L’Afrique prise dans la tenaille du sous-développement et de la dette odieuse
par Hugo Ruiz Diaz
20 décembre 2004
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A PROPOS DU RAPPORT 2004 DE LA CNUCED ET L’INITIATIVE EN FAVEUR DES PAYS PAUVRES TRES ENDETTES (PPTE).
Introduction
« Bonne gouvernance », voici l’expression mise au point par les institutions financières internationales (IFI) qui cherchent légitimer la poursuite des politiques imposées aux peuples du tiers monde, en particulier aux peuples africains par le biais de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) [1].
Tous les pays pauvres endettés sans exception, sous le drapeau de la « bonne gouvernance », sont soumis aux mêmes politiques appliquées pendant plus de vingt ans : les programmes d’ajustement structurel avec leur cortège de ravages sociaux, économiques, environnementaux, démocratiques et humains. L’initiative PPTE n’est en réalité que l’application des programmes d’ajustement structurel sous d’autres noms [2].
Selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) : "Les espoirs que l’on fonde actuellement sur la mise en œuvre de l’initiative renforcée en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) ne sont pas réalistes. L’allégement de la dette envisagé ne suffira pas à rendre celle-ci supportable à moyen terme (...) ; par ailleurs, l’ampleur de l’allégement de la dette et la manière dont il interviendra n’auront pas d’effets directs majeurs sur la réduction de la pauvreté" [3].
La CNUCED vient de publier un nouveau rapport intitulé Développement économique en Afrique. Endettement viable : Oasis ou Mirage ? [4]. Sans faire de détours, le rapport constate l’incompatibilité entre les objectifs de développement et le service de la dette, tel quel l’a déjà fait auparavant l’expert indépendant de la Commission des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies (ONU) [5].
Le rapport 2004 a deux mérites. D’abord, il nous montre les limitations structurels de l’Initiative PPTE et des politiques décidées par le duo Fonds monétaire international (FMI)/ Banque mondiale (Bm). Deuxièmement, il met la lumière sur le caractère odieux des dettes africaines et sur la responsabilité des créanciers.
1. Le vrai visage de l’initiative PPTE : la continuation du pillage des ressources des pays du Tiers Monde
La poursuite de l’ajustement structurel
Avant que la réunion annuel FMI/Bm s’achève, le FMI a annoncé le 1er octobre 2004 à la veille de la réunion des grands argentiers des sept pays les plus industrialisés G7 (Etats-Unis, Canada, Japon, Grande-Bretagne, France, Allemagne, Italie) à Washington et deux jours avant les assemblées annuelles du Fonds et de la Banque mondiale, avoir approuvé la prolongation de deux ans de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), programme visant l’allègement de leur dette. La Banque mondiale a donné également son accord à cette nouvelle prolongation.
D’après la définition adoptée pour le PPTE par le FMI, cette initiative est : « ... un dispositif global de réduction de la dette des pays pauvres très endettés qui appliquent des programmes d’ajustement et de réforme appuyés par le FMI et la Banque mondiale... [6] ».
Si un pays veut bénéficier d’une « assistance » au titre de l’initiative, il doit :
- faire face à une charge de la dette insupportable, hors du champ des mécanismes d’allégement de la dette traditionnellement disponibles ;
- donner la preuve qu’ils ont engagé des réformes et mené une politique économique avisée dans le cadre des programmes appuyés par le FMI et la BM ;
- avoir formulé un document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP), basé sur un vaste « processus participatif [7] » .
Le pays visé par l’Initiative PPTE et la Facilité d’ajustement structurel renforcé (FASR) [8] est tenu d’élaborer un Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) [9] avant de demander un nouveau soutien au FMI ou à la Banque mondiale. L’approbation par lces derniers d’un programme de prêt à un pays donné passe par l’approbation par leurs conseils d’administration respectifs du CSLP soumis par le pays en question. C’est le personnel de la Banque et du FMI qui sont conjointement chargés de déterminer si les objectifs et le contenu d’un CSLP répondent aux critères énoncés par ces institutions. Notons également que c’est le FMI et la Bm qui, comble du cynisme, déterminent à quel point les gouvernements ont consulté la société civile et examinent les dispositions prévues concernant les questions en rapport avec la gestion des affaires publiques. Donc, l’annonce du FMI n’apporte rien de nouveau : les programmes d’ajustement structurel sous le nom de PPTE vont se poursuivre.
