ARTÉ ou Méthodologie des termes techniques et scientifiques en langues africaines
AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE... ET IL ÉTAIT AFRICAIN ! 7 janvier 2005
par
Gervais HOUNKPONOU Extrait de l’ouvrage du même titre à paraître prochainement aux éditions menaibuc...
A - INTRODUCTIONLes exigences de la vie contemporaine nous incitent à faire acquérir aux populations africaines une mentalité moderne, face au développement effréné des sciences et techniques. Le seul moyen approprié, efficace pour ce faire, c’est à dire pour élever le niveau de connaissance des africains et l’étendre, est le développement de nos langues nationales, leur élévation au niveau de l’abstraction. Cela suppose la création des concepts dans nos langues.
En réalité les notions, en tant que représentation élémentaire, en tant qu’objet de connaissance, existent parfois déjà dans nos langues ; il ne reste qu’à les élever au niveau de concepts, par abstraction de tel ou tel élément et en le généralisant. C’est à cela que nous nous sommes attelé depuis une dizaine d’années au bout desquelles nous pensons avoir mis au point une méthode simple de création de termes techniques et scientifiques dans les langues africaines. Méthode que nous avons appliquée à notre langue maternelle, le SANGO.
B - LA METHODE : A. R. T. É. (ou Appui, Reconceptualisation ; Terminologie ; Égyptien.)
Baptisée A.R.T.E, la méthode est fondée sur l’ETYMOLOGIE des termes à restituer et leur RECONCEPTUALISATION en langues africaines à partir des réalités socio-culturelles et environnementales de l’Afrique. L’Egypte peut nous servir de source et de référence. Depuis les travaux pionniers du Pr Cheikh Anta Diop, et notamment depuis la conférence du Caire en 1974, il est désormais admis et reconnu que l’Egypte pharaonique dans sa culture s’apparente aux cultures africaines. Aussi pouvons-nous en tirer toutes les conséquences.
Qu’est-ce donc A.R.T.E ?
• A = Appui Les termes scientifiques et techniques étant universellement admis, nous nous sommes appuyé sur des définitions déjà établies et admises. Ainsi la référence à ce dont on parle peut se faire aisément et l’on tient de la sorte le même langage. D’autre part à travers les étymologies que nous reproduisons, les africains découvriront qu’à la Renaissance les langues européennes (ici le français) étaient aussi concrètes que le sont les langues africaines contemporaines.
Ce sont les besoins d’expression de l’abstrait qui ont incité les français à créer des termes techniques et scientifiques à partir du génie propre de leur langue, à faire des emprunts au latin et au grec, tout en écartant le vocabulaire populaire très concret ; tel notre cas aujourd’hui. Le caractère scientifique de ces termes, leur précision, procède plus des définitions qui leur sont assignées que de l’essence même de la langue française ou autre langue européenne.
• R = Reconceptualisation Après l’analyse de l’étymologie et de la définition, l’étape suivante est celle de la reconceptulisation dans la langue africaine considérée. Outre celle-ci les équivalents peuvent être recherchés dans les autres parlers du même groupe ou des autres groupes cohabitant sur le même territoire etc...
• T = Terminologie A l’issu de la reconceptualisation , le choix du vocable est parfois multiple. L’élection de celui-ci repose sur son occurrence dans la langue, sa facilité de prononciation etc... Le vocable ainsi retenu devient ipso facto un terme technique dans le domaine considéré du fait de la définition qui en est donnée au paragraphe APPUI...
• E = Egyptien Les langues égyptiennes (pharaonique et copte) étant mortes nous pouvons, si besoin en est, à la recherche de mots techniques, faire des emprunts au lexique égyptien. De ce fait le langage scientifique gagne en précision par l’univocité du mot nouveau provenant de l’emprunt.
On y regardant de près, on constate que les langues européennes, dans les écrits scientifiques, ajoutent des terminaisons anglaises ou françaises, des mots d’origine grecs ou latin qui désigne les choses basiques de la vie.
