Comme on pouvait s’y attendre, la Banque Centrale Européenne (BCE) le 07 décembre, et ce pour la sixième fois en une année, ramène son principal taux directeur de 25 points de base à 3,5 %. A 3,5 %, le taux est désormais à son niveau le plus haut depuis 2001. Malgré l'euro fort et les pressions politiques, Jean-Claude Trichet, le président de la BCE s'impose et semble minimiser les risques inflationnistes.
En France, le Premier ministre et le ministre des Finances avaient pourtant appelé la banque centrale à marquer une pause, inquiets de la dégradation du déficit commercial français et du manque de compétitivité dû selon eux à la vigueur de l'euro. En août, Mr. Trichet avait pronostiqué une inflation moyenne de 2,4 % dans la zone euro pour 2006 et 2007, au-dessus de sa zone de confort de 2 %.
Cependant, la progression du crédit bancaire, le soutien de la demande des ménages par la baisse même légère du chômage annoncée par du premier ministre français, Mr. De Villepin, la croissance des ventes au détail, la revalorisation des salaires et la hausse de la TVA en Allemagne (portée de 16 à 19% le 1er janvier) pourraient soutenir l’inflation dans la zone euro.
Les craintes de la FranceLa prudence semble toutefois de mise : la force de l'euro face au dollar, si elle se poursuit, pourrait freiner les exportations européennes, essouffler la faible croissance amorcée, diminuer le rapatriement des bénéfices réalisés hors Europe et au bout du compte rendre toute nouvelle hausse de taux directeur inutile. Or, le durcissement monétaire devrait soutenir encore plus l'euro. Le relèvement des taux, un mauvais coup porté à la croissance, selon force ouvrière [1].
Le taux directeur de la BCE pourrait grimper jusqu’à 4 % fin 2007 car il se peut très bien que l’on assiste à un ou deux tours de vis monétaires supplémentaires en 2007. Jean-Claude Trichet juge le loyer de l’argent encore trop
"accommodant". Selon la plupart des analyses, ce n'est qu’au-dessus du seuil de 1,37 $ US le taux de change de l'euro pourrait infléchir la stratégie de la BCE.
En un an, le principal taux de la BCE a augmenté au total de 1.5 point, quand celui des taux variables de crédit immobilier n’a progressé que de 0.5 point.
"En un an, les taux fixes ont augmenté de 0.40% pour les prêts d'une durée de quinze ans et de 0.35% pour ceux d'une durée de vingt ans" note Geoffroy Bragadir, directeur Général d'Empruntis.com [2]. Les taux fixes, qui sont plébiscités par les emprunteurs, ne sont pas directement impactés par la politique monétaire de la BCE.
Jean-Claude Trichet a également levé un coin du voile sur les projets de la BCE en 2007.
"Pour l'avenir, il est nécessaire d'agir avec fermeté et au moment opportun pour faire en sorte que la stabilité des prix sur le moyen terme soit assurée". Pour l'Europe. Aujourd'hui la France doute et s'inquiète, pour elle-même, et remet en cause sa dépendance par rapport à l’institution de la BCE. Le journal Figaro banalise, affirmant que les critiques françaises restent isolées [3].
Du côté de l’Allemagne, en effet, on relativise. Il est vrai qu’avec des exportations en termes ajustés atteignant un record de 81 milliards d'euros en octobre, elle est en passe de rester en 2006, et ce pour la quatrième année d'affilée, le premier exportateur mondial.
Et les Colonies Françaises d’Afrique (CFA) ?Oubliées et sans aucune autonomie ; le Franc CFA est en effet complètement dépendant des tribulations de l'Euro (version Française), après la dernière lourde dévaluation, réduisant sa valeur de 50%.
Le franc CFA est la devise commune à 14 pays d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale, dont 12 sont des anciennes colonies françaises. Ces 14 pays forment une communauté virtuelle qui se compose de deux blocs régionaux économiques et monétaires. Huit pays (le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo) constituent l'Union économique et monétaire ouest-africaine – UEMOA - et six autres pays (le Cameroun, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine, la République du Congo, et le Tchad) qui forment la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale - CEMAC.
