Baton Rouge assiégé par les réfugiés de Katrina
Gruda, Agnès; Girard, Mario
Baton Rouge - Ne cherchez pas de chambre à louer à Baton Rouge: il n'y en a plus. Tous les hôtels affichent complet. Et plusieurs refusent toute réservation jusqu'en décembre.
Les familles qui se baignent dans les piscines extérieures de ces établissements ne sont pas là en vacances. Elles viennent toutes de La Nouvelle-Orléans, qu'elles ont dû quitter précipitamment pour fuir l'ouragan Katrina.
Pendant que les secouristes continuent à évacuer les maisons inondées de La Nouvelle-Orléans, pendant que l'on entreprend la tâche macabre d'identification des morts, ces réfugiés se préparent à s'installer pour de longs mois dans la capitale de la Louisiane, à une heure de route de leur ville dévastée.
Officiellement, 7000 personnes sont hébergées dans les abris administrés par la Croix-Rouge. Mais en réalité, les évacués sont partout: dans les hôtels, chez des amis ou dans des appartements loués.
Baton Rouge croule littéralement sous le poids de ces réfugiés. Leur nombre précis est inconnu, mais les démographes estiment qu'ils sont environ 400 000. En une seule semaine, la population de la ville a doublé. Le choc risque d'être d'autant plus brutal qu'il s'agit, dans une forte proportion, de familles pauvres, souvent dépendantes de l'aide sociale.
Et ce ballon démographique n'est pas près de se dégonfler. " Baton Rouge est devenue la ville la plus populeuse de la Louisiane et cette situation est là pour durer, peut-être de façon permanente ", a conclu récemment le maire de la ville, Waltar Monsour.
Darleng Harry, son frère Charles et ses trois enfants séjournent depuis une semaine à Quality Suites, petit hôtel avec des palmiers et une piscine à l'est du centre-ville.
Cette technicienne médicale qui travaillait à la banque de sang de La Nouvelle-Orléans s'apprête à passer l'année à Baton Rouge. Cette semaine, elle a inscrit ses deux plus vieux, âgés de 12 et 10 ans, dans une école de cette ville. Comme la plupart des enfants évacués de La Nouvelle-Orléans, ils entreront en classe lundi prochain.
Mais même à tarif réduit, Darleng Harry n'a pas les moyens de vivre longtemps à l'hôtel. Depuis le début de la semaine, elle cherche un appartement pour loger sa petite famille pendant un an. " Même quand l'eau se sera retirée, ça va prendre du temps avant qu'on puisse reconstruire notre maison. Après chaque ouragan, il y a des pénuries de matériaux et de main-d'oeuvre. Imaginez après Katrina ", dit-elle.
Mais ce n'est pas facile de trouver un appartement ces jours-ci à Baton Rouge. " Les agences de location ne rappellent même pas ", dit Darleng Harry. Et elle n'est pas convaincue qu'il s'agisse simplement d'une pénurie. " Les gens pensent que tous les habitants de La Nouvelle-Orléans sont des criminels. Pourtant, ce n'est qu'une poignée de gens qui ont dévalisé les magasins et tiré sur les secouristes ", déplore-t-elle.
Qu'elle ait raison ou pas, une chose est certaine: Baton Rouge n'était pas prêt à absorber du jour au lendemain cet intense afflux humain. Il se répercute entre autres sur le trafic: c'est du pare-chocs à pare-chocs du matin au soir. Les écoles de la ville font des pieds et des mains pour pouvoir accueillir la nouvelle clientèle.
Déjà 4000 enfants ont été inscrits sur la liste des nouveaux élèves de Baton Rouge. Pour pouvoir absorber le choc, les commissions scolaires envisagent de donner les cours en deux temps, ou alors de rouvrir de vieilles écoles désaffectées.
Elles ont aussi entrepris d'embaucher de nouveaux professeurs, psychologues et infirmières. Ce qui tombe bien: il y en a plusieurs parmi les réfugiés de La Nouvelle-Orléans.
Identifier les morts
Hier matin, un camion est entré dans le stationnement de l'hôtel de ville de Saint-Gabriel, municipalité voisine de Baton Rouge. Il s'est dirigé vers un entrepôt de brique rouge pour y déposer sa livraison: des cadavres repêchés dans les rues inondées de La Nouvelle-Orléans.
Des médecins légistes ont entrepris hier une tâche aussi pénible que gigantesque: identifier les corps des victimes de Katrina, de manière à ce que les familles puissent connaître leur sort et faire leur deuil. Les morts sont amenés vers un point de " collecte ", à l'intersection de deux autoroutes. Là, on recueille les premiers renseignements sur le défunt, avant de l'acheminer vers la morgue de Saint-Gabriel. Ils y subiront d'autres examens: tests ADN, empreintes digitales ou photos.
L'État de la Louisiane n'a pas encore décidé ce qu'il fera de ces corps en attendant que leurs proches, éparpillés aux quatre coins des États-Unis, les retrouvent. Il est question de les enterrer de façon temporaire.
