Irak
Un pays en chute libre
Morts par milliers, menaces de partition, personne n'a prise sur le devenir de
cet Etat.
Par Jean-Pierre PERRIN
QUOTIDIEN : Jeudi 19 octobre 2006 - 06:00
C'est le grand chaos. Guerre civile entre chiites et sunnites dans les régions
«mixtes», assassinats de dizaines de professeurs et d'intellectuels, menaces de
partition de l'Irak, déplacements massifs de populations, rumeurs de coup d'Etat
et incapacité du pouvoir à assurer un minimum de sécurité. Une situation qui
affecte également l'armée américaine : pas moins de dix soldats ont péri mardi
dans différentes attaques, ce qui porte à 68 le nombre de militaires tués depuis
le début du mois d'octobre. Un des bilans les plus lourds pour l'US Army.
Cent morts par jour. Du côté irakien, le bilan est terrible : selon le
coordinateur humanitaire de l'ONU Jan Egeland, la violence et le cycle des
représailles tuent en moyenne une centaine de personnes chaque jour, obligeant
un millier d'autres à prendre la fuite. Le nombre de personnes déplacées est
déjà estimé à quelque 350 000. A Bagdad, le récent redéploiement de 15 000
soldats américains n'a apporté aucun remède à la situation. Mardi, ce sont les
corps de 67 victimes de violences confessionnelles qui étaient découverts,
victimes d'escadrons de la mort. En province, la situation n'est pas moins
accablante. A Balad (petite ville à 75 km au nord de Bagdad), les affrontements
de ces quatre derniers ont fait 66 morts, selon un communiqué du commandement
américain. Les violences ont commencé par l'enlèvement de 18 ouvriers chiites
provoquant l'assassinat de 38 sunnites en représailles. Mais la violence n'a pas
qu'un caractère confessionnel : elle prend aussi pour cible les
laïcs, les femmes non voilées, les enseignants faisant cours à des
étudiantes... Pour le commandement américain, la situation est de plus en plus
intenable. Il doit d'une part faire face à l'insurrection sunnite dans au moins
trois provinces et à Bagdad. Mais il doit en même temps freiner les exécutions
et exactions commises par les groupes chiites, considérés comme la plus grande
menace pour la sécurité de l'Irak. Or, ces milices et escadrons de la mort sont
souvent liés aux ministères de l'Intérieur et de la Défense, ainsi qu'aux partis
chiites avec lesquels Washington maintient une alliance stratégique. Hier,
l'armée américaine a dû relâcher cheikh Mazen al-Saidi, un dirigeant de l'Armée
du Mahdi, considérée actuellement comme la milice chiite la plus sanguinaire. Ce
responsable était pourtant soupçonné d' «avoir ordonné des enlèvements, la
torture et l'assassinat de citoyens sunnites et chiites à Bagdad et d'entretenir
des liens avec des groupes armés illégaux», selon
un communiqué américain.
Cette libération a été faite à la demande du Premier ministre, le chiite Nouri
al-Maliki, peu favorable au démantèlement des milices armées. Il s'est aussi
opposé à une opération d'envergure dans l'immense cité chiite de Sadr City, à
Bagdad, où les commandos de la mort de l'Armée du Mahdi ont leur quartier
général. Sous la pression américaine, une purge a cependant été entreprise parmi
les forces de sécurité. Quelque 3 000 policiers ont été exclus mardi. Un chiffre
qui apparaît notoirement insuffisant, tant la police est infiltrée par les
groupes armés, clandestins ou non, au point que la population irakienne se
refuse en général à faire appel à elle dans le cas de violence ou de kidnapping.
Loi martiale. Dans ce contexte, la position de Nouri al-Maliki apparaît de
plus en plus fragile. La semaine dernière, un responsable sunnite, Saleh
al-Mutlaq, s'est rendu dans plusieurs capitales arabes afin de plaider pour le
remplacement de l'actuel chef de gouvernement par un comité de cinq «hommes
forts» qui imposerait la loi martiale et même dissoudrait le Parlement.
Parallèlement, des rumeurs circulent à Bagdad faisant état d'une échéance fixée
par l'administration américaine pour reprendre en main la situation. Elles sont
apparues suffisamment crédibles pour que Bush, en personne, prenne la peine hier
de les démentir.
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Jeu 19 Oct - 21:10 par mihou