CQFD N°044
NOIR C’EST NOIR
SARKOZY L’AFRICAIN
Mis à jour le :15 avril 2007. Auteur : Jonathan Ludd.
Au
petit jeu du marketing électoral, Sarkozy n’a pas fini de nous
surprendre. Fustigeant la politique africaine de Chirac, il affirme
qu’il mettra fin à la Françafrique et au soutien des dictatures
africaines. Vraiment ? Au placard les Sassou N’Guesso (Congo), les
Bongo (Gabon) et autres « racailles » de l’oligarchie africaine ?
CQFD a mené l’enquête.
BÉNIN, 19 MAI 2006. Le ministre de l’Intérieur est en tournée
« extérieure » pour améliorer le contrôle de l’immigration. À cette
occasion, il dénonce la politique africaine de Chirac : «
Il
nous faut la débarrasser des réseaux d’un autre temps, des émissaires
officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent. Le
fonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doit
prévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le
passé. Il faut définitivement tourner la page des complaisances, des
secrets et des ambiguïtés. » Quelques mois plus tard, Sarkozy récidive. Se définissant comme «
l’ami des Africains », il s’engage, une fois élu, à mettre fin à la Françafrique et «
cesser de traiter indistinctement avec des démocraties et des dictatures » [1].
Nicolas Sarkozy, fossoyeur de la Françafrique ? Ce
terme, rappelons-le, désigne le système de domination néocoloniale mis
en place dès 1960 par le général de Gaulle et son bras droit Jacques
Foccart. Objectif : instaurer ou maintenir des dictatures africaines
« amies de la France », afin de garantir les intérêts économiques et
diplomatiques dans les anciennes colonies. Pour y parvenir, tous les
moyens sont bons : trucage d’élections, assassinats, coups d’État,
détournement de l’aide au développement, etc. Ce vaste système
d’ingérence et de corruption, entretenu par tous les présidents
français depuis 1960, est l’un des «
plus longs scandales de la République » [2]
Face aux promesses sarkoziennes, le doute nous saisit. Est-ce le même
homme qui expulse 50 000 immigrés en trois ans ? Qui refuse l’asile
politique aux dizaines de milliers d’Africains fuyant des régimes
tortionnaires soutenus par la France ? Qui proclame le rôle positif de
la colonisation française : «
La vérité, c’est qu’il
n’y a pas eu beaucoup de puissances coloniales dans le monde qui aient
tant oeuvré pour la civilisation et le développement et si peu pour
l’exploitation. » [3] ?
Oui, c’est le même. Les discours de Nicolas Sarkozy,
c’est un peu comme à la Foir’fouille. On trouve de tout. Un patchwork
contradictoire destiné à séduire le plus large public possible. Ainsi,
quand le candidat UMP dénonce les réseaux françafricains, il tempère
aussitôt : «
Aucun pays du nord ne porte autant
d’attention à l’Afrique que la France. Aucune nation n’a autant à coeur
la stabilité, le développement, la réussite des pays du continent
africain. » [4]
Cherchez l’erreur... Et le pillage des matières premières, l’affaire
Elf, la Cogema au Niger, Bouygues au Mali, Bolloré partout ? «
Il
faut cesser de répéter que la France est présente en Afrique pour
piller ses ressources car, à tout bien peser, c’est vrai, nous n’avons
pas économiquement besoin de l’Afrique [...]
La France est en Afrique avec des ambitions plus amicales. » [5] Et Nicolas Sarkozy de s’ériger en ardent défenseur des multinationales françaises : «
Bouygues,
Air France, Bolloré, n’ont pas besoin de la diplomatie française pour
exister et se développer en Afrique. S’ils y sont dynamiques, c’est
grâce à l’ancienneté de leur implantation, ils ont cru à l’Afrique
avant beaucoup d’autres. C’est au talent de leur management et de leurs
collaborateurs qu’ils le doivent et à eux seuls. » [6]
Cocorico ! Deux ans plus tôt, le même, alors ministre de l’Économie,
offrait plus d’un milliard d’euros de subventions aux entreprises
françaises installées en Algérie, record historique. Raison de plus
pour Martin Bouygues de mettre à la disposition de son ami Sarkozy, le
temps de la campagne présidentielle, son conseiller Afrique Michel
Lunven. Cet ancien ambassadeur de France au Gabon était le conseiller
de Jacques Foccart, principal architecte de la Françafrique.
Mais au fait, Nicolas Sarkozy entretient-il des
relations avec des dictateurs africains ? Oui. Il rencontre
régulièrement Omar Bongo, dirigeant du Gabon depuis 1967. Omar Bongo,
qui est à la démocratie ce que l’arsenic est à l’apéritif, déclarait
récemment : «
Avec Nicolas Sarkozy, il y a une
différence parce qu’on est amis. Si demain il me renie parce qu’il est
président, je lui dirai : “Ce n’est pas sérieux Nicolas’’. [...]
Je crois que le fondement même de la Françafrique restera, quitte à l’améliorer. » [7]
Si c’est lui qui le dit... Nicolas Sarkozy est par ailleurs ami de
Denis Sassou N’Guesso, parvenu à la tête du Congo par un coup d’État.
Il soutient également la monarchie marocaine de Mohammed VI et le
pouvoir militaire de Bouteflika. Pour s’introduire auprès des
oligarchies africaines, le candidat gaulliste s’est entouré d’un
directeur de campagne de premier choix : l’ancien bras droit de Charles
Pasqua, Claude Guéant, spécialiste des questions africaines.
Résumons : Nicolas Sarkozy est ami d’Omar Bongo, apôtre
des multinationales françaises, conseillé par un ancien du « réseau
Pasqua ». Mais il se déclare « contre la Françafrique ». Ah, les
présidentielles et leur festival de promesses ! De quoi méditer sur ce
proverbe africain pour les semaines à venir : «
Ne te laisse pas lécher par qui peut t’avaler. »
Article publié dans
CQFD n° 44, avril 2007.
À lire également, l’article PS et Françafrique : une amnésie d’éléphant paru dans le même numéro.
[1]
Jeune Afrique, 05/11/2006.
[2]
La Françafrique, François-Xavier Verschave, Stock, 1998.
Voir également le site de l’association Survie
.
[3] Meeting de Caen, 09/03/2007.
[4] Bénin, 19/05/2006.
[5]
Jeune Afrique, 05/11/2006.
[6]
Africatime, 20/05/2006.
[7]
NouvelObs, 18/02/2007.
Dim 27 Mai - 18:46 par mihou