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 Retour sur les enjeux autour de la Banque du Sud

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Tite Prout
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Tite Prout


Nombre de messages : 1737
Localisation : Montréal
Date d'inscription : 01/06/2005

Retour sur les enjeux autour de la Banque du Sud Empty
27052007
MessageRetour sur les enjeux autour de la Banque du Sud

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Retour sur les enjeux autour de la Banque du Sud Carre-rouge-9
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erreurMsg = '- Entrez l\'adresse e-mail du destinataire!\n';
if (document.news_form.nom.value=="")
erreurMsg = erreurMsg + '- Entrez votre nom!\n';
if (!((place2 > -1)&&(from.length >2)&&(point2 > 1)))
erreurMsg = erreurMsg + '- Entrez votre adresse e-mail!';
alert(erreurMsg);
}
}




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par
Éric Toussaint





Deux tendances opposées sont à l’œuvre en Amérique latine

D’une part, le gouvernement des
Etats-Unis et les pays de l’Union européenne réussissent à sceller avec
les pays de la région des accords bilatéraux de libre échange qui sont
favorables à leurs entreprises. Les privatisations massives des années
1980 et 1990 ont été mises à profit par celles-ci pour prendre le
contrôle d’un grand nombre de secteurs économiques vitaux pour le
développement. Les flux de capitaux vont de la région vers les pays les
plus industrialisés via le remboursement de la dette, le rapatriement
des profits des transnationales du Nord, la fuite des capitaux
organisée par les capitalistes latino-américains, la dette publique
interne est en forte augmentation, les conditions de vie stagnent et
les plus exploités s’appauvrissent un peu plus, même si certains
programmes d’assistance publique limitent les dégâts (Brésil,
Argentine, Venezuela, Equateur).

D’autre part, les nombreuses mobilisations populaires des dernières
années se traduisent par l’élection de gouvernements dont certains
cherchent à inverser le cours historique des trente dernières années et
à affronter la première tendance décrite plus haut en réinstaurant un
contrôle public sur les ressources naturelles du pays (Venezuela,
Bolivie, Equateur), sur d’autres secteurs clés de l’économie
(Venezuela) et en mettant en échec certains projets stratégiques des
Etats-Unis (échec de l’ALCA en novembre 2005 et difficulté de mise en
œuvre du Plan Colombie à cause de l’opposition du Venezuela, de
l’Equateur [1]
et de la Bolivie). Certains gouvernements entreprennent des réformes
sociales en menant une politique redistributive. Le Venezuela dès 1999,
la Bolivie depuis 2006 et bientôt l’Equateur ont entrepris une
modification de leur constitution dans un sens démocratique.
L’alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) réunit le
Venezuela, la Bolivie, Cuba, Haïti, le Nicaragua et, en tant
qu’observateur, l’Equateur.

La création d’une Banque du Sud projetée pour la fin 2007 est une pièce importante de cette contre-tendance.

Les préparatifs de la Banque du Sud

Depuis février 2007, l’Argentine et le
Venezuela, auxquels s’est associée la Bolivie, se sont mis d’accord
pour créer la Banque du Sud. A ces trois pays se sont ajoutés
rapidement l’Equateur, le Paraguay, et tout dernièrement,
officiellement depuis le 3 mai, le Brésil. Le texte qui était soumis à
discussion des ministres, avant que l’Equateur n’intervienne dans
l’élaboration avec une proposition originale, était daté du 29 mars et
constituait une proposition de l’Argentine et du Venezuela. La
proposition équatorienne a été élaborée par le ministre des Finances de
l’Equateur, Ricardo Patiño, et quatre membres de son cabinet, auxquels
étaient associés 3 étrangers, Jorge Marchini [2], Oscar Ugarteche [3]
et moi-même. Cette proposition, élaborée en une quinzaine d’heures les
27, 28, 29 avril, a été soumise le 30 avril au Président Correa par le
Ministre des Finances, accompagné de son cabinet et de moi-même. Le
Président Correa a ratifié cette proposition, qui a été immédiatement
envoyée aux représentants des autres pays. Le 3 mai, à Quito, la
réunion ministérielle, présidée par le Président de l’Equateur, a duré
de 4 à 5 heures. J’étais invité à faire partie de la délégation
équatorienne. Les autres pays étaient représentés par leur ministre des
Finances et, généralement, un ou une vice-ministre ou un membre de
cabinet.

