La polémique enfle autour du Franc CFA fort
La dévaluation du CFA fait débat. Depuis 2004, la valeur de l’euro
s’est appréciée de 63 % face au dollar. En Afrique de l’ouest et du
centre dont la monnaie, le CFA, est liée à la monnaie européenne par
une parité fixe, la côte d’alerte est atteinte. Par Adamou Fall (Les Afriques)
Depuis 2004, la valeur de la monnaie européenne n'a pas cessé
d'augmenter face au billet vert, passant de 0,83 à 1,31 dollar fin
novembre 2006, pour atteindre 1,36 dollar en avril 2007. Pour les
argentiers européens, il n’y a pas lieu de s'inquiéter. Le seuil
critique étant encore loin. Par contre, l’on apprécie autrement ce bras
de fer du côté des pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre dont la
monnaie est liée à l'euro par une parité fixe. Dévaluer ou pas ? Les
positions divergent en fonction des intérêts des uns et des autres.
La zone CFA
© izf.net
Facture pétrolièreLes partisans du statu quo font noter que l’ascendant de l’euro sur le
dollar a, dans une certaine mesure, amorti l’impact de la flambée
continue des cours du baril et abaissé le coût des importations payées
en dollar. Les exportations de la Zone franc vers les pays de l'Union
européenne -- plus 50% de ses échanges extérieurs, selon le FMI -- s'en
trouvent normalement favorisées. Le service de la dette extérieure a
aussi baissé, mécaniquement. Selon la Banque Africaine de
Développement, la flambée des cours du brut a certes effacé une bonne
partie du bénéfice des annulations de dette des pays de Zone CFA, mais
cela aurait été pire sans la hausse de l'euro.
Importations facilitéesToutefois, l’euro trop fort comporte également des conséquences
négatives pour la Zone CFA. Le coût de la main-d'œuvre, déjà élevée en
comparaison avec les pays asiatiques, en est artificiellement gonflé.
Il encourage les importations, au détriment des productions locales, y
compris l'importation de biens qui ne sont pas nécessairement
indispensables. Les productions locales deviennent moins compétitives à
l’exportation que celles concurrentes des pays hors zone euro. Il en
est ainsi du coton béninois, de la banane camerounaise, du café ou du
cacao ivoirien face aux produits analogues américains et
latino-américains qui s’exportent en dollar et qui sont, de surcroît,
subventionnés.
Le revenu des exportations de matières premières africaines facturées en dollar affaibli diminue conséquemment.
Les « pro-dévaluation » invoquent aussi les difficultés des principales
filières agricoles de la zone. Argument balayé par nombre d’experts
africains qui estiment que leur fragilité et vulnérabilité sont bien
plus à imputer à une récurrente mauvaise gestion, à la faible
productivité, mais également aux subventions européennes et
américaines.
Les risques à ne pas courir
Dévaluer le franc CFA en raison de l’euro fort c’est, aujourd’hui,
prendre le risque de s’engager dans une course-poursuite sans fin.
Les Etats-Unis continueront à laisser délibérément le billet vert se
déprécier pour diminuer leur énorme déficit commercial envers la Chine
et accroître la compétitivité extérieure de leurs produits. Ils y
resteront également contraints par la flambée des cours du brut qui
serait à tous égards, insoutenable pour leur balance des paiements avec
un dollar plus fort qui, de surcroît, rendrait les produits américains
encore plus chers et moins compétitifs.
Bénéfice incertainPar ailleurs, pour produire les effets bénéfiques escomptés,
principalement en termes de compétitivité extérieure, d’augmentation
des exportations et de leurs revenus, et d’atténuation de la pression
des importations, la dévaluation doit pouvoir s’adosser à une industrie
et une agriculture modernes, performantes et dynamiques, avoir des
débouchés avérés et la capacité de les élargir, un secteur privé à même
de répondre à la demande, un régime politique stable et enfin un
environnement technique, administratif et juridique propice à l'essor
des affaires.
Or ces atouts ne sont pas les mieux partagés dans la Zone CFA. Elle ne
pourrait donc tirer que faiblement partie d’une nouvelle dévaluation,
comme ce fut le cas de la première dont les effets bénéfiques se sont
très rapidement effrités et résorbés. Aujourd’hui, une dévaluation du F
CFA aurait pour conséquence une hausse vertigineuse du coût des
importations un surenchérissement de la facture pétrolière, une
inflation galopante. Et le chômage qui a déjà atteint des niveaux
inacceptables, s'accroîtrait davantage. Un abrupt changement de parité
remettrait en question la pertinence des politiques de convergence que
les pays de l’UEMOA et de la CEMAC s’évertuent de respecter, tant bien
que mal, pour consolider et renforcer les processus d’intégration
économique et monétaire dans lesquels ils se sont engagés, plus
résolument depuis une douzaine d’années et qui ne devraient point être
réversibles.
