L'histoire d'une conversion...
Gruda, Agnès
D'abord, il y a eu cette amie, une jeune femme dans la vingtaine qui a pris 25 livres après avoir arrêté de fumer et qui voulait retrouver sa silhouette d'origine. Une diététiste lui conseillait de manger tout ce qu'elle voulait, des desserts, du pain ou du chocolat. Tout, à la condition demanger à sa faim. Mais attention: à sa faim seulement.
Sa mère et moi, nous n'en revenions pas. "Trop beau pour être vrai", avons-nous tranché autour de notre rituel saumon poché-salade. Pas de riz, pas de patates, pas de pain, avionsnous l'habitude de lancer à l'heure du lunch au garçon qui se prenait la tête avec un air d'horreur. Encore les filles sans féculents...
Mais on ne nous la faisait pas, à nous. Nous n'étions pas nées du dernier régime. Depuis saint Montignac, nous savions tout sur les dangers de certaines combinaisons alimentaires. Des frites avec ça? Non, merci. Arrière, Satan!
Les sceptiques que nous étions ont été rapidement confondues. Tranquillement, ma jeune amie a perdu ses rondeurs. En un an, elle s'était débarrassée de ses kilos superflus. Mais surtout, elle a appris à faire confiance aux signaux que lui envoie son organisme. Elle mange quand elle a faim. Et cesse de manger lorsqu'elle est rassasiée.
Cela semble simple, mais ne l'est pas du tout, ai-je constaté quand j'ai finalement pris rendez-vous avec la diététiste qui avait rendu mon amie au corps qui était le sien.
Première découverte au bureau de Guylaine Guèvremont, une diététicienne qui s'appuie sur les signaux de faim et de satiété pour aider ses clients à retrouver leur poids : manger selon sa faim, c'est à la fois plus simple et plus compliqué qu'on le pense.
Plus simple, parce qu'on peut envoyer au diable bien des diktats. Non, il n'y a rien de mal à manger entre les repas. C'est même recommandé pour arriver au repas suivant avant de tomber d'inanition. Non, aucun aliment n'a la propriété intrinsèque de faire grossir. Même pas le vin? Non, même pas le vin. Voilà qui est bien...
Mais c'est aussi diablement compliqué. Essayez un peu pour voir. Après les amusegueule et le potage, avez-vous encore vraiment faim? Ou mangez-vous seulement parce que c'est ce qu'on attend de vous? Puis essayez donc de convaincre votre hôtesse que vous avez adoré son risotto, mais qu'un tiers d'assiette vous a suffi. Socialement, ça se digère mal...
Finalement, à force d'essayer, une réalité finit par émerger, ronde et alléchante comme une boule de crème glacée : les saveurs que l'on déguste lentement, les plats qui nous font plaisir ont la propriété de nous satisfaire mieux que 10 assiettes de saumon poché dont, au fond, on n'a pas la moindre envie.
C'est que la satiété, ce n'est pas juste une affaire de mécanique, ce n'est pas comme remplir un sac, explique la diététicienne. L'odorat, les papilles gustatives, tout est mis à contribution. Résultat (testé!) : quand on prend le temps de savourer, de plus petits plats suffisent pour nous rassasier. Finalement, on mange moins. Avec le temps, on se sent comme libéré. Et finalement, eh oui, un peu allégé.
La question à 100 millions
Gruda, Agnès
En novembre 1989, le roi Hussein de Jordanie a répondu à des protestations populaires en faisant élire une assemblée législative où les islamistes ont remporté près du tiers des sièges, entrant de plain-pied au gouvernement où ils ont même décroché quelques ministères.
Le temps a passé. Des ministres islamistes ont tenté d'édicter des règles strictes pour les femmes qui étaient loin d'applaudir à ces réformes. Des scandales de corruption ont éclaté. Aux élections suivantes, les islamistes ont été chassés du cabinet.
C'est un militant égyptien des droits de l'homme, Saad Eddin Ibrahim, qui cite cet exemple dans un article publié l'an dernier dans le New York Times. Intellectuel laïc, M. Ibrahim appelle à l'inclusion politique des fondamentalistes musulmans. D'abord, parce que ces groupes ont le droit à la représentation.
Ensuite, parce les organisations islamistes sont formées de courants plus ou moins radicaux. En les invitant à participer à la vie politique, on encourage les factions modérées qui sont forcées de tenir compte de leurs électeurs, au risque de se faire montrer la porte.
Le fondamentalisme serait-il donc soluble dans l'exercice du pouvoir? C'est la question à 100 millions que tous se posent au lendemain de la victoire fracassante du Hamas aux élections législatives palestiniennes du 25 janvier.
Ce triomphe crée un précédent mondial: pour la première fois, une organisation islamiste, considérée comme terroriste partout en Occident, accède au pouvoir en jouant le jeu de la démocratie. La plupart des experts se montrent humbles devant cette situation inédite et hésitent à prédire quoi que ce soit.
Contrairement à ce qu'on a vu ailleurs dans le monde musulman, entre autres en Turquie ou en Indonésie, les islamistes ne se contenteront pas d'influencer un gouvernement: ce sont eux qui en tiendront les rênes. Cela augmente leur capacité de nuire... Mais cela les rend d'autant plus redevables devant leurs électeurs.
