Pour une communauté noire forte et unie
Membre de la rédaction de Grioo.com, M. Yange donne cette semaine son point de vue sur l'émergence d'une communauté noire forte et unie.
Par Yann Yange
Suite à l’affaire Dieudonné (qui a crée l’effervescence dans les médias, re-soulevé l’épineux problème des razzias négrières, puis remis à l’ordre du jour les revendications d’une communauté noire qui a vu sa conscience historique humiliée et bafouée depuis des siècles) et l’émergence de nombreux mouvements noirs souvent endormis ou travaillant dans l’ombre jusque là, il m’a semblé opportun de revenir sur quelques points qui pourraient s’avérer être des freins à l’éclosion d’une communauté noire forte, prospère et unie.
Car, même si on s’accorde tous entre (ce que d’aucuns appellent les) « noirs conscients » que le concept d’afrocentricité, suite logique et naturelle du travail de conscientisation de Cheikh Anta Diop, semble être la voie de la résurrection d’une culture et d’une conscience historique noire abusivement bafouées depuis de nombreuses années, et qu’il serait intéressant qu’il puisse évoluer au stade d’actions concrètes, devenant habitudes, forgeant caractères et se constituant finalement partie intégrante et inconsciente de ce qui déterminera notre destinée de noirs (1), il reste toutefois important et nécessaire d’en revoir les champs d’application.
Dépassons nos antagonismes
En effet, il est important de remarquer que tous les noirs en France n’ont clairement pas les mêmes revendications, entre ceux qui sont arrivés en France pour fuir les difficultés de l’Afrique et qui voient la vie à travers le prisme de la renaissance Africaine, et ceux qui, après des générations et des générations de parents ayant émigré, sont noyés dans la société française et ont la vision d’une communauté noire future forte mais évoluant loin des réalités du continent, il convient de soulever les nuances.
Compte tenu des aspirations multiformes et disparates des éléments constituant notre communauté, les différents mouvements et personnalités noirs gagneraient à se concerter et à identifier chacun, une ligne directrice précise commune ancrée dans la perspective future d’une communauté noire forte, qu’elle aspire à être plus centrée sur l’Afrique, qu’elle y aspire un peu moins ou pas du tout. Parce qu’aujourd’hui, et il faut le dire, la communauté est désunie, ratisse un peu dans tous les sens et on a l’impression de se retrouver dans des mouvements aux deux extrêmes : les « moins modérés » et les plus « modérés » : entre ceux qui prônent l’intégration à tout bout de champ, mettant en avant tous les concepts universalistes qui consistent à faire bonne figure et avoir l’approbation des occidentaux, ne nous aidant pas toujours à faire émerger une vraie conscience africaine ; et ceux qui en même temps qu’ils contribuent à vulgariser tous les éléments essentiels de l’histoire et la culture africaines, nous ramène en même temps dans un combat dans le style de Malcolm X à ses débuts, et à la pratique du culte des morts (pharaons) comme doctrine du renouveau africain… Pour un « normalement modéré », on finit par s’y perdre.
On se retrouve avec d’un côté, des mouvements où on se sent chez soi, où on est enfin heureux d’être Africain en France mais où, malgré tout, on se sent en marge de la société. Et d’un autre côté, on a des mouvements où on se sent en phase avec la société française en essayant d’y trouver sa place et être accepté par les autres (les français blancs), tout en ressentant néanmoins, qu’on s’éloigne de plus en plus de son identité africaine. Et finalement, on est encore plus perdu qu’au départ.
Et on l’est encore plus quand on se rend compte qu’un leader d’un mouvement A peut se faire « gazer » au lacrymogène par des vigiles dans une manifestation pour commémorer l’abolition de l’esclavage et la traite organisée par un mouvement B (NDLR : M. Yange fait ici allusion au gazage de M. Kemi Seba de la Tribu Ka le 22 Mai dernier).
Ou encore lorsqu’on voit deux mouvements différents organiser deux marches pour cette même abolition, à 1 jour d’intervalle.
Au regard de cela, on conviendra aisément que de simples curieux, ayant été alertés par la simple actualité de l’affaire Dieudonné ou la masturbation intellectuelle de Pétré Grenouilleau, commençant à prendre conscience du « combat » mené par les Noirs de France, finissent par s’interroger sur la réalité même de cette communauté, et finalement se méfier de ceux-là qui s’érigent comme ses leaders. Entre ceux qui veulent nous rendre Français alors qu’on sait pertinemment que notre couleur de peau fait qu’on ne le sera jamais et ceux qui veulent nous faire retourner en Egypte antique, je ne sais combien d’années avant J-C, tout en ne manquant pas de se traiter mutuellement les uns de vendus ou traîtres et les autres de racistes, on doit se rendre à l’évidence qu’il y’a clairement un malaise, Noir, interne.
