Afrique du Sud Post-Apartheid: Bilan et perspectives
L’Afrique du Sud a réussi le tour de force de se débarasser de son système d’apartheid sans recourir à la confrontation finale que toutes les parties redoutaient. En cela, elle a choisit le chemin le plus réaliste, celui du compromis et de la réconcilitiation, dans l’esprit de la Charte de la liberté. C’est une révolution chartriste sans changement radical. Cela peut paraître une contradiction dans les termes, mais c’est ainsi qu’il faut apprécier ces 10 ans d’effort visant à éradiquer plus de trois siècles d’injustice. Il y eut plusieurs changements ces 10 dernières années. Ceux qui sont présentés ici sont aussi liés aux enjeux cruciaux à venir. Pour appréhender les changements et le futur il faut revenir sur l’agonie et la mort de l’apartheid, la transition vers la démocratie et l’envol de l’ère post-apartheid.
La mort de l’apartheid visible
L’ultime tentative du système d’apartheid de se reformer en 1983 est le signe patent de sa déliquescence . Le référendum blanc proposant un parlement tricaméral incluant les métis et les indiens et excluant la majorité noire a en réalité sonné le glas de ce système. Autant il fut accepté par la minorité dirigeante comme une solution , autant son rejet aura contribué à constituer une alternative crédible pour le mouvement anti-apartheid Cette alternative fut l’UDF, ou front démocratique uni dont le lancement en août 1983 marque un tournant historique de la lutte anti-apartheid. L’UDF a été le réseau de coordination de l’opposition qui a transformé l’Afrique du sud. Le front a mobilisé et canalisé des aspirations variées . La réaction du pouvoir de l’apartheid fut celle d’un féroce animal touché à mort et qui se lance dans une riposte désespérée. Ce fut la période la plus sinistre d’un système dont le pays traîne encore les affres. Le soulèvement du Vaal en 1984 a été le coup d’envoi de la désapprobation de tout le mouvement anti-apartheid sud africain aux élections tricamérales. Le front avait réussi sa campagne du million de signatures vomissant les prétendues réformes Un vent de révolte se répandit dans le pays tout entier, instaurant un climat insurrectionnel. Les travailleurs s’organisent autour de la nouvelle centrale syndicale COSATU et l’ANC radicalise sa riposte en orientant au maximum la démarche pourtant plurielle de l’UDF. la stratégie du front inspirera les développement future. La plate-forme se résume à l’obtention d’un pays non racial, démocratique et uni; une opposition soutenue au programme législatif du gouvernement; une coordination nationale et démocratique de la société civile veillant à la promotion de ses aspirations..
Devant l’ampleur de l’organisation au niveau national, régional et local, le pouvoir de Botha enferme la plupart de ses animateurs et les poursuit au procès de Pietermaritzburg, ainsi qu’à d’autres procès dans les mois suivants. En juillet 1985, l’état d’urgence est décrété dans la province du Cap Est et au Transvaal. Les militants sont traqués, et le directoire clandestin se résout à changer de tactique . Il dissout en apparence l’UDF et le restructure afin de l’adapter à la radicalisation de la lutte. L’ANC sait qu’elle n’a pas les moyens d’une confrontation militaire contre l’armée sud africaine. Par contre, ses chefs Oliver Tambo et Chris Hani savent qu’ils peuvent rendre le pays totalement ingouvernable. Devant cette menace, le régime et ses alliés étendent au pays entier l’état d’urgence, tellement leur cruelle répression autant aveugle que sélective ne parvient pas à venir à bout des résistances. Ils se lancent aussi dans une atroce guerre de déstabilisation effrénée dans les pays de la ligne de front et essuyent, notamment en Angola, une cuisante défaite. Même l’Amérique qui joue double jeu dans cette période vote quelques mois avant cette défaite (dans laquelle sa Angolan Task Force était engagée) des sanctions contre l’Afrique du Sud.