"Aussi longtemps que le Hamas n'accédera pas au pouvoir, les Palestiniens lui seront reconnaissants pour chaque service qu'il leur fournit. Une fois qu'il y accédera, les Palestiniens vont le blâmer pour tous les services qui leur manquent", écrivait récemment Robert Malley, spécialiste du Proche-Orient pour le International Crisis Group (ICG).
La formule joliment tournée résume bien les beautés et contraintes de la démocratie... Eh oui! une fois au pouvoir, le Hamas devra répondre aux attentes de ses électeurs. Il ne pourra pas faire n'importe quoi. Ce qu'il sait déjà, d'ailleurs, depuis les élections municipales qui lui ont permis de prendre le pouvoir dans plusieurs villes palestiniennes.
"Ils travaillent fort, vont au bureau, sont stricts avec l'argent et essaient de donner de bons services", confie un diplomate européen interrogé par l'ICG au sujet des élus locaux du Hamas.
"Les municipalités dirigées par le Hamas sont bien administrées et l'éthique de travail y a changé de façon draconienne", note un économiste palestinien cité dans le même document.
Après des années de corruption et de négligence, ce bilan, encore jeune, a sûrement incité de nombreux électeurs à voter pour un candidat du Hamas, mercredi. D'autant plus que même si ce mouvement prône l'imposition de la charia, il ne semble pas pressé d'aller dans cette direction. Dans quelques villes administrées par le Hamas, des barbus zélés s'en sont pris à des femmes, leur enjoignant de se vêtir avec "modestie". Les politiciens locaux les ont vite désavoués.
Pour l'instant du moins, on est loin des talibans. D'autres indices laissent espérer que le Hamas adoucit ses angles à mesure qu'il se rapproche du pouvoir. Il a beau rejeter l'existence de l'État hébreu, cela ne l'a pas empêché de faire de la coordination avec Israël au niveau local. Et mieux même que le Fatah de Yasser Arafat, le Hamas a respecté le cessez-le-feu en vigueur depuis un an.
Oui, le Hamas a une longue tradition de violence. Et oui, le scénario du pire - multiplication de provocations à l'égard d'Israël, instauration d'une théocratie fondée sur la charia - est plausible. D'autant plus qu'à l'égard d'Israël, les leaders du Hamas disent tout et son contraire. Y compris que cet État doit être rayé de la carte.
Mais à moins d'un coup de force contre son propre peuple, le Hamas devra d'abord tenir compte des préoccupations des Palestiniens qui l'ont élu pour assainir l'administration publique et améliorer leur sort - pas pour les replonger dans une ère de noirceur et un bain de sang.
COUP D'OEIL
66% des Israéliens et 63% des Palestiniens soutiennent la reconnaissance mutuelle d'Israël comme État juif et de la Palestine comme État palestinien, une fois que seront réglés tous les points du conflit.
- Sondage du Palestinian Center for Policy and Survey Research
La santé dans votre portefeuille
Entre les riches et les pauvres, les écarts se creusent
Gruda, Agnès
Il y a une bonne trentaine d'années que Diane Achim travaille comme médecin de famille au CSLC des Faubourgs, à Montréal. Mais il lui arrive encore de mal estimer l'âge de ses patients.
Souvent, ils ont 10 ans de moins que ce qu'elle imagine en les voyant entrer dans son cabinet.
" La misère, c'est dur pour le corps ", ne cesse de constater cette omnipraticienne qui exerce sa profession dans l'un des quartiers les plus pauvres de la métropole.
Ses patients n'ont pas seulement l'air d'être plus vieux que leur âge. Ils sont aussi plus malades et, selon toute probabilité, mourront plus tôt que des Montréalais d'autres quartiers. Car le territoire desservi par ce CLSC du Centre-Sud affiche l'horizon de vie le plus court de Montréal: 71,6 ans. Les enfants nés à l'autre bout de l'île, sur le territoire du CLSC Lac-Saint-Louis, peuvent espérer vivre jusqu'à 82,3 ans. Entre les deux quartiers: un gouffre de 10,7 années.
" Mieux vaut être riche et en santé ", disait Yvon Deschamps. En fait, quand on a l'un, l'autre suit, confirme une récente étude du Centre de recherche Léa-Roback sur les inégalités sociales de santé de Montréal.
Des écarts se creusent
Dans une première étude, couvrant les années 1989 à 1993, les chercheurs avaient constaté que les Montréalais les plus pauvres mouraient plus jeunes et avaient plus de cancers et d'autres maladies que les plus riches.
Pendant les quatre années qui ont suivi, les écarts entre les riches et les pauvres se sont maintenus, malgré les progrès de la médecine. Parfois, ils se sont accentués.
De 1994 à 1998, l'espérance de vie a progressé à Montréal. Mais les plus riches ont " gagné " tout près d'un an, leur espérance de vie passant de 79,7 à 80,6 ans. Le gain n'a été que de six mois chez les plus pauvres (74,8 à 75,4 ans). L'avantage comparatif des plus riches est donc passé de 4,9 à 5,2 ans.
