Africains, Africains-Américains, Africains-Caribéens à l’ère de la hiéroglyphisation : Enjeux stratégiques 13/07/2004
Remontant au moins à 3400 avant J-C, l’écriture hiéroglyphique africaine d’Egypte ancienne fait l’objet d’un investissement cognitif exponentiel de la part des jeunes Africains et Afro-descendants des Amériques et des Caraïbes, comme d’ailleurs la ré-appropriation positive de toute l’histoire africaine et universelle pré-esclavagiste. Ce puissant trait d’union entre peuples africains, afro-descendants et homo sapiens de la planète qui par l’écriture surgit de la trace des millénaires d’apports africains à l’humanité, est en passe de devenir une courroie de redéfinition des canons intellectuels et culturels pour les générations futures. Il s’agit de ne pas en ignorer les enjeux stratégiques.
Que l’écriture hiéroglyphique africaine d’Egypte ancienne soit la première écriture attestée de l’humanité connue à ce jour ne fait plus aucun doute sur le terrain scientifique. D’autres terrains ethnocentristes pourraient entretenir des ratiocinations stériles à ce sujet que rien n’y ferait. Cette écriture, dont dérive indirectement l’alphabet latin contemporain, fruit du génie créateur des Africains bâtisseurs des premières civilisations humaines a éclot dans un contexte culturel et intellectuel riche et varié, au sein duquel d’autres écritures africaines ont existé et co-existé. Les écritures Vaï, Mende, Nsibidi, Bamoun … en témoignent à suffisance au risque fort bien pesé de renverser des certitudes depuis des siècles de Lumières installées en routine intellectuelle.
L’investissement dans la connaissance des hiéroglyphes participe de cette reconnaissance par les Africains et Afro-descendants de l’Afrique comme leur bassin originel commun et de la civilisation pharaonique comme la civilisation classique des peuples originaires d’Afrique. La langue et l’écriture représentant l’accès le plus immédiat à cette culture millénaire. Ainsi de Kinshasa à Paris, de Pointe-à-pitre à New York, des équipes assidues se mettent aux Medu Neter ou Paroles Divines, le nom égyptien de l’écriture pharaonique. Sans toujours en avoir conscience ces Afriques nouvelles qui se fabriquent souvent plus à l’extérieur du continent qu’en de-dans se donnent à se rapprocher intellectuellement et culturellement sous le vecteur de la Maat écrite.
Il reste qu’aucune réelle coordination, aucune réelle politique ou stratégie fédératrice de hiéroglyphisation n’émerge de façon nette entre les différents enseignants, savants, étudiants, prêtres contemporains de l’Egypte …future.
Les problématiques de conservation et de ranimation du patrimoine africain de l’écrit s’imposent comme tâche primordiale, afin d’éviter une disparition des formes d’écriture endogènes et donc d’assurer le stockage de l’expérience des Africains anciens, de leur génie, de leurs perceptions du monde. De ce point de vue l’écriture hiéroglyphique et les autres se valent, Vaï, Mende, Méroïtique…
Le statut des Medu Neter est particulier comme écriture de science africaine, support de ranimation de la civilisation africaine la plus aboutie et appelée à jouer un rôle sensiblement comparable au latin, au grec, à l’arabe littéraire ou au mandarin par exemple. Cependant l’impératif de ré-apprentissage des formes anciennes ne dispense pas de la nécessité d’une modernisation et d’une actualisation de l’écriture, dès lors que l’option sera prise de ne pas faire de l’égyptien ancien un système passif de signes-sens et de phonèmes passéistes, une langue morte…
Les hiéroglyphes regroupent un ensemble de signes qui traduisent une idée, signes figuratifs qui rendent compte d’un environnement humain, naturel et cosmique. Ce sont donc des idéogrammes, affectés d’une valeur phonétique -son- et d’une valeur sémantique -sens. Or en tant que système d’environ 800 signes principaux décrivant et rendant pleinement compte de la vie des Africains anciens, l’écriture hiéroglyphique en appelle à une modernisation, pour étendre les signes figuratifs à la réalité moderne. Par exemple les Africains d’Egypte antique représentaient des bateaux puisqu’ils s’en servait dans la navigation usuelle, leurs descendants contemporains devraient représenter leurs moyens de locomotion usuels comme les voitures, les avions, et tous les autres objets tombés aujourd’hui dans la banalité quotidienne, en respectant les règles de l’art, la stylisation, le sens de l’écriture,… il va sans dire. Les spécialistes devraient se pencher sur cette question pour rapprocher l’écriture africaine des préoccupations et réalités modernes, facilitant par le même coup la hiéroglyphisation des sociétés africaines et afro-descendantes, ne serait-ce que leurs élites intellectuelles dans un premier temps.
La question de la vocalisation de l’Egyptien ancien ne pourra pas non plus rester enfouie au fond des cartons des égyptologues dans cette optique de ré-appropriation cohérente et de régénération des savoirs anciens. En effet, dans l’état actuel des connaissances, les signes hiéroglyphiques peuvent être translittérés mais pas nécessairement prononcés, il est difficile de dire comment l’égyptien parlait, même si le copte qui en est un proche parent est lui connu. Il faudra donc réfléchir à un degré d’homogénéisation de la vocalisation de l’égyptien ancien. Il y perdra peut-être en hermétisme et en sacralité ce qu’il gagnera en accessibilité. La tâche n’est pas aisée, ce qui en rien n’oblige à faire l’économie d’une appréciation prospective de la situation.
La question de la vocalisation et du parler de la langue égyptienne est plus insidieuse qu’elle ne veut le dire. L’illustration parfaite des pièges dont regorge cet épineux objet est la perversion que constitue une ré-utilisation grécisée des noms de figures emblématiques africaines égyptiennes, des savants, souverains, c’est à dire en pratique tous les noms admis égyptiens, prononcés inconsciemment avec une consonance et une acception héritées des us et coutumes idiomatiques de la langue grecque. Faute de mieux, à court terme on pourra éventuellement se contenter des Imhotep, Ramsès, Ménès, … mais à terme ces patronymes à phonétique grécisée devront être restitués à une vocalisation moins dilettante, réellement africaine dans la démarche.
Alors seulement il sera temps d’entreprendre une véritable politique de vulgarisation à grande échelle, une hiéroglyphisation des Africains et Afro-descendants alors parfaitement outillés pour prendre l’entière mesure de l’incommensurabilité de leur patrimoine culturel commun, et en faire un capital de désaliénation, de progrès partagé entre tous les homo sapiens sapiens de la planète.
Akam Akamayonghttp://www.afrikara.com/index.php?page=contenu&art=308
Hotep, Soundjata