Le Maple Leaf Bar
Une atmosphère de désolation régnait aussi sur les quartiers qui ont échappé à l'inondation. Toutes les rues sont désertes et les commerces fermés. Le propriétaire du Maple Leaf Bar, célèbre pour ses concerts de musique cajun, a passé la semaine à protéger son établissement contre d'éventuels bandits. Il y avait eu des tirs d'armes à feu dans son voisinage, il s'est procuré un pistolet qu'il porte discrètement dans la poche de son pantalon.
Il est très difficile de circuler dans cette ville coincée entre la rivière Mississippi et le lac Pontchartrain. Que l'on aille au sud ou au nord, on finit toujours par aboutir sur une rue inondée. Même l'Interstate 10, principale voie d'accès à la ville gît encore dans l'eau par endroits.
Parmi les derniers rescapés de La Nouvelle-Orléans, on retrouve beaucoup d'éclopés: des handicapés en fauteuil roulant, des vagabonds, des gens manifestement seuls et qui n'ont nulle part où aller.
La métropole louisianaise n'a pas fini de ressembler à une ville fantôme. Cela pourrait prendre jusqu'à 90 jours pour pomper l'eau qui coupe la ville en zones sinistrées. En attendant, il n'y a ni service d'eau, ni électricité, ce qui rend la vie impossible dans la chaleur moite de la Louisiane.
Comment reconstruire une vie brisée?
Gruda, Agnès
Houston, Texas - Après avoir passé deux jours à l'Astrodome de Houston parmi 15 000 autres évacués de La Nouvelle-Orléans, William Addison, 20 ans, et son frère Brandon, 18 ans, ont décidé de chercher un boulot. Hier matin, ils ont offert leurs services au supermarché Fiesta, situé dans un centre commercial voisin du vieux stade de football.
Mais comment remplir un formulaire d'embauche quand on n'a plus rien, pas d'adresse, pas de numéro de téléphone, pas une seule carte d'identité? " Je ne savais pas quoi écrire. Fallait-il donner comme adresse celle de La Nouvelle-Orléans? Ou plutôt l'Astrodome? " se demande Brandon, encore étonné de s'être retrouvé du jour au lendemain aussi démuni.
Mercredi dernier, William et Brandon devaient reprendre leurs études à l'Université Tulane, à La Nouvelle-Orléans, le premier en finance, le second en administration. Mais ce jour là, le campus a été pris d'assaut par des réfugiés fuyant les flots libérés par la rupture des digues.
Après avoir nagé dans les rues inondées où flottaient de nombreux cadavres, après avoir attendu debout pendant 24 heures avant de pouvoir monter à bord d'un autobus, les deux frères ont fini par débarquer à Houston. " Tous nos papiers sont sous l'eau ", dit Brandon.
Hier, les deux frères se disaient que leur année universitaire était à l'eau elle aussi. L'État du Texas leur offre des réductions sur les droits de scolarité, mais même diminuée, la facture serait trop lourde.
C'est qu'à Tulane, leur mère occupe un poste dans l'administration universitaire, ce qui leur vaut une instruction gratuite.
" Si nous voulons poursuivre nos études, nous devons rentrer chez nous, mais ce ne sera sûrement pas possible avant janvier ", dit Brandon. Alors ils se font à l'idée de vivre un temps à Houston et ont hâte d'éplucher la liste d'appartements gratuits qui seront bientôt mis à la disposition des évacués.
Les mains vides
William et Brandon ne sont pas les seuls à s'être trouvés tout à coup sans autre preuve officielle d'existence que le bracelet rose distribué aux évacués. La majorité des 200 000 rescapés qui ont trouvé abri dans les refuges et les hôtels de Houston sont arrivés au Texas les mains vides. Aujourd'hui, ils commencent à peine à rafistoler les fils de leur vie brisée.