Ce qui est en jeu maintenant c’est un
sommet présidentiel, qui se tiendra avant la fin du mois de juin tel
qu’il est écrit dans la Déclaration de Quito. Ce sommet adoptera un
texte qui définira ce qu’est la Banque du Sud et proclamera la création
définitive de cette institution.

Quelle orientation prônait le texte rédigé par l’Argentine et le Venezuela ?

Le texte initial rédigé par l’Argentine
et le Venezuela est tout à fait surprenant et choquant parce que le
diagnostic de départ comprend des considérations tout à fait
compatibles avec la vision néolibérale, la vision de la Banque Mondiale
(BM), la vision de la pensée économique dominante, la vision de la
classe capitaliste, sur les causes des faiblesses de l’Amérique Latine.
Le texte met en évidence que c’est le faible développement des marchés
financiers qui serait la cause principale des problèmes de l’Amérique
Latine. Les considérants généraux précisent qu’il faut promouvoir la
constitution d’entreprises multinationales de capital régional, sans
préciser qu’elles doivent être publiques. Connaissant l’orientation de
l’Argentine, le fait qu’on ne précise pas qu’elles soient publiques
veut dire soit qu’elles sont privées, soit qu’elles sont mixtes.
Toujours dans les considérations générales, on dit qu’il s’agit de
promouvoir le développement des marchés de capitaux et des marchés
financiers régionaux.

Deuxième élément : le projet propose la création d’une Banque du Sud
qui aurait pour fonctions à la fois celles de Banque de Développement
et de Fonds Monétaire de Stabilisation. Un Fonds de Stabilisation
consiste en un organisme régional qui vient en aide aux pays de la
région lorsqu’ils sont soumis par exemple à des attaques spéculatives.
Pour faire face à ces attaques spéculatives, ils ont besoin de réserves
de changes importantes pour se protéger. Le projet commun
Argentine-Venezuela proposait un seul organisme qui s’appelle Banque du
Sud, et qui a pour fonction à la fois la Banque de Développement et de
Fond Monétaire. Il n’y a rien de choquant de ce point de vue là. Par
contre, ce qui est choquant, c’est que de nouveau on dit que la
fonction est de développer les marchés de capitaux, de favoriser
l’industrie, le développement de l’infrastructure, l’énergie, le
commerce. Dans ce projet, on ne met pas du tout en avant la protection
de l’environnement ou les politiques culturelles et éducatives. Vu le
diagnostic de départ, on peut craindre que les politiques
macro-économiques qui vont être recommandées restent dans la logique de
l’ajustement structurel, de politiques orthodoxes monétaristes. On dit
aussi que la Banque va s’endetter sur les marchés financiers.

