L’influence du mouvement mondial anti-apartheid sur la consolidation démocratique de l’Afrique du Sud
Par Laurie Duguay
ACRONYMES
ANC Congrès national africain
CISL Confédération internationale des syndicats libres
CME Conseil mondial des Églises
COE Conseil œcuménique des Églises
COSATU Congress of South African Trade Unions
ECOSOC Conseil économique et social
ONG Organisation non gouvernementale
ONU Organisation des Nations Unies
ONG Organisation non gouvernementale
OPEP Organisation des pays exportateurs de pétrole
PAC Congrès panafricain
SACP Parti communiste sud-africain
SADC Communauté de développement d’Afrique australe
SWAPO Organisation du peuple du Sud-Ouest Africain
Les élections démocratiques de 1994 viennent sonner le glas à plus de 300 ans d’exploitation et de domination raciale des Blancs sur les Noirs en Afrique du Sud. Le Congrès national africain (ANC) remporte les élections avec en poche 62,65% des votes. Ces élections sont déterminantes puisqu’elles annoncent la fin du règne du Parti National, au pouvoir sans interruption de 1946 à 1994, et le démantèlement politique, économique et juridique de l’apartheid. La République d’Afrique du Sud est aujourd’hui une démocratie parlementaire, multiraciale et un gouvernement d’unité nationale. Le gouvernement de coalition regroupe l’ANC, le Parti communiste sud-africain (SACP) et le Congress of South African Trade Unions (COSATU).
Nelson Mandela fut, de 1994 à 1999, la figure emblématique d’une Afrique du Sud en émergence. Sa vie entière aura été vouée à la libération politique et économique de son peuple grâce notamment à l’action militante de l’ANC. Certains affirment que la transition démocratique n’aurait pu être envisageable sans son charisme et sa force de caractère. Il aura été emprisonné de 1964 à 1990. En 1999, il lègue la tête du parti, l’ANC, à Thabo Mbeki, l’actuel président de l’Afrique du Sud.
Ce sont les contradictions économiques engendrées par l’apartheid qui vont pousser graduellement, par la force des choses, le gouvernement sud-africain vers la transition démocratique à la fin des années 80 : échec des Homelands, urbanisation massive des Noirs, le développement industriel, embargo international, crise de confiance des banques américaines.
Les années 80 en Afrique du Sud vont être caractérisées par une série de mesures répressives à la fois contre sa propre population, mais aussi contre les États voisins. Les tensions politiques et les affrontements civils engendrent un climat économique fragile et peu propice aux investissements. Le gouvernement de De Klerk ne peut maintenir cette révolte et continuer à assurer le style de vie auquel l’apartheid avait habitué les Blancs. L’Afrique du Sud, isolée et continuellement sous le joug de l’opinion internationale, se voit contrainte d’entamer des changements significatifs.
Une partie importante des négociations vont se dérouler dans la cellule de Mandela, là où d’importants pourparlers sont négociés secrètement entre Mandela, Cotsee et de Klerk. En 1991, les grands piliers de l’apartheid sont démantelés et le processus de transition est officiellement enclenché. En 1993, le gouvernement et l’ANC sont d’accord afin de se partager le pouvoir. L’ANC remporte les élections en 1994, les sanctions d’armement sont levées, l’Afrique du Sud intègre le Commonwealth et devient un membre de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC). En 1997, le pays intègre officiellement sa nouvelle constitution, probablement la plus libérale au monde, qui protège « tout un chacun quels que soient sa race, son genre, sa langue, son handicap, sa religion et son orientation sexuelle ».
I. LES ACTEURS DU MOUVEMENT ANTI-APARTHEID
Le mouvement mondial anti-apartheid inclut plusieurs acteurs qui œuvraient à plusieurs niveaux, mais toujours dans le seul et unique but de mettre fin au régime de l’apartheid en Afrique du Sud. Des banques étrangères aux entreprises transnationales, des organisations non gouvernementales (ONG) aux groupes de citoyens de plusieurs pays, tous ont travaillé à leur façon pour influencer le cours des événements en faveur de leur cause. Voyons plus spécifiquement leur identité et les moyens par lesquels ils ont tenté de s’imposer.