2. Le « processus participatif » : une mascarade en vue de la légitimation des programmes d’ajustement structurel et d’assurer l’impunité
Concernant la « participation de la société civile » dans un « processus participatif », il paraîtrait que ces deux institutions avaient été prises soudain par l’élan démocratique. L’expression devient presque magique, la clé de voûte de tous les programmes. Respect des droits démocratiques des citoyens ou illusion ?
a) Une analyse plus attentive indique qu’il ne s’agit nullement pas d’obliger les gouvernements de procéder à une consultation ou un « référendum », afin que la population se prononce sur la légitimité des mesures exigées pour l’application de l’Initiative.
b) Il ne s’agit pas d’un mécanisme pour lequel les pouvoirs publics consultent les populations si les conditions requises par le FMI/BM respectent les droits humains. En particulier les suivants : droit au logement, droit au travail, droit à la nourriture, droits démocratiques garantis par le Pacte de 1966, ainsi que d’autres instruments internationaux de protection des droits humains. A cet égard, l’expert indépendant Fantu Cheru avait constaté, concernant le Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP), ce qui suit :
« ... les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier la Convention relative aux droits de l’enfant, le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et un certain nombre de Conventions OIT relatives à l’emploi, n’ont pas été pris en considération dans aucun des CSLP... [10] » .
c) Il ne s’agit pas non plus de demander à ceux qui vont subir les effets des politiques de privatisations des ressources communes et publiques, de se prononcer en tant que citoyens sur le fait de savoir si ces « conditionnalités » doivent être modifiés ou non substantiellement, après évaluation avec les citoyens.
d) D’ailleurs, et plus fondamentalement encore, il ne s’agit nullement de soumettre à la décision souveraine des citoyens (ou d’exiger que le Parlement se prononce après débat public), de déterminer si les pouvoirs publics doivent changer les législations pour transférer les services publics au secteur privé (eau, écoles, électricité, poste, hôpitaux, etc.). A cet égard, l’expert indépendant cité ci-dessus constate que « ... les gouvernements des Pays pauvres très endettés (PPTE) essaient de mettre leur CSLP en conformité avec les critères de prêt du Fonds et de la Banque, ce qui les amène à privilégier les considérations macroéconomiques, la réforme budgétaire et les mesures de privatisation... [11] ».
Notons cependant qu’avant cette préoccupation à l’égard de la « bonne gouvernance » les institutions financières internationales (IFI), en méprisant ouvertement les valeurs démocratiques et la vie humaine, n’ont pas hésité à donner leur appui sans faille aux dictatures comme celles de Pinochet, Videla, etc. [12]
Quel donc est l’objectif réel de ce sursaut « démocratique » de la part des IFI, institutions qui ne sont pas précisément des exemples de démocratie et de transparence ? En réalité il s’agirait d’une part, de légitimer leurs politiques impopulaires qui vont justement à l’encontre des droits démocratiques et des acquis sociaux et de l’Etat démocratique. [13] D’autre part, par cette argutie, le FMI et la Bm, vu leurs responsabilités dans la violation massive des droits humains, chercheraient à garantir leur impunité. Le processus participatif deviendrait ainsi un sérieux argument pour échapper aux possibles poursuites judiciaires pour la violation des obligations internationales. La responsabilité première reviendrait à la population qui a « exprimée son accord » pour l’application de programmes d’ajustement structurel par la voie de l’Initiative PPTE.
Après une lecture attentive de plusieurs rapports remis à la Commission des droits de l’homme, il ressort que c’est le FMI et la Bm qui imposent les critères, en exerçant la coercition sur les pouvoirs publics pour que ceux-ci adoptent les mesures législatives qui visent dans les faits, le démantèlement du rôle social de l’Etat.
Le tableau ci-dessous montre quelles sont les « conditionnalités consenties » par certains des Etats africains voulant bénéficier de l’Initiative PPTE.
Conditions que neuf pays africains sont supposés remplir pour parvenir aux différentes étapes de l’Initiative PPTE
Pays Stabilité macroéconomique et finances publiques Réforme du système de change Réforme fiscale Réforme du secteur financier Réforme du secteur public Réforme du secteur social Privatisation Gestion des affaires publiques
Sénégal ? ? ? ? ? ?
Mozambique ? ? ? ? ? ? ?
Tanzanie ? ? ? ? ? ? ?
Bénin ? ? ? ? ? ? ?
Kenya ? ? ? ? ? ? ? ?
Tchad ? ? ? ? ? ? ?
Ghana ? ? ? ? ? ? ? ?
Ouganda ? ? ? ? ? ? ?
Zambie ? ? ? ? ? ? ? ?
Source : L’initiative des Pays pauvres très endettés (PPTE). Evaluation des cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté ( CSLP) dans l’optique des droits de l’homme, 18 janvier, 2001, p. 13
Au-delà des discours de forme, les solutions à la crise de la dette ont été réduites par le FMI et la BM à la « bonne gouvernance » et aux réformes macroéconomiques. Notons que la « bonne gouvernance » ne présume nécessairement pas l’exercice des droits démocratiques de la part des citoyens. L’expression est appliquée à l’Etat en tant que critère de gestion et non en tant qu’élément politique garantissant ces droits.
En résumé, il s’agit d’un langage emprunté à la gestion des transnationales et d’autres firmes privées par lequel est transmise l’idéologie qui considère que l’Etat doit être géré selon des critères propres au monde des affaires et non comme une entité accomplissant un rôle social et politique. Le critère de la « bonne gouvernance » n’a dans les faits, aucun lien avec les droits démocratiques, moins encore avec la protection des droits humains.
3. Le cas de l’Afrique : le commerce inéquitable, dette externe et le cycle infernal du sous-développement