Troisième élément important et choquant : la proposition de l’Argentine
et du Venezuela prévoit que le droit de vote sera fonction de l’apport
de chaque pays. Ainsi, si l’Argentine apporte trois fois plus que
l’Equateur ou le Paraguay, l’Argentine a trois fois plus de droit de
vote. On applique là la clé de répartition de droit de vote qui prévaut
à la BM, au FMI, à la BID (Banque Interaméricaine de Développement). On
applique donc un critère antidémocratique et on fait de cette
institution, au niveau de son fonctionnement, la réplique de ce que
l’on critique par ailleurs. Au niveau des membres, la proposition de
l’Argentine et du Venezuela laisse la possibilité à ce que des Etats
d’Afrique et d’Asie participent avec un statut d’observateurs à la
Banque. C’est positif car cela augmente la dimension du Sud. Mais, bien
que ce ne soit pas explicite, on peut penser qu’une place serait
également accordée à des institutions financières multilatérales. On
sait par ailleurs que, dans les discussions qui ont eu lieu en mars et
en avril 2007, certains membres de cabinet, notamment d’Argentine,
envisageaient que la BM et la BID soient actionnaires (sans droit de
vote), de la Banque du Sud. Le comble, c’est que la dernière partie, le
chapitre 8, « Immunité, Exemption et Privilège », est la reproduction
des statuts de la BM, du FMI et de la BID. Il est dit dans ce projet, à
l’article 42, que les archives sont inviolables, ce qui veut dire qu’il
n’y a pas d’audits possibles de la Banque du Sud. Il est également dit
que le personnel de la banque, directeurs, fonctionnaires et employés,
est exonéré d’impôt. Il est dit, à l’article 45 - là c’est un copier /
coller pur et simple des statuts de la BM et du FMI - qu’il y a
immunité totale par rapport aux procédures judiciaires et
administratives se rapportant à des actes portés par des fonctionnaires
dans le cadre de leur mission.

Ce projet est issu des réunions d’une
commission technique et aurait été l’unique projet soumis à la
discussion si l’Equateur n’avait pas décidé de produire lui-même une
proposition nouvelle. Le texte proposé par l’Argentine et le Venezuela
est tout à fait cohérent avec la politique qui domine l’orientation du
gouvernement Kirchner en Argentine, en revanche il est totalement
incohérent par rapport aux positions adoptées par le Venezuela. Une
explication plausible : les sherpas argentins et vénézueliens qui ont
rédigé ce texte sont des techniciens formés dans des universités
anglo-saxonnes, et sont favorables à l’économie dominante néolibérale.
On peut espérer que ce texte n’ait pas été réellement lu, approuvé et
assumé par la Présidence du Venezuela.

Par rapport à ce texte de l’Argentine et du Venezuela, que prévoit le projet présenté par l’Equateur ?

L’Equateur propose trois instruments :
un Fonds Monétaire Régional, une Banque du Sud et la création d’une
unité monétaire du Sud. L’Equateur propose d’aller vers une monnaie de
l’Amérique de Sud qui permettrait aux pays d’échanger entre eux dans
leur monnaie alors qu’aujourd’hui les échanges entre pays de l’Amérique
latine se réalisent essentiellement en dollars. Ce troisième instrument
a tout de suite était accepté par l’Argentine, le Venezuela, le Brésil,
le Paraguay et la Bolivie.

Le texte proposé par l’Equateur
commence par des considérations générales importantes. La première
considération consiste à dire que les deux organismes, le Fonds
monétaire du Sud et la Banque du Sud, ou l’organisme unique s’il n’y a
qu’une Banque du Sud, doivent garantir l’application effective des
droits humains et doivent permettre l’application des accords et
critères et traités internationaux qui se réfèrent aux droits
économiques, sociaux et culturels. On voit tout de suite que dans
l’approche de l’Equateur n’est pas une approche commerciale ou
économiciste. C’est une approche en terme de droits humains. Il s’agit
de mettre en place des outils économiques qui doivent servir à garantir
l’application des droits humains fondamentaux. Dans les considérations,
on part également du constat que les politiques de type néolibéral de
la BM et du FMI, c’est dit implicitement, ont abouti à une aggravation
des conditions de vie d’une grande partie des populations, à une
augmentation des inégalités dans la distribution des revenus et des
richesses, une perte de contrôle des pays de la région sur leurs
ressources naturelles, à un renforcement de la tendance migratoire.
Face à cela, il faut mettre en pratique des politiques publiques pour
renforcer des structures publiques permettant aux pays de récupérer le
contrôle sur les ressources naturelles et leur appareil productif de la
région, dont une bonne partie est passée aux mains des transnationales
du Nord.

