Guadeloupe : la musique pour dire la révolte des opprimés Par Arnaud Cabanne | Journaliste | 19/02/2009 | 14H46
Les Guadeloupéens sont dans la rue comme en 1952, quand une grève
des ouvriers de la canne à sucre avait agité l'île pendant trois mois
et demi, en mai 1967, lors d'émeutes qui annonçaient les agitations
métropolitaines de l’année 68, ou encore en 1971 pour ce que l’on a
appelé "les grandes grèves".
Aujourd’hui, on entend dans toutes les manifestations: "La Gwadloup
sé tan nou, la Gwadloup a pa ta yo" ("La Guadeloupe c'est à nous, la
Guadeloupe n'est pas à eux"), un refrain écrit par le poète Jackie
Richard qui, une fois enregistré sur disque, va très certainement
devenir un tube.
La Guadeloupe est l’île la plus rurale des Caraïbes françaises avec
ses milliers d’hectares de cannes à sucre. Nombre de frustrations
guadeloupéennes trouvent leurs origines dans l’héritage colonial, les
résidus de la période d’esclavagisme, et cette organisation qui laisse
entre les mains des békés (descendants des familles blanches) la
majorité des terrains et des moyens de production de l’île.
Des musiques hérités de la culture des "Marrons", les esclaves révoltésCette situation, même si elle n’a plus rien à voir avec de
l’esclavage, couplé au problème des prix trop élevés, ranime des
émotions toujours très vives au sein des populations les plus fragiles.
Ces ressentiments se retrouvent traditionnellement dans les textes qui
accompagnent les musiques guadeloupéennes.
Outre le zouk du groupe Kassav, depuis des décennies, l’identité
musicale des Guadeloupéens reposait sur le gwo ka. Une musique héritée
de la culture des "Marrons", ces esclaves révoltés qui se sont enfuis
des plantations pour se cacher dans les forêts. Le ka, un tambour
confectionné avec les tonneaux appelés quarts, qui servaient à
conserver la viande séchée et le rhum, était l’unique moyen de
communication entre les communautés d’insurgés.
Avec l’abolition de l’esclavage va se développer une tradition de
fêtes rurales inspirées de ce qui se passait dans la forêt. Des groupes
de percussionnistes, chanteurs et danseurs vont se former et
populariser ce qui deviendra le gwo ka.
Des artistes engagés, évoquant le quotidien et les injusticesGuy Conquete, Germain Calixte, Vélo ou le célèbre Robert Loyson, qui
signe des textes comme "La Guadeloupe trenglé", étaient tous des
artistes engagés, parlant du quotidien et des injustices que
supportaient les plus faibles, les populations noires en l’occurrence.
Le groupe Kan'nida, formé au début des années 80, perpétue la
tradition du gwo ka en jouant des chants de labour de leur région des
Grands Fond, comme ici sur la scène du festival Mawâzine à Rabat, en
mai 2005.
(Voir la vidéo) Il est encore trop tôt pour trouver des musiciens ayant enregistré
des chansons directement en rapport avec cette récente crise, mais on
peut tout de même s’apercevoir que les nouvelles générations, comme un
peu partout en France, ont récupéré le flambeau des anciens grâce au
ragga et au hip hop, continuant à développer une imagerie de
descendants d’esclaves.
Admiral T, toaster émérite, véritable star du ragga dans son île et
bien au-delà, chante le désarroi des populations depuis longtemps. Par
exemple, sur ses morceaux "Gwadada" ou "Ti Moun Ghetto", dont voici le
clip.
(Voir la vidéo)Côté rappeurs, un nom connu et très engagé est celui de Fuckly.
Comme de nombreux confrères, il parle surtout des ghettos
guadeloupéens, mais aujourd’hui, le désespoir dépassant largement le
cadre des cités, la peinture qu’il fait de sa société n’en est que plus
édifiante. Le clip de "An ni marre".
(Voir la vidéo) D’autres moins connus comme Dee Kross avec le morceau "An priyè"
expriment leur vision sur des rythmes samplés dans des disques de gwo
ka. Et la liste des rappeurs guadeloupéens est encore longue: NDX, No
Klan, Forsay, Dawa…
Alors bien sûr, la Guadeloupe ne se résume pas à son gwo ka et à ses
jeunes rappeurs, même si ces derniers font survivre cette tradition
dénonciatrice et critique. Nombre d’autres musiciens tiennent une place
importante.
Un groupe comme Soft, très populaire dans l’île, qui offre une
fusion musicale subtile et des textes conscients aura lui aussi son mot
à dire. Timalo, jeune slameur dont l’album "Pawol Funk-kè" vient de
sortir, aura certainement des vers consacrés à ces problèmes… Bref, les
mois à venir s’annoncent inspirés pour tous les musiciens guadeloupéens.