de formation de 80 heures étalées sur deux semaines à une quarantaine d'infirmières qui s'occupent déjà de prévention dans des hôpitaux.
Ces infirmières surveillent les pratiques quotidiennes, forment les autres infirmières, mesurent jour après jour les besoins de l'hôpital. Selon Isabelle de Corre, infectiologue à l'hôpital Charles-LeMoyne, elles sont au coeur de la grande chasse aux bactéries.