Renell Williams, 28 ans, est arrivée à Houston jeudi avec ses trois enfants âgés de 13, 4 et 2 ans. Vendredi, un homme a inscrit le nom de son plus vieux, Nelson, sur une liste d'enfants qui pourront aller dès mardi dans une école de Houston. Oui, elle a hâte que son fils retourne à l'école. Mais pour l'instant, pour Renell, les vraies priorités sont ailleurs.
" Quand l'eau a commencé à monter, j'ai pris mes deux plus petits dans mes bras pour nager jusqu'au deuxième étage de la maison. Je n'ai rien pu emporter d'autre ", raconte la jeune femme, assise sur son lit de camp vert au milieu de l'ancien terrain de jeu des Astros de Houston.
Autour d'elle, il y a des tout-petits en couche, des vieux effondrés sur leurs lits de toile, des enfants qui cherchent à tuer le temps en jouant avec de la pâte à modeler- une ville grouillante de réfugiés comme on en voit au cinéma ou aux nouvelles.
Nelson finira bien par aller à l'école, mais pour l'instant, il doit récupérer: mercredi, fiévreux et tremblant, il s'était évanoui en plein milieu du centre des congrès de La Nouvelle Orléans.
Et puis Renell doit vérifier ce qui arrive avec ses économies déposées dans une banque de La Nouvelle-Orléans. Pour l'instant, le système électronique de la banque est hors service. " On m'a donné un numéro où je dois appeler pour voir si je peux avoir accès à mon argent ", raconte-t-elle. Inutile de préciser qu'elle n'a ni carte de guichet, ni livret de banque.
" Tous ces gens doivent reconstituer le contenu entier d'un sac à main ",constate Paul Bettencourt, percepteur fiscal du comté texan de Harris et porte-parole du comité de crise à Houston. Même pour obtenir l'aide de l'Agence fédérale de gestion des situations d'urgence (FEMA), les rescapés devront faire la preuve de leur identité. On leur demande de fournir au moins leur numéro d'assurance sociale.
Critiquée de toutes parts pour la lenteur avec laquelle elle a réagi à la tragédie, la FEMA affirme qu'elle a déjà commencé à enregistrer les victimes, qui auront droit à des allocations de subsistance. Pas question toutefois de compenser les pertes des familles- celles qui ne sont pas assurées, et elles sont nombreuses, vont devoir repartir à zéro.
Tant qu'à tout recommencer, pourquoi ne pas s'installer ailleurs, dans une région où l'on ne vit pas sous la menace constante de l'océan, se demandent de nombreux réfugiés. " Dès que j'aurai réuni toute ma famille, je m'installe à Houston ", assure Tara Taylor, une mère de trois enfants âgée de 29 ans. Pour l'instant, la jeune femme cherche ses parents malades- sa mère, surtout, qui souffre de diabète et d'emphysème. " Je n'ai plus rien vers quoi retourner là bas ", dit-elle, les yeux rouges de fatigue et de larmes.
Towanda Otis est tout aussi catégorique. Cette jeune maman de 20 ans, qui a dû s'enfuir de chez elle avec un bébé d'une semaine dans les bras, ne se sentirait plus en sécurité à La Nouvelle-Orléans: " Moi, je ne retourne pas. S'il y a un autre ouragan, la ville se trouvera une fois de plus sous l'eau ".
La chronique ironique qui voit et entend tout... à sa façon
Gruda, Agnès; Noël, André; Thibodeau, Marc; Bellavance, Joël-Denis
AFP; PC; BBC; AP
DES CHIFFRES QUI PARLENT
5
Nombre de fois que les élèves d'une école particulièrement mouvementée de Grande-Bretagne peuvent utiliser des jurons avant d'être réprimandés.
40 000
Nombre de personnes ayant participé cette semaine, dans le sud-est de l'Espagne, à la "Tomatina", une bataille de tomates mûres. Une idée de passe-temps pour les sinistrés de La Nouvelle-Orléans?