Parmi les coupables: les maladies de l'appareil circulatoire, qui font toujours plus de victimes chez les pauvres que chez les riches. En quatre ans, le taux de mortalité associé à ces maladies est passé de 304 à 269 sur 100 000 chez les nantis, et de 393 à 372 sur 100 000 chez les plus pauvres. L'écart s'est donc creusé.
C'est pire pour les maladies respiratoires. Le taux de mortalité a augmenté chez les plus pauvres, passant de 92,6 à 103,3 cas sur 100 000, tandis qu'il reculait légèrement chez les plus riches.
Le suicide explose
Seul indicateur de santé à ne pas avoir connu d'amélioration, le taux de mortalité par suicide oscille toujours autour de 9 sur 100 000 chez les plus fortunés. Chez les plus pauvres, il a explosé, passant de 18,2 à 22,3 cas sur 100 000 en quatre ans.
Une curiosité: le cancer du sein, qui tue un peu plus chez les plus riches que chez les plus pauvres. Les maternités précoces, plus fréquentes dans les quartiers pauvres, pourraient jouer un rôle protecteur contre cette tumeur, croient les experts.
Comment expliquer l'écart entre la santé des riches et celle des pauvres? Une partie de l'explication tient à l'accès aux soins. " Dans le domaine de la santé mentale, nous avons déjà un système de santé à deux vitesses, puisque les plus riches ont accès à des psychologues, ce qui n'est pas le cas des plus pauvres ", constate Marie-France Raynault, coauteure de l'étude.
Plus difficile, aussi, pour les plus pauvres d'accéder à certaines chirurgies. Ainsi, durant l'année 1999-2000, les plus riches parmi les Montréalais ont subi proportionnellement 23 % plus de pontages coronariens que les plus démunis.
Idem du côté des opérations orthopédiques: le taux de remplacement des hanches, fémurs et genoux est inférieur de 32 % chez les plus pauvres, comparativement aux plus riches. Dix ans plus tôt, l'écart n'était que de 7 %.
Le facteur biologique
Les plus démunis sont aussi victimes de leurs habitudes de vie. Ils fument plus, font moins d'exercice et se nourrissent moins bien que les plus riches.
Mais les difficultés d'accès aux soins et les comportements nocifs n'expliquent que partiellement la mauvaise santé relative des plus démunis. Des chercheurs s'intéressent à un facteur moins connu: la biologie de la pauvreté.
Le comportement des patients pauvres explique 40 % de l'écart entre les riches et les pauvres, avance Mark Daniel, professeur à la faculté de médecine de l'Université de Montréal.
Selon ce spécialiste de la médecine sociale, le 60 % restant s'explique par " la réponse endocrinienne de l'organisme à la situation de pauvreté ". En d'autres mots: le stress chronique subi par des gens coincés au bas de l'échelle exacerbe leur vulnérabilité à certaines maladies.
" Si on prend deux groupes de fumeurs, un dans Verdun, l'autre à Westmount, à quantité de cigarettes égale, il y aura plus de mortalité dans le premier groupe que dans le second ", dit le Dr Daniel.
Le médecin s'intéresse particulièrement au cortisol- une hormone qui joue un rôle anti-inflammatoire et dont le niveau dans l'organisme varie au cours de la journée.
" Quand vous subissez des insultes répétées et que vous ne savez pas comment vous allez payer votre loyer, l'organisme réagit par un état de stress aigu chronique ", explique le Dr Daniel. Ce stress trouble ces fluctuations et perturbe la réponse aux inflammations.
Mais les patrons d'entreprises ne vivent-ils pas eux aussi des moments de grand stress? Si, mais il existe un stress sain, relié aux défis quotidiens, dit le Dr Jean-Pierre Roy, de la Direction de la santé publique de Montréal. Et un autre stress, relié au sentiment de " honte, d'accablement et d'impuissance " propre à la misère.
Un chercheur britannique, Michael Marmot, a suivi pendant plusieurs décennies l'état de santé d'un groupe d'employés de la fonction publique de son pays. Il en conclut que la santé s'améliore à mesure que l'on grimpe dans l'échelle sociale. " Votre position dans la hiérarchie est intimement liée à vos risques de devenir malade et à votre longévité ", conclut-il dans son livre The Statute Syndrome. Bref, un statut social élevé est bon pour la santé...
Santé des Québécois
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AP
Les maladies de l'appareil circulatoire font toujours plus de victimes chez les pauvres que chez les riches. En quatre ans, le taux de mortalité associé à ces maladies est passé de 304 à 269 sur 100 000 chez les nantis, et de 393 à 372 sur 100 000 chez les plus pauvres. L'écart s'est donc creusé.
Reuters
Dans une première étude, couvrant les années 1989 à 1993, les chercheurs avaient constaté que les Montréalais les plus pauvres mouraient plus jeunes et avaient plus de cancers et d'autres maladies que les plus riches. Pendant les quatre années qui ont suivi, les écarts entre les riches et les pauvres se sont maintenus, malgré les progrès de la médecine. Parfois, ils se sont accentués.