Pressions de l’opinion publique sur la communauté internationale
Très souvent, les premières idées qui nous viennent à l’esprit lorsque l’on aborde la question du mouvement mondial anti-apartheid, ce sont le rôle des États, des organisations internationales et des organisations non-gouvernementales. Rarement nous faisons allusion à la population mondiale en elle-même. Dans le cas de la fin du régime ségrégationniste en Afrique du Sud, l’opinion mondiale a joué un rôle crucial. C’est à la base du dégoût envers ce système discriminatoire que des citoyens provenant de partout sur la planète se sont réunis avec d’autres entités politiques pour former un mouvement mondial anti-apartheid.
Contraintes économiques imposées par la communauté internationale
Les pressions économiques internationales ont constitué un instrument de politique étrangère important dans la consolidation démocratique de l’Afrique du Sud. Ici, le but n’est pas de juger la moralité de ces pressions, mais plutôt leurs impacts objectifs. L’économie sud-africaine a été affectée par deux catégories de pressions économiques internationales : ces mesures ont touchées ses échanges commerciaux en biens et services (et technologiques) ainsi que dans les mouvements de capitaux.
Premièrement, les contraintes sur les échanges commerciaux sud-africains ont été appliquées en 1963 par un embargo volontaire du Conseil de sécurité sur les armes et munitions. Les résultats sont peu concluants puisqu’il est appliqué seulement sur une base volontaire. En deuxième lieu, en 1973, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) décide de créer un embargo à son tour, mais sur leur exportation de pétrole en Afrique du Sud. L’impact de cette mesure n’a pas été d’éliminer tous les approvisionnements de l’Afrique du Sud en pétrole. Par contre, il en a coûté plus cher à ce pays de subvenir à ses besoins pétroliers. La dernière catégorie de contraintes est celle que l’on peut nommer les « autres mesures commerciales » provenant des États-Unis, des pays du Commonwealth et de la Communauté européenne. Ces derniers se sont impliqués dans le mouvement mondial anti-apartheid en privant les exportations sud-africaines des marchés des pays occidentaux et en leur refusant l’accès aux technologies internationales.
Les pressions internationales débutent suite aux massacres de Sharpeville en mars 1960 qui met pour la première fois le régime sud-africain au devant de la scène internationale. Les pressions exercées sur les mouvements de capitaux ont alors commencé. Dans les années 70, l’Afrique du Sud dépend de plus en plus des intérêts économiques étrangers qui pèsent lourds. Au début des années 80, les investissements directs de l’étranger en Afrique du Sud était si nombreux qu’il lui était impossible d’acheter tous ces actifs. À partir de 1985, des grandes mesures internationales sont appliquées telles que le refus de prêts à court terme et, par conséquent, l’Afrique du Sud ne réussit plus à obtenir de la nouvelle monnaie.
Les pressions financières et économiques internationales sur la fin du régime d’apartheid ont été des plus significatives : le pétrole coûte plus cher, les armes sont plus dispendieuses, l’accès aux marchés extérieurs est limité, les prêts à court terme sont refusés. Bien qu’il soit difficile de mesurer les conséquences de toutes ces pressions, plusieurs estiment que les pertes économiques de l’Afrique du Sud à cette époque se mesurent en milliards de dollars annuellement.
L’apport d’une aide financière du Conseil œcuménique des Églises aux mouvements de libération
Le Conseil œcuménique des Églises (COE) représente la majorité des Églises orthodoxes, anglicanes et protestantes. Elles décident de soutenir le mouvement anti-apartheid en offrant une aide financière aux mouvements de libération. Cette aide a été distribuée autant à l’Organisation du peuple du Sud-Ouest Africain (SWAPO) en Namibie qu’à l’ANC et au Congrès panafricain (PAC). Par la suite, en 1972, le COE vend ses investissements en Afrique du Sud et demande, en 1977, aux autres pays occidentaux de faire des pressions économiques sur l’Afrique du Sud en ne garantissant plus les prêts à l’exportation et en refusant les prêts bancaires et les investissements à Prétoria.