Personne ne se soucie de ce que les pays pauvres doivent subir tant qu’il s’agit de réévaluer la valeur de l’aide au développement, d’effacer de moitié la dette envers l’Afrique, de réduire de moitié les créances africaines sur l’Europe. La surévaluation de la monnaie européenne fait du franc CFA une monnaie dont on se soucie peu sauf pour assurer des compléments de recettes. On parle de l'Euro et des problèmes du continent européen; on feint d’oublier le cas du cfa, qui finalement n’a qu’une représentation marginale dans la gestion de l’Euro. Les ministres de l’économie et des finances des pays africains ne semblent pas voir le danger, à moins qu’ils n’aient abandonné la lutte. Un Euro fort face au dollar signifie entre autres, une perte sèche sur la plupart des matières premières facturées en dollar, une plus grande dette liée au fait que l’essentiel du commerce des pays francophones africains au sud du Sahara se fait avec l’Europe et un véritable frein aux exportations africaines qui manquent singulièrement de valeur ajoutée liée au manque de transformation dans le processus industriel.
Le coton béninois ou le cacao ivoirien risquent d’être de moins en moins compétitifs, face aux cultures révolutionnaires de l'Amérique latine et devant les champs subventionnés aux Etats-Unis. Même si, d’après les faiseurs de la théorie dominante, l'avènement de l'Euro a toujours été présenté comme une chance pour la zone cfa, les faits semblent aujourd'hui contredire les analyses les plus optimistes. La dépendance se raffermit à tous les niveaux. Le problème singulier de l’échange inégal lié à la monnaie semble souvent être absent dans les négociations entre l’Europe et les pays Afrique, Caraïbes et Pacifique ou au niveau des cycles de négociation commerciale y compris Doha.
La BCE quant à elle s’est dédouanée de toute implication dans le dossier CFA, estimant dès le départ que ces accords ne sont pas susceptibles d'influer sur la politique monétaire et de change de la zone euro [4]. Le projet énonce en effet que la France peut maintenir les accords existants concernant les questions de change avec l'Union économique et monétaire ouest-africaine, la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale et les Comores lors du remplacement du franc français par l'euro. C’est ce qu’on appelle un blanc-seing.
L'ancrage du CFA à l'euro entraîne une réduction des zones d'échange pour l'AfriqueEn Afrique de l'Ouest, la moitié des 16 nations de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) sont des pays de la zone franc. Sur le plan technique, l'incidence de la construction monétaire européenne sur les accords de la Zone franc se limite à la substitution de l'euro au franc français comme point d'ancrage pour le franc CFA. D'un point de vue économique, cette substitution est censée contribuer à la stabilité économique et monétaire des pays africains de la zone franc. L'arrimage du franc CFA à l'euro offre également pour les pays de la zone euro de nouvelles opportunités d'investissement et de commerce dans la zone, dans la mesure où il réduit leur risque de change. La frilosité du monde des affaires en Europe pour investir dans les capacités productives sur le continent se heurte toutefois au contexte d’instabilité sociopolitique et à la nouvelle compétition avec les nouveaux pays émergents.
Les exportations de la zone franc vers les pays de l'Union monétaire européenne devraient, elles, normalement s'en trouver favorisées. Il convient de noter que les pays africains de la zone franc réalisent plus de la moitié de leurs échanges commerciaux avec les pays de l'Union européenne, le passage à l'euro aurait dû entraîner une plus grande stabilité du taux de change effectif des francs CFA. D'après les chiffres du FMI, de 40 à 50 % de tous les échanges commerciaux de l'Afrique s'effectuent avec des clients de la zone euro [5]. Pourtant, l’Afrique subsaharienne francophone ne semble pas bénéficier particulièrement des
"avantages supposés" de cet espace.
Avec un Euro fort, on comprend que la diversification des zones d'échange (même intra continent) est difficile à mettre en place. Il persiste un flou autour de la capacité de l’Afrique à s’organiser collectivement pour aller vers un panier de monnaies, notamment en s’organisant autour des autres devises comme le dollar, le yen, le yuan... Il revient à l’Afrique d’améliorer ses échanges intra-africains et graduellement organiser un système de surveillance monétaire et de respect des critères de convergence afin d’aller vers une monnaie africaine tant souhaitée par les populations africaines. L'union africaine reste un projet incomplet sans une maîtrise des devises nationales.
10 décembre 2006
Gustav Ahadji
1. Voir www.force-ouvriere.fr
2. Voir http://www.empruntis.com/financement/actualites/index.php?id_actu=1313
3. Lire http://www.lefigaro.fr/election-presidentielle-2007/20061209.FIG000001002_les_critiques_francaises_contre_l_independance_de_la_bce_restent_isolees.html
4. Journal officiel des Communautés européennes 15.7.1999 - (CON/98/37)(1999/C 200/05)
5. Source : Afrique Relance - ONU. vol.12#4.Euro effets en Afrique
Jeu 20 Sep - 22:43 par mihou