Quelles sont les autres propositions originales de l’Equateur en ce qui concerne la Banque du Sud ?

Ce qui est important, c’est que ces
deux organismes ne doivent pas s’endetter sur les marchés de capitaux,
à la différence de la Banque Mondiale et de la BID. Il faut savoir que
la BM, qui s’endette sur les marchés de capitaux, justifie très souvent
la politique néolibérale qu’elle mène en disant qu’il est fondamental
de garder la mention AAA comme banque d’emprunt sur les marchés de
capitaux pour pouvoir emprunter au taux le plus bas. Si on veut mener
des politiques qui ne cherchent pas la rentabilité à tout prix, il ne
faut pas dépendre de cette notation. C’est pourquoi le capital de la
Banque du Sud, qui lui permet de faire des prêts, devrait provenir de
quatre sources : 1) d’un apport en capital des pays membres ; 2)
d’emprunts de la Banque auprès des pays membres (contrats qui ne
dépendent pas de bons émis sur les marchés de capitaux régionaux ou du
Nord) ; 3) d’impôts globaux communs, à savoir différents types de taxes
globales qui seraient appliquées par les pays membres et dont la
recette serait transmise à la Banque de Développement, comme une taxe
Tobin, une taxe sur les revenus rapatriés par les transnationales, une
taxe de protection de l’environnement, etc. ; 4) des dons. Si un Fonds
Monétaire du Sud était mis en place, il est prévu que l’argent dont il
disposerait pour venir en aide aux pays qui en ont besoin, est une
partie des réserves de chaque Etat membre mise à disposition du Fond en
cas de nécessité. Le Fonds peut faire appel en cas de besoin à 20% des
réserves de changes de tous les pays qui en sont membres. Par exemple,
la Bolivie est attaquée par des spéculateurs : immédiatement le Fonds
demande à la Banque Centrale du Brésil, de l’Argentine, du Venezuela,
du Paraguay et de l’Equateur de transférer, en quelques heures, 20% des
réserves pour utiliser cette somme pour défendre la Bolivie. Précision
importante : cela veut dire qu’on ne bloque pas des fonds en
permanence, on les réunit seulement en cas de nécessité.


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Retour sur les enjeux autour de la Banque du Sud :: Commentaires

Tite Prout
Re: Retour sur les enjeux autour de la Banque du Sud
Message Dim 27 Mai - 21:04 par Tite Prout
Autre élément important dans les principes généraux de la proposition
équatorienne : les interlocuteurs de la Banque du Sud ou du Fonds sont
les États membres. L’idée est de faire des prêts destinés à des
entreprises publiques, à des petits producteurs, au secteur coopératif,
aux communautés indigènes, etc. En principe, elle ne fait pas de prêts
à des grandes sociétés transnationales du Sud comme il en existe en
Amérique du Sud : Petrobras, grande société brésilienne
privée-publique ; PDVSA, l’entreprise pétrolière vénézuelienne ;
Techint, entreprise privée argentine... En principe ce n’est pas à ces
entreprises là qu’on va prêter de l’argent, c’est au secteur public,
aux petits producteurs, aux communautés locales, à des municipalités, à
des provinces, etc. On va leur prêter de l’argent via les États
membres. L’idée est d’éviter que la Banque du Sud ne devienne un
« mastodonte ». On veut éviter ce qui se passe avec la BM, elle a près
de 13000 employés, ceux-ci contournent les gouvernements centraux, avec
des missions multiples dans tous les recoins de tous les pays du Sud.
Ces missions affaiblissent délibérément les pouvoirs publics. L’idée
est d’avoir une structure de Banque du Sud qui ne soit pas très
développée en nombre d’employés, et dont les interlocuteurs sont les
États. L’objectif est que les États, conformément à l’orientation de la
Banque, prêtent principalement à ceux qui en ont besoin, pour
l’application d’un modèle alternatif, respectueux de l’environnement,
cherchant à promouvoir la justice sociale et venant en aide à ceux qui
n’ont pas accès facilement à des capitaux, donc par définition pas
d’abord à des grandes entreprises privées.