L’unité linguistique en matière de science et de technique se fera autour des langues égyptiennes, si nous le souhaitons. Tel le cas des langues européennes autour du grec et du latin.
Notons pour finir que le meilleur moyen d’obtenir les termes techniques est de les recueillir directement auprès des sujets âgés - qui, selon A. Hampâté Ba, sont nos bibliothèques - et des professionnels de chaque corps de métiers (forge, maçonnerie, distillerie, tissage, poterie etc..) en Afrique.
C - APPLICATION : Analyse des données terminologiques en langue Sango.• Soit le corpus ci-après :
Electricité, générateur, précipité, chimie, anabolisme, catabolisme, hormone, chlorophylle, cône, polygone. Nous allons essayer de les restituer en langue sango, en partant du français comme langue d’appui.
APPUI :
Cette étape considère l’étymologie2 et la définition 2 de chacun de ces termes auxquels nous souhaitons trouver des équivalents en sango.
• GENERATEUR 1519, du latin generator
• ELECTRICITE 1720 ; du latin electricitas < lat electricus, << propre à l’ambre>>. En effet l’ambre jaune est<< une résine fossilisée d’origine végétale, dure et transparente qui a la propriété de s’électriser par frottement>>.
L’électricité est une forme d’énergie mise en évidence à l’origine par ses propriétés attractives et répulsives ; aujourd’hui elle désigne l’ensemble des phénomènes causées par une charge électrique>>.
• CHIMIE 1356, du latin médiéval CHIMIA en passant par al-chemia, de l’arabe al-kimiya d’origine gréco-égyptienne.
A partir de 1554, la chimie désigne la science qui étudie la constitution de divers corps, leurs transformations et leurs propriétés.
• PRECIPITÉ 1542, participe passé de précipitare, de praeceps, praecipitis <>. A partir de 1553, un précipité résulte d’un phénomène chimique à la suite duquel un corps solide insoluble prend naissance dans une phase liquide (précipitation). Autrement dit le précipité est le résultat d’une précipitation.
• HORMONE 1911, du grec hormôn <>. L’hormone est une substance synthétisée par une glande à sécrétion interne et qui à travers le sang exerce une action spécifique sur un autre tissu ou une autre glande.
• CHLOROPHYLLE 1817, vient du grec klorôs <> et de phyllon << feuille>>. Mot proposé par Pelletier et Caventou pour désigner les pigments verts des feuilles.
• POLYGONE du grec poly (plusieurs) + gonôs (angles).
• CÔNE du latin conus < grec konos, <>. En botanique le cône est l’organe reproducteur de certains gymnospermes (nu + semence) que sont les conifères.
1552, le cône est la figure géométrique engendrée par une droite mobile (génératrice) qui passe par un point fixe (sommet), en s’appuyant sur une courbe (directrice).
• CATABOLISME 1896 ; grec de cata - et (méta)-bolisme. Physiologie : phase du métabolisme qui comprend le processus de dégradation des composés organiques, avec d’égagement d’énergie sous forme de chaleur ou de réactions chimiques et élimination de déchets.
• ANABOLISME 1907 ; grec anabolê <>, de belos <>. de ana - et (méta)-bolisme. Physiologie : phase de métabolisme comprenant les phénomènes de biosynthèse.
On aura remarqué que CATABOLISME et ANABOLISME dérivent de METABOLISME par substitution de préfixes comme l’indique Jean Bouffartiges dans l’ouvrage TRESORS DES RACINES GRECS, p. 200 <<... Ainsi, après avoir tiré de metabolê, changement, le mot métabolisme pour désigner l’ensemble des échanges dans un organisme vivant, les biologistes ont construit anabolisme : ensemble des phénomènes d’assimilation (d’où anabolisant : qui aide à assimiler), et catabolisme : ensemble des phénomènes des consommations et d’élimination. Anabolisme et catabolisme n’ont aucun rapport de sens avec les mots grecs anabolê, ascension ou delai, et katabolê action de jeter à bas, ni n’on plus avec les éléments grecs ana et kata.>>.