700
Nombre de femmes ayant contacté un fermier divorcé de l'État de New York qui a installé dans un de ses champs une petite annonce avec des lettres de 15 mètres formées de tiges de maïs.
ICI ET AILLEURS
ÉTATS-UNIS
Sus à la tendresse
Qui a dit que la tendresse ne tuait pas? D'accord, personne. L'expression n'existe pas et c'est une bonne chose puisqu'elle ne tient pas la route face aux agissements de Christopher Offord, un citoyen de Floride condamné à mort au début du mois pour avoir tué sa femme à coups de marteau. La pauvre avait eu l'outrecuidance de lui demander un câlin après avoir fait l'amour, s'est plaint
M. Offord, qui a plaidé coupable. "Son désir d'avoir des câlins après avoir fait l'amour ne justifie pas cette extrême violence, cette réponse brutale", a expliqué la juge, qui ne recule pas devant les évidences.
GRANDE-BRETAGNE
Au pied, chéri!
Comment amener un mari un peu rebelle à se comporter correctement? En utilisant des techniques de dressage de chiens, évidemment. L'idée, en tout cas, a séduit la BBC, qui a créé une émission où une femme spécialisée dans l'entraînement canin aide les auditrices à triompher des habitudes inappropriées de leur mari, comme leur refus de participer aux tâches domestiques. "Nous n'avons jamais eu l'intention d'insulter qui que ce soit, mais nous reconnaissons que certains auditeurs ont trouvé le programme inapproprié et nous sommes désolés", a indiqué la chaîne britannique dans un communiqué.
ILS, ELLES ONT DIT...
Indignée
"Je ne traite pas mon chien comme ça."
- Daniel Edwards, un résidant de La Nouvelle-Orléans, en montrant le cadavre d'une vieille femme dans une chaise roulante.
Responsable
"Si j'avais eu devant moi les faits et si j'avais su que Maher Arar était traité de manière inhumaine, j'en aurais fait part à la centrale (Ottawa) qui, elle, aurait dû agir."
- Le consul du Canada à Damas, Léo Martel, expliquant pourquoi il n'a pas sonné l'alarme sur les mauvais traitements subis par M. Arar durant sa détention en Syrie.
Jovialiste
"Du point de vue personnel, la perte de vie humaine est tragique. Mais du point de vue économique, nos recherches démontrent que les ouragans ont tendance à devenir de véritables dons de Dieu en matière de création d'emploi."
- Doug Woodward, professeur d'économie de l'Université de la Caroline du Sud. On le met au défi d'aller répéter ça dans les rues de La Nouvelle-Orléans.
Tordant
"Je ne voyais pas cela comme un passif, je voyais cela comme une bonne chose."
- Michel Fragasso, l'un des principaux dirigeants de Norbourg, qui affirme avoir
été "rassuré" de savoir que l'Autorité des marchés financiers enquêtait sur
l'entreprise, aujourd'hui au coeur d'un scandale financier.
EN HAUSSE... EN BAISSE
- PAUL MARTIN
Après quelques jours de réflexion, de longues discussions avec ses conseillers, une mise en garde de l'ambassadeur américain au Canada et peut-être même quelques sondages (on exagère à peine), le premier ministre a conclu qu'il était préférable de ne pas parler du dossier du bois d'oeuvre lors d'un appel de condoléances au président George W. Bush. Un diplomate né.
- LE BASEBALL
On croyait qu'un bon politicien se distingue par ses idées, son sens de l'initiative, sa capacité d'analyse. Non, un bon politicien est un homme qui connaît bien le baseball, a-t-on appris cette semaine grâce à l'ancien ambassadeur américain Paul Celucci, qui relate dans un nouveau livre avoir été impressionné par le leader du Bloc québécois, Gilles Duceppe, en raison de sa connaissance approfondie de ce sport.
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"Je cherche ma mère, mon fils, ma fille et mes trois petites-filles"