Une illusion d’équilibreToutefois, la valeur d'une monnaie ne peut pas être éternellement fixe.
L’immuabilité monétaire, dans un monde en mutation permanente, est un
artifice antiéconomique. Elle est dangereuse car elle donne l'illusion
que l’on est dans un équilibre économique parfait, alors que dans le
réel l’on est confronté par d’immenses problèmes à la fois structurels
et conjoncturels.
Les pays de la Zone CFA devront nécessairement se mettre dans les
conditions de sortir de cette situation illusoire. Une des solutions
préconisée passerait par la création d’une nouvelle unité de compte
avec le rapatriement des réserves de changes de la Zone CFA auprès du
Trésor public français, en les renforçant par les avoirs des pays
notamment anglophones qui appartiennent à la CEDEAO mais pas l’UEMOA.
La nouvelle monnaie qui serait créée sur cette base régionale élargie
et homogène ne serait plus unilatéralement reliée à l’euro comme l’est
le CFA, mais à un panier de monnaies choisies en fonction des
principaux partenaires de commerce extérieur des pays de cette nouvelle
union monétaire.
Ce système permettrait à la fois de faire l'économie de dévaluations en
cascades et de la multiplication des traumatismes qu'elles causent aux
populations. Les distorsions monétaires seraient corrigées en douceur,
puisque les gains ou les pertes de compétitivité seraient engrangés ou
payés en temps réel. Le problème pour les pays concernés est de
s’accorder sur le franchissement du Rubicon.
Une si vieille histoire
Aux origines du Franc CFALe franc CFA fait partie des 41 monnaies, pour la plupart non
convertibles, en circulation sur le continent africain. En fait il n’y
a pas un seul franc CFA mais deux. L’un, dénommé "franc de la
Communauté Financière Africaine", est commun aux huit Etats de l’Union
Economique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) :
Bénin, Burkina, Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo.
L’autre, appelé "franc de la Coopération Financière en Afrique
Centrale", a cours entre les six pays de la Communauté Economique et
Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) :
Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad.
Gérée par deux banques centrales distinctes, la Banque Centrale des
Etats de l’Afrique de l’Ouest pour l’UEMOA et la Banque Centrale des
Etats de l’Afrique Centrale pour la CEMAC, chacune de ces unités
monétaires est, depuis 1993, exclusivement utilisable dans sa zone
d’émission. Depuis, les transferts légaux entre les deux régions se
font uniquement par voie bancaire.
A l’origine, le franc CFA était le « franc des colonies françaises »,
une monnaie unique et commune à toutes les possessions françaises
d’Afrique et de Madagascar. Elle avait été lancée le 26 décembre 1945,
date de la première réforme monétaire française d’après-guerre. En
1958, son sens est modifié. CFA signifie désormais communautés
françaises d’Afrique.
A l’aube de l’indépendance, en 1959, le franc colonial sera remplacé
par les deux actuels francs CFA, comme signes de la nouvelle forme de
coopération monétaire entre la France et ses anciennes colonies : mise
en commun des réserves de change, garantie de convertibilité, parité
fixe. Certains pays ont choisi, lors de l'indépendance ou après, de
quitter la Zone franc : Algérie, Maroc, Tunisie, Mauritanie,
Madagascar, Guinée. Le Mali l'a quittée en 1962 pour la réintégrer en
1984. La lusophone Guinée-Bissau l’a intégrée le 2 mai 1997.
Durant ses 62 années d’existence, le franc CFA a connu quatre temps
forts. En 1948, avec la dévaluation du franc métropolitain, sa valeur
est passée à 2 FF, contre 1,70 FF en 1945, soit une réévaluation de
17,65 %. En 1960, avec la création du nouveau franc ou «franc lourd »
(1 NF = 100 anciens francs), le franc CFA a été maintenu dans sa valeur
: 1 NF = 50 F CFA. Le 11 janvier 1994, il a été dévalué de 50 % par
rapport au franc français : 1 NF = 100 F CFA. En 1999, avec la
disparition du franc français et la création de la monnaie unique
européenne, le franc CFA a été rattaché à l'euro selon la même parité
fixe, la garantie de convertibilité étant toujours à la charge de
l'État français : 1 euro = 655,957 F CFA.
www.lesafriques.com
Lun 30 Juil - 11:28 par mihou