D’autres différences entre le projet avancé par l’Equateur et le texte argentino-vénézuélien

Selon le projet équatorien, il est
prévu que chaque État membre doit mettre en place un mécanisme pour
que, chaque année, il soit rendu compte du fonctionnement et de
l’activité de la Banque et du Fonds. Ce mécanisme doit comprendre une
discussion parlementaire publique.

Au lieu de dire que les archives sont
inviolables, le principe choisi est qu’elles font partie du domaine
public. Il peut y avoir des exceptions provisoires, certaines décisions
du Fonds pouvant momentanément garder un caractère confidentiel par
rapport aux attaques spéculatives.

Les fonctionnaires de la Banque du Sud et du Fonds sont soumis à l’impôt.

Il n’y a pas d’immunité, on indique que
les fonctionnaires de la Banque et du Fond sont redevables de leurs
actes devant la justice. Enfin, on prévoit que la Banque et le Fonds,
en tant que personnes morales, peuvent être poursuivies en justice.

Quel bilan peut-on tirer de cette réunion ministérielle du 3 mai ?

D’abord le fait marquant est que le
Brésil, qui jusque là hésitait à rejoindre la Banque, a affirmé qu’il
adhérait à la Banque du Sud. Il faut cependant relever que le Brésil,
conformément à la politique économique et sociale et à la politique
étrangère du gouvernement Lula, voit surtout cette Banque du Sud comme
un instrument de politique commerciale, parle essentiellement de bloc
économique et prend comme modèle, sans aucun aspect critique, l’Union
Européenne (UE). Pour le CADTM et pour une série de mouvements sociaux
- européens ou pas -, l’Union Européenne telle qu’elle est ne constitue
absolument pas un modèle. Bien sûr, il y a des aspects positifs
importants : le fait d’avoir une monnaie commune, un espace dans lequel
les frontières internes sont supprimées et permettent largement une
circulation des personnes. Mais il est certain que le modèle actuel de
l’Union Européenne favorise l’application de politiques néolibérales,
favorise bien davantage la circulation des capitaux que la circulation
de personnes, puisque parmi les nouveaux Etats membres, à l’est, il y a
certaines restrictions au déplacement de ces personnes. L’UE maintient
une compétition très forte entre les travailleurs. Dans le cadre de
l’UE, il n’y a pas eu de nivellement vers le haut des codes du travail
et des obligations patronales à l’égard des travailleurs. On assiste au
sein de l’UE a un déplacement de travailleurs, notamment de l’est, qui
sont surexploités et mis en concurrence avec les travailleurs de la
partie occidentale de l’Europe, de manière à ramener vers le bas les
conditions de travail et les salaires de l’ensemble des travailleurs de
la région. Là où il y a encore des systèmes de sécurité sociale
favorables, comme en Hongrie, dans le cadre de la participation à l’UE,
on cherche à les privatiser.

Cette vision acritique par rapport à l’Union européenne, exprimée par
le Brésil, est sûrement partagée par d’autres gouvernements d’Amérique
Latine : soit ils se font des illusions sur l’UE, soit, ce qui est plus
probable, en toute connaissance de cause, partageant l’idée qu’il faut
plutôt privilégier un modèle qui reste tout à fait proche du
néolibéralisme, ils trouvent que l’Europe est très bien sous sa forme
actuelle.

Que penser de l’adhésion du Brésil à la banque du Sud ?