Le pouvoir tente alors de tempérer la situation en lâchant du lest sur les lois touchant le mariage mixte, le pass etc. Mais la communauté internationale a bel et bien ostracisé Prétoria. La généralisation des sanctions, qui bien que contournées ont un effet non négligeable, jointe au redoublement de la résistance, sonne le glas du système. Dès1988 le régime entame des pourparlers secret avec l’opposition tout en maintenant la repression. Que d’années perdues et de morts pour en arriver là. La déclaration de Hararé au Zimbabwé instaure un climat de négociation et un modus vivendi avec l’ANC. Botha rencontre Mandela pour la première fois. Le geôlier sait que sa prison ne pourra retenir plus que 27 ans l’homme fort de l’ANC. Las il démissionne et de Klerk qui le remplace remporte les dernières élections racistes du pays. Alors que le libéral Zyl Slabbert parvient à réunir les belligérants à un sommet historique à Dakar, F. De Klerk réalise que la page doit être tournée avant qu’il ne soit trop tard. Dès 1990, le MDM (Mouvement démocratique de masse)a pris le flambeau de la lutte que menait l’UDF. Sous la direction de l’ANC, sa détermination met les tenants de l’apartheid sur la défensive. Mandela est libéré en février 1990, alors qu’on lève le bannissement de l’ANC, du Parti Communiste, et du Congrès Panafricain. L’intention des tenants du système capitaliste mondial est sans équivoque. Il faut s’acheminer comme au Zimbabwé vers un processus à la Lancaster House afin d’éviter une révolution effective et radicale. La fin du bloc de l’Est nécessite que le pays s’ajuste à la mondialisation présentée comme incontournable et salvatrice. L’objectif du grand capital est en fait clair. Il est prêt à tolérer une majorité parlementaire noire qui ne remette pas en question l’intégration à l’économie monde capitaliste et n’applique pas son programme de nationalisation escompté. La stratégie consiste à neutraliser les mouvements de libération en leur associant leur ennemi d’hier dans des gouvernements de cohabitation, comme en Angola, au Mozambique, au Zimbabwe.... Alors que la Namibie accède enfin à la souveraineté en mars, le système d’apartheid consent à finaliser sa propre disparition. C’est ainsi que les négociations constitutionnelles commencent en mai 1990 par l’entente de Groote Schuur dont l’agenda prévoit l’hypothèse d’une élection avec la majorité de la population au pouvoir Elles se poursuivront deux ans durant au World Trade Center près de Johannesburg. Malgré le fait que l’ANC annonce en août qu’elle renonce à la lutte armée, ou peut être à cause de cela, les négociations sont ponctuées de tentatives désespérées d’intimidation et d’assassinats de la part de ses opposants qui veulent les saboter et provoquer une spirale de violence qui justifierait le retour du pouvoir martial. Les forces du Laager, connues aussi sous le nom de la troisième force redoutent le changement. Il s’agit en fait d’éléments clandestins ou connus du grand capital, de l’armée, des services de renseignement, d’Inkhata des pouvoirs des bantoustans et de l’extrême droite. La CODESA (conférence pour une Afrique du Sud démocratique) lancée en décembre 1991 n’en a cure. Elle regroupe 19 partis politiques et organisations sous la houlette de l’ANC et du parti national lequel accepte de reconnaître le principe d’une personne une voix, alors que l’ANC retirait son exigence d’un gouvernement intérimaire et d’une assemblée constituante. Les pourparlers sont tortueux . Ils butent sur les proportions des représentations dans les assemblées constituantes à venir et à plusieurs reprises l’ANC se retire des négociations notamment après le sinistre massacre de Boipatang par des membres d’Inkata le 17 juin 1992. En décembre on en arrive à une entente de principe, qui sera cautionnée par un référendum portant sur les démarches gouvernementales par la population blanche en mars de l’année suivante. En Avril 1993 CODESA s’achève sur un succès partiel. L’alliance ANC- Parti Communiste et COSATU a le vent en poupe et elle sait qu’elle va provoquer un raz-de marée au élections. On a atteint à ce moment un point de non retour. Le pays entier retient son souffle car il n’ y a plus de prétexte à l’élection. Le 10 Avril 1993, alors que l’attention se relâche, Chris Hani, le chef de la branche militaire de l’ANC Umkhonto we Sizwe, et secrétaire général du parti communiste, est assassiné. On le donnait futur président dans l’ère post Mandela. Son assassin est un sympathisant du parti d’extrême droite Afrikaner Weerstandsbeweging AWB . A l’instar d’autres incidents comme ceux du Ciskei, ces lâches tentatives ne parviennent pas à freiner la marche victorieuse du peuple sud-africain vers sa libération. Le processus de transition est irréversible et il est adopté par le parlement à la fin de l’année 1993.