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RECONCEPTUALISATION1 - Les attestations en sango • DÀDA [1] < ngbandi, engourdissement, sert à rendre électricité en sango. On a aussi Kùraán.
• SéNDÁ-MÍ [3] (science-chair, substance de la matière) rend CHIMIE en sango. Les autres termes ne sont pas attestés.
Porte Dogon 2 - Les propositionsDire qu’un terme n’est pas attesté dans la langue sango ne veut pas dire qu’il n’existe pas ou que la notion n’existe pas dans cette langue. Nous proposons les vocables suivants.
• SéDÀDA pour électricité. Cela par souci d’harmonisation des termes en Sé, réservant ainsi DÀDA pour <>. Bien sûr ce sont les locuteurs sango qui choisiront.
• NÌNA [4] > Nìna est un poisson qui se rencontre dans de nombreux cours d’eau en Afrique. Il a la propriété de vous décharger un choc électrique lorsque vous le touchez. De NÌNA nous pouvons créer :
• KÉTÉ-NÌNA (petit générateur) = Pile (électrique)
• KOTA-NÌNA (grand générateur) = Centrale (électrique).
• KÍMÌYÀ ou KÉMÌÀ = CHIMIE ; selon que l’on parte de l’étymologie arabe ou grecque. Ici l’on découvre l’avantage du procédé étymologique.
En effet en empruntant le français Chimie, le sango dira SÌMI comme le walaf ; alors que le yorùbá s’inspirera de Chemistry 5 anglais pour se forger Chimie. Ce faisant nous reproduisons dans les langues africaines la dichotomie ethnique francophone-anglophone qui n’a plus cours en Europe même.
A partir de chimie nous avons forgé chimie organique, chimie minérale, électro-chimie etc.... Nous renvoyons le lecteur à notre ouvrage à paraître.
• KÌNDA [6] est proposé pour rendre Précipité. Le substantif KÌNDA vient du verbe KÌNDÀ (ngbandi) : jeter à terre, précipiter, sombrer, aller au fond.
La dernière acception du mot rend bien ce qu’est effectivement un <> en chimie. On le voit bien nous n’avons fait qu’étendre le champ sémantique de KÌNDA qui résulte de KINDANGO10 (action de précipiter). Remarquons qu’en sango par dérivations successives tonale et infinitivale nous obtenons : KÌNDÀ > KÌNDA >
• KINDAGO [10], en français : précipiter > précipité > précipitation. Cela étant passons aux termes de biologie << hormone>> et << chlorophylle>>.
• KOTOMA (KO + TOMA) = HORMONE
• KO (ngbandi), pronom relatif : que, qui, celui qui, ce qui.
• TOMA (ngbandi) : exciter. Kotoma, <> n’est que le calque de hormone.
NGÚ-NGÙNZA (feuille de manioc pilée, sango) nous sert à rendre . Le sango indique même le procédé par lequel on obtient la chlorophylle. C’est exactement par ce procédé que nous extrayions la chlorophylle des feuilles en travaux pratiques en classe de seconde.
Des équivalents sont retrouvés en Fòn (àmà-sì) en Yorùbá (omi-éwé, respectiement : <> et <>. Le fòn et le yorùbá sont deux langues parlées au Bénin. L’essentiel des yorùbá provient du Nigéria. Pour finir, examinons deux concepts mathématiques, polygone et cône.
•KÍGBÀNÍ [7] = <>. Celui-là vient du sango : KÍ, épine, piquant, aiguille, par extension cîme, sommet. GbÀ, beaucoup, grand nombre, nombreux. NÍ (pronom anaphorique) : ce...en ...question, le...déjà mentionné, de...cela. Littéralement KÍGBÀNÍ = sommet - beaucoup de cela.