Etant donné le poids de l’économie
brésilienne en Amérique Latine, la participation du Brésil donne une
force de départ à la Banque significativement plus importante. Le
problème avec le Brésil, c’est l’orientation du gouvernement Lula et du
modèle économique et social qu’il met en pratique. Il est clair que
l’intégration du Brésil à la Banque du Sud attire la Banque du Sud dans
un schéma beaucoup plus traditionnel, pas très éloigné du
néolibéralisme, tandis que si le Brésil n’en faisait pas partie, il
serait plus simple d’avoir une définition plus proche du modèle
alternatif que nous prônons. Le Brésil est dans le Banque du Sud car il
ne peut pas en être absent : si les fondations de la Banque du Sud
n’avaient pas été construites à l’initiative du Venezuela et de
l’Argentine, le Brésil n’en aurait même pas parlé. Mais pour maintenir
son rôle économique régional dominant, le Brésil ne peut pas être
absent de la Banque du Sud. Si on se met à la place de l’Equateur, du
Venezuela et de la Bolivie, on peut comprendre que ces gouvernements
voient l’intérêt d’avoir le Brésil dans la Banque du Sud, parce que
c’est une puissance économique importante et parce qu’une série de
gouvernements progressistes de la région veulent maintenir un bon
rapport avec le Brésil pour éviter qu’il ne renforce son rapprochement
avec les Etats-Unis, ce qui affaiblirait la région face à l’agressivité
des États-Unis. Il y a un véritable jeu diplomatique et géostratégique.
L’idéal serait que le gouvernement brésilien adopte une politique
réellement de gauche, alternative à son alliance avec les Etats-Unis et
à son soutien essentiellement à l’industrie agro-exportatrice ou
industrielle exportatrice qui part à la conquête des marchés de la
région. On en est loin.

Quelle tendance va l’emporter à l’échelle régionale ?

Le gouvernement actuel du Paraguay est
un gouvernement de droite, et ce gouvernement pourrait être remplacé
suite aux élections présidentielles de cette année. Un curé de gauche
pourrait gagner les élections. Du côté de l’Argentine, il y a une
rhétorique anti-FMI et anti-néolibérale mais le gouvernement argentin
adopte une orientation de renforcement du capitalisme en Argentine. Il
y a en fait deux grandes initiatives mises en places en Amérique latine
aujourd’hui : d’une part cette Banque du Sud et le MERCOSUR qui
s’étend. Il comprenait au départ le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et
l’Uruguay. Le Venezuela, qui cherche une alliance régionale plus forte
en opposition à l’ALCA proposée par les Etats Unis, a adhéré au
MERCOSUR, la Bolivie également, et l’Equateur est là comme observateur.
On a donc un bloc économique qui se définit principalement par les
relations commerciales et économiques et est dominé par un modèle
capitaliste. Ce bloc permet de renforcer les échanges et favorise un
certain type d’intégration régionale.

Puis on a une autre initiative, l’ALBA,
l’Alternative Bolivarienne pour les Amériques, à laquelle participent
le Venezuela et la Bolivie, auxquels s’ajoutent Cuba, Haïti, le
Nicaragua, et l’Equateur en tant qu’observateur. Cinq jours avant la
réunion tenue à Quito sur la Banque du Sud, s’est déroulée une réunion
de l’ALBA au Venezuela. L’ALBA est un rassemblement politique avec
comme axe central Cuba-Venezuela-Bolivie. Les gouvernements de ces
trois pays affirment explicitement que leur orientation vise à réaliser
le « Socialisme du XXIème siècle », une orientation anti-capitaliste et
anti-impérialiste, visant la solidarité entre les peuples.

On est donc dans un contexte tout à
fait particulier en Amérique Latine et dans la Caraïbe, où on a deux
types de projets, en partie en compétition, mais qui coexistent,
puisque plusieurs pays sont membres des deux. Le Venezuela et la
Bolivie sont dans le MERCOSUR et dans l’ALBA ; par contre le Brésil
n’est pas dans l’ALBA, car l’ALBA a clairement une orientation beaucoup
plus à gauche que le MERCOSUR, et parce qu’il y a à Cuba dedans. Le
Brésil, sans être opposé à Cuba, affirme clairement son amitié
vis-à-vis du gouvernement de Washington.