Boycott des produits sud-africains
En 1959, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) réclame un boycott de la consommation des produits sud-africains. Le COE et le Conseil mondial des Églises (CME) en fait de même auprès de ses membres .
Si la Jamaïque était alors le seul pays à boycotter tous les produits sud-africains en 1959, la liste s’est allongée graduellement. Une grande partie des pays ayant instaurés un boycott sont des pays en développement. En 1963, cette liste contenait 25 pays pendant que 21 autres y réfléchissaient.
Les pressions sportives internationales
Le domaine des sports n’échappe pas à cette règle. Le sport au niveau mondial est une activité touchée par les effets de la politique. Le sport est une activité représentant l’égalité des chances, la paix entre les peuples ainsi que l’esprit sportif qui interdit toute discrimination. Par conséquent, le sport et le racisme sont antinomiques. La discrimination se lisait dans les équipes sud-africaines constituées seulement de Blancs. La première initiative d’un isolement sportif de l’Afrique du Sud se fait lors des olympiades de Mexico. Les pays du Tiers Monde menacent les équipes sportives d’Afrique du Sud de boycott. Cette pression venant des pays en développement se répercute dans de grands jeux comme ceux du Commonwealth. Aux Jeux Olympiques de Montréal, en 1976, près d’une vingtaine de pays d’Afrique et d’Asie ne se présentent pas à la compétition pour témoigner de leur dégoût face au régime sud-africain. L’impact de cet isolement sportif est à son apogée lorsqu’en 1977, lors des jeux du Commonwealth, les membres adoptent la déclaration de Gleneagles qui « constate, à l’unanimité, que les contacts sportifs avec Prétoria doivent être supprimés jusqu’à l’abolition de l’apartheid ». L’Organisation des Nations Unies (ONU) clôturera cette initiative en 1977 en encourageant tous les pays à cesser toutes leurs relations sportives avec Prétoria et à les exclure des grandes fédérations et rencontres internationales. À priori, personne n’aurait pu se douter que l’isolement international des équipes sportives sud-africaines) auraient pu avoir tant de conséquences. Le mouvement mondial qui a amené ce boycott au devant a touché un point sensible des Afrikaners : leur fierté nationale.
En Afrique du Sud, la pratique de certaines disciplines sportives fait partie des manifestations sociales qui soudent l’identité des Blancs, déchaînent leurs passions et confortent l’image collective qu’ils ont d’eux-mêmes.
L’image de l’Afrique du Sud a été ternie au niveau international. Le gouvernement sud-africain a tenté plusieurs mesures pour faire revenir ses équipes, obtenir une cessation du boycott et tenter d’amoindrir les effets psychologiques. En plus, un pays isolé des événements sportifs mondiaux est un pays poussé à la régression car c’est par les échanges et la communication entre les pays que les nouvelles techniques sportives ressortent et s’apprennent.
L’industrie culturelle sud-africaine est aussi affectée par un boycott international initié par les Britanniques en 1954 :
Huddelston écrivit dans l’Observer : « Je préconise le boycott culturel de l’Afrique du Sud. Je demande à ceux qui croient que le racisme est un péché ou une faute de refuser de l’encourager en acceptant un engagement théâtral, en bref, de ne pas conclure de contrats concernant des spectacles destinés à une partie quelconque de la communauté. »
Ce boycott se manifeste à deux grands niveaux. Premièrement, les créateurs sud-africains se font refuser des marchés étrangers et, en deuxième lieu, l’accès aux équipements culturels au niveau international est refusé.
Sam 6 Jan - 9:51 par Tite Prout