• KÀLÁ = <> Kàlá désigne en Banda l’escargot et un jeu cônique à partir de la coquille d’escargot que l’on modèle en lui conférant une forme cônique ; le jeu se pratique à la manière d’une toupie. Ainsi par abstraction de la forme Kàlá passe, comme cône, du concret à l’abstrait ; la définition qui en est donnée ci-dessus en mathématique en fait un concept mathématique.
Le même jeu se retrouve en pays FÒN et en pays yorùbá respectivement sous la dénomination de ÀKOTÓ et ÒKÒTÓ.
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Amenemat TERMINOLOGIE.A l’issue de la reconceptualisation les vocables suivant : (kàlá, kígbàní, ngú-ngùza, kotoma, sékìnda) [10] sont retenues car ne posant pas de problème de choix.
En revanche nos allons motiver notre choix pour les vocables restituant en sango générateur, électricité et chimie.
• SDÀDA [10], nous le préférons, pour rendre <<électricité>>, à DÀDA qui sera réservé à <> ; quant à KÙRAÁN, populaire, nous l’opposons à la forme savante SéDÀDA [10].
• NÌNA ou NÌNe pour est simple de forme et de prononciation aisée pour les locuteurs non centrafricains. Nous le retenons au détriment du <> et de <> qui en sont des synonymes en langue sango.
Notons pour finir qu’au Bénin le même poisson porte le nom de ZèGBÍ [8], [10], en GÙN variante régionale de la langue FÒN.
• KÍMÌYÀ ou KÉMÌÀ est retenu pour Chimie. Soucieux de l’uniformisation du discours scientifique en Afrique nous préférons l’emprunt de l’original (KÍMÌYÀ ou KÉMÌÀ) à SÌMI (qui vient du terme "chimie" - lui-même copie du latin) . Nous répétons que la décision finale du choix de tel ou tel vocable revient aux centrafricains et aux africains en général.
Quel peut être l’apport des langues égyptiennes ? • EGYPTIEN
Nous avons choisi d’emprunter des vocables au Copte pour rendre <> et <>.
Remarquons que le copte utilise les particules DJIN-, GIN- et KIN- pour former des noms concrets ou abstraits à partir d’infinitifs. Ces particules rendent : l’<>, la <>... Ainsi les verbes copte CHIBE (changer, transformer, métamorphoser) et TAKO (faire périr, détruire, dégrader) donneront les substantifs ci-après avec KIN-.
• CHIBE (transformer) > KINCHIBE (transformation)
• TAKO (dégrader) > KINTAKO (dégradation)
Rendu en sango cela donne avec le nouveau sens qui leur est affecté et les tons tout aussi arbitraires :
• SIBE (anaboliser) > KÍNÌSIBE (anabolisme) avec un [ Ì ] épanthétique à KÍNÌ
• TAKO (cataboliser) > KÍNÌTAKO (catabolisme), le (CHIBE] copte > [Sibe] en sango La chuintante n’existant pas dans la langue sango. Ces exemples ne sont qu’un aperçu des avantages que nous pouvons tirer des langues égyptiennes qui constituent pour nous une source inépuisable. Cela suppose des conventions entre nous africains.
Le tableau ci-dessous reprend en résumé les différents concepts que nous avons restitués en sango :
FRANÇAIS // SANGO Electricité // SéDÀDA [10]
Générateur // NÌNA / NÌNe [10]
Précipité // SéKÌNDA [10]
Chimie // KÍMÌYÀ/KÉMÌÀ
Anabolisme // KÍNÌSIBE
Catabolisme // KÍNÌTAKO
Hormone // KOTOMA
Chlorophylle // NGÚ-NGÙNZA
Cône // KÀLÁ
Polygone // KÍGBÀNÍ
Báà gi ní làá : <>. En abréviation B.G.N.L = C.Q.F.D.(ce qu’il fallait démontrer).Suite au message suivant...
Dim 12 Mar - 8:55 par Soundjata