Le Venezuela retrouve sa souveraineté énergétique
par Salim Lamrani
27 juin 2006
Le gouvernement vénézuelien du président Hugo Chávez a décidé de reprendre le contrôle des ressources énergétiques du pays, trop longtemps délaissées au profit des transnationales étrangères, en nationalisant les hydrocarbures.
Selon la nouvelle législation en vigueur, « ce cadre réaffirme la propriété de l’Etat sur les réserves » nationales et concède à l’entreprise d’Etat Petróleos de Venezuela S.A. (PDVSA) « le monopole de la commercialisation » du pétrole. Depuis le 1er avril 2006, les multinationales du pétrole qui opèrent au Venezuela doivent intégrer des partenariats public/privé par le biais de joint-ventures avec PDVSA, avec le statut de simple associé. Désormais, PDVSA est propriétaire à hauteur d’au moins 60% de ces nouvelles entreprises mixtes qui remplacent les anciennes structures privées à capital étranger ; le reste revenant à l’investisseur privé [1].
Le début de privatisation du secteur pétrolier, initiée en 1990, avait fortement porté préjudice à l’économie nationale, car une grosse partie de la manne pétrolière, au lieu de profiter à l’Etat, revenait au secteur privé. Près de 32 champs pétroliers avaient été cédés à des multinationales entre 1990 et 1997. Mais ces accords ont été déclarés illégaux au vu de la nouvelle législation sur les hydrocarbures votée en 2001, qui interdit toute privatisation du secteur pétrolier [2].
Le gouvernement vénézuelien avait accordé un délai jusqu’à 2005 aux entreprises privées nationales et internationales pour signer de nouveaux contrats d’exploitation avec PDVSA. Auparavant, les transnationales pétrolières extrayaient le baril de pétrole pour un coût de production de 4 dollars et le revendaient à l’Etat vénézuelien au prix de 25 dollars pour sa commercialisation, empochant au passage une substantielle plus-value. Ce nouveau système permet à l’Etat d’économiser 3 milliards de dollars pour la production de 500 000 barils par jour issus de ces 32 concessions pétrolières. Ainsi, le Venezuela retrouve sa souveraineté énergétique et met un terme à ce système onéreux [3].
Le président Chávez a salué le nouvel accord adopté par l’Assemblée nationale : « C’est un jour historique parce que l’histoire de l’ouverture pétrolière, qui était la voie pour privatiser PDVSA, fait désormais partie du passé ». M. Chávez a cependant tenu à être clair et ferme envers les éventuels récalcitrants : « ceux qui n’acceptent pas cet accord peuvent aller ailleurs [4] ».
L’avertissement a immédiatement été suivi des faits. En effet, PDVSA a pris le contrôle des champs pétroliers administrés par les multinationales française Total à Jusepín et italienne Eni à Dacion, qui ont refusé de signer le nouvel accord en vigueur, et de se plier aux nouvelles règles établies par les autorités. Ces deux entreprises produisent près de 115 000 barils de brut par jour. De plus, le gouvernement a affirmé qu’il n’indemniserait pas Total et Eni, les seules à avoir refusé le nouveau contrat. « Sur les 32 [entreprises], nous avons trouvé un accord avec 30. Je crois que Total et Eni commettent une erreur. Nous disposons de la souveraineté pour changer notre législation, notre système fiscal et nos redevances », a déclaré, M. Rafael Ramírez, ministre de l’Energie et président de PDVSA [5].
Le gouvernement vénézuelien a également décidé d’augmenter l’impôt sur les bénéfices de 34% à 50%, après avoir constaté que plusieurs firmes internationales avaient recours à l’évasion fiscale, qui a coûté près de 3 milliards de dollars à l’Etat. Plusieurs entreprises telles que l’anglo-hollandaise Shell et la brésilienne Petrobas ont reçu une forte amende pour ce genre de pratique. Shell a dû s’acquitter de la somme de 13 millions de dollars, alors que Petrobas a réglé l’équivalent de 23, 7 millions de dollars à l’Etat [6].
Plusieurs multinationales pétrolières européennes telles que Total et Eni, qui n’avaient pas payé leurs impôts, se sont vues temporairement fermer leurs bureaux par les autorités. L’entreprise Total n’a pas payé ses impôts, s’élevant à près de 110 millions de dollars, depuis 2001, malgré des bénéfices records de 12 milliards de dollars en 2005. Quant à Eni, elle doit la somme de 80 millions de dollars au fisc vénézuelien [7].
M. José Vielma Mora, superintendant du Service national intégré de l’administration douanière tributaire (Seniat), a dénoncé les violations commises par ces multinationales et les a sommé de respecter la loi : « Total Oil est une entreprise qui a obtenu des bénéfices records [...] dans son pays. La France n’est pas un pays pétrolier potentiel, et ces profits proviennent en grande partie au Venezuela. Nous [l’]invitons à se plier à ses devoirs formels au Venezuela [8] ».
L’enquête réalisée auprès de l’entreprise Total a confirmé les soupçons de fraude fiscale pour l’année 2001. La multinationale française a été condamnée à une amende de 443 000 dollars pour fausse déclaration de revenus. En effet, Total avait déclaré une perte fiscale de 23,5 millions de dollars alors que la perte réelle n’excédait pas les 6 millions de dollars. Total avait également annoncé de nouveaux investissements à la hauteur de 20 millions de dollars alors qu’en réalité ceux-ci ne dépassaient pas les 12 millions de dollars ; tout cela en vue d’obtenir une réduction d’impôt. Vingt-deux autres multinationales se trouvent dans la même situation et doivent rendre des comptes au fisc [9].
Mer 28 Juin - 10:40 par Tite Prout