S’il s’avère que l’histoire a démontré qu’il y’a souvent des sensibilités différentes dans tout combat, comme Malcolm X et Luther King à l’époque, que chacun y trouve en général sa place et a son rôle à y jouer, il n’en reste pas moins vrai que plus l’objectif est détaillé et précis, l’ « ennemi » visible et identifié, plus simples sont les choses. Aux Etats-Unis où les différents mouvements luttaient pour leurs droits civiques (Le droit d’avoir une place normale dans les bus, le droit de vote, etc), le FBI et l’Etat américain participant clairement, à essayer faire taire une fois pour toute et mettre hors d’état de nuire tous les leaders, le combat était on ne peut plus précis.
Mais qu’en est-il de la France en 2005 ? Quel est donc le combat de cette communauté noire plus que jamais hétérogène, aux aspirations et aux origines diverses ? La reconnaissance de la traite et les réparations ? Les réparations uniquement ? Comment et à qui ? La revalorisation de notre patrimoine historique ? La lutte contre la désinformation occidentale ? Quel est donc le noyau dur réel de ce combat ? Ou combat-on seulement parce qu’on sait qu’on est Noir, et donc forcément opprimé ?
Recentrons nos forces sur la revalorisation de notre patrimoine historique
Si tous ces questionnements semblent paradoxaux, donnant une vision contrastée de notre unité, il reste un néanmoins une mission qui demeure, une des plus importantes, une qui nous unit par-dessus tout, sur laquelle on doit focaliser nos efforts, entre Noirs d’aspirations diverses : celle de la revalorisation de notre patrimoine culturel et historique et la lutte contre la désinformation occidentale.
Quelles que soient nos aspirations, nos origines et compte tenu du fait qu’en tant que Noir, on ne sera jamais réellement français, il est primordial qu’on ait tous nos propres repères culturels et historiques, quitte à choisir de ne pas s’y attacher. Mais qu’on nous laisse au moins la liberté de choisir. Et là aussi il y’a un problème, car dans ce monde, les Noirs n’ont jamais eu cette liberté de choisir, leur destinée, autour de quel centre ils souhaitaient graviter, et avec quelle implication.
Il est donc primordial que la culture, l’histoire, la littérature africaines soient vulgarisés pour le plus grand nombre et surtout chez les plus jeunes, car ce sont eux qui constituent le capital intellectuel et les élites afro-caraïbéennes de demain, en France ou en Afrique.
Il est urgent de les sensibiliser, qu’ils aient les « armes pour se défendre » quitte après à ce qu’ils choisissent eux-mêmes de ne pas s’en servir ou les jugent inutiles.
Dépassionnons les antagonismes
S’il existe quelques mouvements permettant aujourd’hui d’appréhender la civilisation africaine dans son ensemble, et renouer avec son soi kémite, il est dommage de constater que beaucoup n’ont pas encore atteint le stade critique de maturité permettant de conscientiser les jeunes au-delà d’une approche souvent sectaire et anti-occidentale.
Les associations destinés à travailler dans le sens de la conscientisation, faillissent au niveau des méthodes pédagogiques, le côté urgent, prioritaire et important de ce combat les faisant rentrer dans un dogmatisme exacerbé sous forme quelques fois de propagande sectaire, de virement idéologique tant reproché aux occidentaux. Car même si la propagande est nécessaire, il faut des préalables importants qui sont des faits avérés et des démonstrations scientifiques non passionnelles effectuées par des chercheurs spécialistes de ces multiples questions nous concernant, surtout celles qui font l’objet des plus grosses zones d’ombres et contribuent à disperser l’énergie de toute une communauté. Nos spécialistes actuels, en éludant certaines de nos réalités historiques, ne nous rendent pas service.
Je parle ici précisément des sujets tels que celui des razzias négrières et du rôle qu’y ont joué les rois nègres, qui est particulièrement ignoré par ceux qui font office de référents aujourd’hui en France sur la question de l’esclavage et tentent de rétablir au grand jour la vérité vraie. Réhabiliter notre conscience historique n’a jamais voulu dire éluder les éléments tendant à nous mettre au devant de nos responsabilités, c’est là toute la différence entre les dogmes et la science. Soyons dignes en assumant nos erreurs, en les replaçant dans le contexte adéquat, tout en rejetant avec vigueur les éléments qui nous sont étrangers. Dépassionnons les antagonismes.
