L'Actualité, no. Vol: 31 No: 8
15 mai 2006, p. 40
Un siècle fou
Et maintenant: la diversité linguistique
Incroyable. Le traité de l'Unesco sur la diversité culturelle sera bientôt ratifié par de nombreux États. Le temps est donc venu de rédiger le prochain. Sur la langue.
Lisée, Jean-François
Lorsqu'elle est apparue dans les milieux gouvernementaux et universitaires de Québec, en 1997, l'idée de freiner le rouleau compresseur des États-Unis grâce à un traité qui soustrairait la culture à la tyrannie commerciale semblait chimérique.
Moins d'une décennie plus tard, en octobre, 148 États représentés à l'Unesco - seuls les États-Unis et Israël votant non - ont approuvé le traité, révolutionnaire, qui protège la capacité des États de soutenir leurs artistes, leur cinéma, leur industrie du disque. On aimerait qu'il soit plus contraignant. Mais il constitue un gigantesque pied de nez à la puissance américaine... ou un symptôme de sa faiblesse momentanée.
Il y a une petite chose que ce traité protège mal: la langue. Pourtant, s'il fallait agir pour protéger aides publiques et quotas culturels avant que l'Organisation mondiale du commerce les déclare des entraves au commerce, le même argument peut être avancé pour la langue. Selon Ivan Bernier, de l'Université Laval, un des principaux cerveaux derrière le traité de l'Unesco, et selon Christine Fréchette, du Conseil de la langue française, ce n'est qu'une question de temps avant qu'un tribunal de l'OMC déclare contraire au droit commercial la loi du Québec obligeant les majors à fournir des versions françaises de leurs films et mette dans sa mire les quotas contraignant les radios à diffuser une proportion minimale de chansons en français.
Même les dispositions de la loi 101 qui imposent la présence du français ou sa prédominance dans l'étiquetage, les modes d'emploi et l'affichage pourraient être hachées menu sur l'autel du commerce. Dans la logique commerciale, même si on fait la preuve que le français doit être présent pour des raisons de santé, cela ne protège nullement sa prédominance, qui répond à un impératif socio-politico-identitaire.
Réfléchissons un instant à ce qu'un traité sur la diversité linguistique pourrait contenir. Comme celui sur la culture, il interdirait d'interdire. Les États ne pourraient éliminer de leur paysage une langue minoritaire ou étrangère (comme les Grecs tentent de le faire avec le turc). Mais les États pourraient déclarer une ou plusieurs langues officielles, décréter la prédominance de l'une d'elles, adopter des politiques visant à perpétuer cette prédominance, y compris en éducation. C'est la loi 101 toute crachée.
Préserver l'acquis serait déjà bien. Mais il faut également gagner du terrain. La généralisation de l'anglais dans les raisons sociales et les marques de commerce est déjà un sujet d'inquiétude tant au Québec qu'en France, en Russie, au Mexique ou en Chine. Le droit national actuel ne peut obliger Future Shop ou Toys "R" Us à se franciser, ne serait-ce que pour mieux atteindre leurs clientèles francophones. Le même raisonnement s'applique évidemment au Cirque du Soleil en tournée en Arkansas ou à Singapour.
Suivant les recommandations du Conseil de la langue française et de la commission Larose, le Québec pourrait proposer qu'un nouveau traité, tout en reconnaissant les dénominations commerciales étrangères existantes (pourquoi franciser rétroactivement ce joyau de la langue du commerce qu'est Canadian Tire) et en protégeant celles qui sont des noms propres (Fouquet, Tim Horton, Bombardier), permette aux États de réglementer l'implantation de nouvelles marques et raisons sociales. Des États pourraient viser une prédominance globale du français et établir, au-delà d'un certain seuil, un moratoire sur les nouvelles marques unilingues anglaises. D'autres viseront l'égalité des langues. D'autres s'abstiendront.
Un traité comme celui-là pourrait avoir deux effets secondaires positifs pour le Québec. Inscrire dans un traité international signé par le Québec l'interdiction d'interdire rendrait impossible tout retour à l'affichage commercial unilingue français. Bien. Inscrire dans un traité international signé par le Canada le droit des États à des politiques publiques visant la prédominance d'une langue mettrait la Cour suprême canadienne en garde contre toute tentative d'invalider les dispositions scolaires et commerciales actuelles de la loi 101. Ce qui ne serait pas un bénin bénéfice.
Pour en savoir plus:
www.lactualite.com/siecle_fou
Jean-François Lisée est directeur exécutif du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal ainsi que de PolitiquesSociales.net.