Mais les secouristes qui quadrillent les rues inondées de La Nouvelle-Orléans cherchent encore, avant tout, les survivants. Dans les quartiers les plus touchés, il y en a dans environ une maison sur 30, a indiqué Ronnie Robinson, employé du ministère de la Chasse et de la Pêche de la Louisiane, qui participe aux opérations.
Quand les secouristes trouvent un mort, dans la moitié des cas, il s'agit d'un noyé. Il y en a tant que les responsables des travaux d'assèchement doivent prendre des mesures spéciales pour éviter que les cadavres ne viennent boucher les pompes qui vident l'eau recouvrant encore la moitié de La Nouvelle-Orléans.
L'autre moitié, ce sont des gens que l'on retrouve dans des greniers, morts de maladie, d'infections ou de déshydratation, selon les précisions de M. Robinson.
Des évacuations se poursuivaient hier dans quatre secteurs de la ville, où certaines rues sont encore couvertes de deux mètres d'eau. Dans un seul quartier, celui de Carrollton District, on a trouvé une vingtaine de personnes terrées chez elles dans la seule matinée d'hier.
Même si seulement 73 morts ont été officiellement confirmés (ce bilan n'inclut que les victimes qui ont été formellement identifiées), tous s'attendent à ce qu'ils se comptent par milliers. La morgue de Saint-Gabriel peut en recevoir jusqu'à 5000.
À la recherche des derniers survivants
Gruda, Agnès
La Nouvelle-Orléans - Les secouristes quadrillaient hier les quartiers encre inondés de La Nouvelle-Orléans à la recherche des derniers survivants de Katrina qui a déferlé sur la ville huit jours plus tôt.
Les survivants, hagards et épuisés, étaient placés à bord de bateaux ou évacués par les hélicoptères militaires qui sur- volaient la ville avec un bruit assourdissant.
Avec ses maisons placardées, ses arbres arrachés et ses rues désertes, cette ville de plus d'un million d'habitants a des allures de cité fantôme, où des spectres émergent de leur maison encerclée d'eau. La plupart des rescapés se montrent soulagés, mais certains quittent leur refuge contre leur gré, sous la pression de l'armée. Kevin Metz, 44 ans, était resté chez lui parce qu'il souffre de douleurs au dos: " J'aurais été incapable de marcher dans l'eau avec tous ces gens et puis j'étais en sécurité chez moi ", a-t-il raconté hier, en attendant que le camion militaire où il venait de prendre place l'amène à Laplace, en périphérie de La Nouvelle-Orléans.
Hier après midi, quelques dizaines de rescapés de la dernière heure attendaient leur évacuation dans le Garden District, un quartier de La Nouvelle-Orléans. Les secouristes passaient de porte en porte en bateau, à la recherche de survivants.
Angela Hubbard avait trouvé refuge chez des amis après avoir marché deux heures dans l'eau et failli se noyer en s'étranglant avec une ceinture de sécurité mal attachée. Quand elle a mis le pied sur la terre ferme hier, elle avait le regard vide. " Ç'a été terrible émotivement ", est-elle parvenue à marmonner.
Certains rescapés étaient conduits à l'aéroport de La Nouvelle-Orléans, transformé en une immense salle de triage doublée d'un hôpital. Hier, la plupart des 30 000 évacués qui ont transité au cours des derniers jours avaient déjà quitté les lieux. Mais les équipes médicales continuaient à recevoir de nouveaux patients.
Comme la famille de Yolanda Franklin- six personnes qui ont passé huit jours terrées dans une maison et qui ont dû voler de la nourriture pour survivre. Ou encore Joseph Woldfolk, vieil homme seul qui a passé la semaine à marcher dans les rues inondées, dormant sur des toits d'autos ou des talus.
Hier, il avait les genoux rouges et enflés pour avoir séjourné trop longtemps dans l'eau. Selon le Dr Christian Slone, c'est un problème fréquent chez les survivants de Katrina.
Premier retour
Pour la première fois hier, des évacués ont pu rentrer chez eux pour ramasser quelques effets et mesurer l'ampleur des dégâts. Seuls les résidants de Jefferson Parrish, une municipalité adjacente à La Nouvelle-Orléans, étaient autorisés à rentrer chez eux.
Certains ont roulé dès le milieu de la nuit pour prendre court-circuiter les bouchons qui s'étiraient sur plusieurs kilomètres hier matin. C'était le cas de Patricia Stewart, partie à 22 h 30 de Dallas où elle a fui l'ouragan. Mais cette femme relativement à l'aise, qui avait quitté La Nouvelle-Orléans avant le passage de Katrina, savait déjà par une voisine que sa maison avait été relativement épargnée. C'était le cas de nombreux autres rescapés qui ont pris la route hier pour retrouver leur maison peu touchées par l'ouragan.
Chacun vaquait au plus pressant. Un homme s'inquiétait pour ses six chats restés à la maison. Un autre se plaignait de la puanteur de la viande restée dans son congélateur pendant huit jours. Pendant ce temps, des quartiers entier baignaient encore dans l'eau insalubre.