Le mouvement anti-apartheid international devant la perspective du changement en douceur desserre peu à peu l’étreinte des sanctions, qui dès l’automne de 1993 sont levées par les américains, l’ONU etc.. Leur efficacité est encore l’objet de discussion, mais elles ont constituées pour nous une étape de sensibilisation et surtout la participation internationaliste du mouvement anti-apartheid international qui va dès lors procéder à l’ultime phase: le soutien à une élection transparente et unique dans l’histoire du pays. Une constitution de transition est promulguée le 28 janvier 1994 et prendra effet durant l’élection prévue du 26 au 27 avril 1994. La constitution réaffirme sa suprématie et la souveraineté du parlement, les droits égaux de tous les citoyens.Elle prévoit une charte des droits et liberté et une cour constitutionnelle; un gouvernement d’unité nationale; le remplacement des 4 provinces, 6 gouvernement autonomes et 4 Etats existants par 9 provinces; la reconnaissance de 11 langues officielles et la défense des particularités sud-africaines.
Ces aménagements constitutionnels viennent achever l’apartheid institutionnel, et quelques 7 millions d’habitants des bantoustans recouvrent leur nationalité sud-africaine. Les obsèques du système seront en réalité une réjouissance sublimée par l’élection la plus suivi au monde. L’alliance des séparatistes de la droite sud africaine en plus de son caractère ubuesque n’exprime que les dernières gesticulations du Broederbrond à visage découvert. Mais personne ne les sous-estime , car leur capacité de nuisance est réelle, leur armement solide et leur effectif loin d’être négligeable. Mais ils ne parviendront pas à prendre en otage le processus électoral, le monde entier ayant les yeux rivés sur eux. L’ANC rafle plus que l’essentiel des suffrages en Avril 1996 obtenant plus qu.il ne faut de voix pour ratifier sa propre constitution . Elle n’en fera pourtant rien et opte pour la réconciliation nationale. Mandela est désormais président. L’ANC remporte un second succès en consolidant son score aux élections communales de novembre 1995 où elle obtient 66,37% des voix, soit 4369 sièges. Le Kwazulu Natal, malgrè tous les compromis, voit ses élections reportés.Le parti qui y sort majoritaire, lnkhata, boude la nouvelle constitution lancée symboliquement à Sharpeville le 10 Décembre 1996.
Bilan d’un gouvernement de compromis.
Une fois retombée l’euphorie électorale, l’Afrique du Sud s’est retrouvée confronté à son destin. Le nouvel ordre mondial l’attendait au tournant. Le grand capital s’était esquivé dans la période de transition jongle et procède à un chantage d’autant plus que le plan électoral de l’ANC doit être mis en vigueur. Ses promesses, quoiqu’à priori réalistes, s’avèrent très rapidement difficiles à réaliser dans le laps de temps imparti et surtout en raison des moyens dont il dispose. Le projet de société est contenu dans le RDP, programme de reconstruction et de développement qui est la stratégie gouvernementale visant à la transformation du pays. On peut la résumer comme étant un cadre intégré de développement visant à éradiquer définitivement les vestiges de l’apartheid au niveau politique économique social et culturel. Ce programme s’articule autour de six principes résumant les enjeux auxquels le pays est confronté .:
- ce programme se veut être un programme intégré et coordonné de politiques au niveau national provincial et local.Ceci implique une interaction des intervenants du gouvernement, des milieux non gouvernementaux et des affaires comme de toute la société civile.
- il s’agit d’un programme conduit pour le peuple et par lui dans toutes ses composantes.
- qu’un tel effort collectif devra se faire dans un contexte de paix et de sécurité totale.
- que la réconciliation et la construction nationale sont des conditions du succès d’une Afrique du sud soucieuse de défendre les droits de tous, y compris de la minorité et cela dans le respect de la diversité et l’identité culturel du pays.
- que la reconstruction et le développement sont un processus intégré menant à la réconciliation, l’intégration et à la redistribution des retombées de la modernité issue de la mise en oeuvre des infrastructures dont à besoin le pays.
- que tous les précèdents principes sont conditionnelles à l’application stricte de la démocratie, qui ne se limite pas à l’élection mais nécessite la participation populaire effective. Ces conditions sous-tendent le Rdp qui a comme défi de réaliser un ambitieux programme visant à satisfaire les besoins essentiels de la population; à développer les ressources humaines; à construire et restructurer l’économie,et à démocratiser l’Etat.
Mer 4 Oct - 10:04 par Tite Prout