Hormis cela, la question des razzias et de la (prétendue ?) responsabilité de rois africains, l’utilisation qu’on fait (ou que certains cherchent à faire) de l’antériorité des civilisations nègres et l’Egypte antique négroïde, sous prétexte de pérenniser ou de continuer le travail de Cheikh Anta Diop, sont aux antipodes de la réalité qui prévaut dans le monde et la société dans lesquels on évolue aujourd’hui. Cette volonté de vouloir convertir tout le monde aux rites Egyptiens, nous initier à la lecture et à l’écriture des hiéroglyphes, nous faire utiliser le calendrier Egyptien, nous imposer des libations à chaque colloque ou meeting (qui constituent un très bon maillon de la chaîne de conscientisation) me semble déplacé. Encore plus pour les simples curieux, qui parfois, viennent juste par souci de renouer « légèrement » dira-t-on, avec leur civilisation et se sentent encerclés par une horde d’idéologues (pour certains) qui gâchent tout le travail de reconstruction d’une identité noire qui avait pourtant déjà été bien entamé. Tous les Africains ne sont pas tenus de connaître le Maat ou Narmer : « on ne demande pas à tous les nègres d’étudier les pharaons(...)Mais l'élite intellectuelle africaine, partout dans le monde, doit travailler dans ce sens. », disait Théophile Obenga (2). Et en voulant l’imposer à tous, surtout ces jeunes formés pour la plupart à travers l’unique prisme de l’Occident, on les pousse finalement dans un repli extra communautaire. Tout l’inverse du résultat qu’on aurait pu attendre.
Il est nécessaire pour nous de ne pas dénaturer, le travail (ou du moins l’adapter) de Cheikh Anta Diop, la référence pour beaucoup d’intellectuels Africains (à juste titre), car s’il est clair qu’il était avant tout pro noir, il faut aussi dire qu’il n’était pas anti blanc. C’était un humaniste pour qui seule la vérité comptait qu’elle sonne finalement blanche ou noire, à partir du moment où elle était démontrée scientifiquement par des faits avérés.
Donc voir certains se surprendre de la présence des blancs à leurs meetings ou même l’interdire, c’est problématique, et ça ne nous aidera certainement pas, surtout contre un ennemi qui est, partout en même temps, et nulle part à la fois.
Il est aujourd’hui primordial, pour notre communauté, comme je le disais tantôt, de dépassionner ce débat, d’arrêter d’insulter les moins à jour des tristes réalités de la manipulation médiatique historique occidentale et les amener à raisonner par eux-mêmes, sur la base d’éléments souvent simples, que ce soit des bandes dessinées où les rois de la forêt comme Zembla ou Akim sont représentés comme blancs, des campagnes publicitaires insultantes telles que Banania, ou celle d’Ocean spray, où un jeune noir fait revivre le personnage Vendredi de Robinson Crusoë (3) ; les exemples conscientisant simples et pouvant interpeller les plus « aliénés » abondent.
La prise de conscience ne se fait pas toujours par des échanges intellectuels de haut vol, des cours d’égyptologie pour tous, ou en traitant les autres de « bounty », mais en déployant aussi des supports plus simples et plus à même d’être compris par la plupart et en particulier les plus jeunes, qui constituent la plus grande par de l’aliénation culturelle et peut-être les plus dangereux pour la communauté, demain, si les choses ne changent pas.
Allons de l’avant
Toutefois, même si ça n’a pas semblé être mon propos, le travail de tous reste à saluer.
Car même si la non modération idéologique de certains laisse à mon sens beaucoup de personnes sur le carreau, il y’en a aussi, des plus téméraires, qui finissent par enfin prendre conscience. Il serait important et c’est une idée soumise par pas mal de personnes sur les forums communautaires, de voir dans quelle mesure un ouvrage de référence pour pallier à toutes les contradictions historiques, les mensonges, et les flous artistiques sur la traite pourrait être écrit par des historiens noirs spécialistes de cette question. Cela permettra au travail de propagande (permettant de son côté de démystifier le travail de Cheikh Anta Diop, trop pointu pour être compris par le commun des mortels et faciliter la vulgarisation) prôné par certains mouvements de prendre l’ampleur qu’il se devrait et contribuer ainsi, à cette difficile mission de restauration de notre patrimoine historique, une fois pour toute…
Dépassons nos antagonismes, dépassionnons les antagonismes, pour une communauté noire forte et unie, prête à affronter avec sa jeunesse les défis de demain.
(1) « Notre caractère est fait d’habitudes : qui sème une pensée, récolte une action ; qui sème une action récolte une habitude ; qui sème une habitude récolte un caractère ; qui sème un caractère récolte un destin. »
Stephen R. Covey, Les 7 habitudes, First Editions, 1996
(2) Théophile Obenga, dans une interview accordée à africamaat.com
(3) Dans le Roman Robinson Crusoë (de Daniel Defoe aux Editions de L’éventail,
Genève, 1983), le rôle attribué à Vendredi est celui d’un bon sauvage, d’un vrai primitif, dont le gros complexe de dépendance vis-à-vis de l’homme blanc est clairement palpable.