La Banque du Sud est entre les deux,
quoique plus proche du Mercosur agrandi que de l’ALBA. Elle n’inclut
pas des membres clés de l’ALBA, à commencer par Cuba, mais aussi Haïti
et le Nicaragua. Bien sûr, il serait logique que la Banque du Sud, à
l’avenir, s’étende à la Caraïbe et à l’Amérique Centrale, et pourquoi
pas au Mexique s’il y avait un changement de gouvernement, et développe
des relations privilégiées avec les autres continents des pays en
développement, à savoir l’Afrique et l’Asie. Le Mercosur est un bloc
essentiellement économique, largement dominé par le Brésil. Le Brésil
est en fait un « sous-impérialisme », une puissance économique dans la
région qui domine ses partenaires économiques. Que ce soit l’Argentine,
le Venezuela, l’Equateur ou le Paraguay, ces pays ont une balance
commerciale négative à l’égard du Brésil. Le Brésil exporte chez eux
beaucoup plus que eux n’exportent au Brésil. Le Brésil est doté
d’entreprises transnationales comme Petrobras qui dominent des secteurs
économiques clefs de leurs voisins. Petrobras domine, avec d’autres
transnationales, le gaz et le pétrole bolivien ; d’autres entreprises
brésiliennes dominent le Paraguay. Le Mercosur, dominé par le Brésil
allié à l’Argentine, ressemble plutôt à l’Union Européenne dominée par
le trio franco-germano-britannique, avec une dominante néolibérale
capitaliste, tandis que l’ALBA est un projet plus politique
qu’économique, davantage basé sur des échanges de types trocs et des
donations. Il y a d’importantes donations du Venezuela à l’égard du
Nicaragua, de la Bolivie et de Haïti. L’ALBA me semble être un projet
vraiment intéressant. Qu’est ce qui va être déterminant ? C’est
l’orientation politique des gouvernements et la lutte des mouvements
sociaux.

L’Equateur a une orientation radicale, favorable à une répartition des
revenus en faveur des plus exploités, des plus opprimés. L’Equateur ne
renouvellera pas l’accord pour octroyer la base militaire de Manta aux
États Unis à partir de 2009. L’Equateur remet en cause le type
d’exploitation pétrolière qui détruit une partie de son territoire en
Amazonie, par exemple. On voit bien que la politique de l’Equateur, de
ce point de vue là, est plus proche du Venezuela et de la Bolivie que
du Brésil. Au Paraguay, on pourrait avoir un changement de président
vers la gauche. Il ne faut pas exclure par ailleurs de grandes
mobilisations au Brésil, notamment du côté du Mouvement des Sans Terre
(MST), qui renforce l’action pour une véritable réforme agraire, en
contradiction avec la politique de Lula. On pourrait connaître dans les
mois et les années qui viennent un renforcement de la dynamique des
peuples en action et du projet de l’ALBA. L’orientation de la Banque du
Sud dépendra des gouvernements qui soutiennent sa création. Même s’il y
a fort à craindre que l’orientation avancée par le Brésil et
l’Argentine prédomine, le jeu est encore ouvert. C’est maintenant qu’il
faut peser de tout son poids pour que le projet de Banque du Sud
concrétise tous les espoirs qu’il suscite.







Notes:



[1]
Le président équatorien Rafael Correa a annoncé qu’il ne renouvellerait
pas la concession de la base militaire de Manta au gouvernement des
Etats-Unis lorsque celle-ci viendra à son terme en 2009.

[2]
Membre des Économistes de Gauche d’Argentine (EDI), membre de
l’Observatoire international de la dette (OID) et professeur d’économie
à l’Université de Buenos Aires (UBA)

[3] Professeur d’économie à l’université de Mexico, membre de l’organisation Latindadd et de l’OID.





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URL: http://www.cadtm.org
 

Retour sur les enjeux autour de la Banque du Sud

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