La Russie se voit comme le premier vendeur, le premier consommateur, l’une des plus grandes zones de transit et l’un des membres du G8 où ces problèmes peuvent être examinés. A l’heure actuelle, nous comprenons enfin les facteurs déterminant la nature durable, et non spéculative, de la sécurité énergétique.
Je voudrais mettre en relief un autre aspect, à savoir que le club du G8 est un lieu excellent pour argumenter nos idées devant les pays leaders et promouvoir tel ou tel objectif. Mais il est tout à fait évident que le format du G8 est insuffisant face à l’émergence de nouvelles économies, telles que la Chine, la Corée, l’Inde et le Brésil, grands consommateurs et producteurs sans lesquels, à mon avis, il serait absurde d’examiner les perspectives énergétiques à long terme. A proprement parler, le thème ne se limite pas au G8. Tout en comprenant sa nature durable, on peut supposer que le format même du G8 pourrait radicalement changer d’ici une trentaine d’années.
L’axe Est de la politique énergétique russe
On sait que les marchés d’Asie et, plus généralement, d’Asie-Pacifique, y compris celui de l’énergie, sont aujourd’hui parmi les plus dynamiques. Selon des experts, la demande d’énergie dans les pays asiatiques croît plus vite que dans le reste du monde : la consommation de pétrole progresse de 3% à 4%, et celle de gaz de 4% à 6% tous les ans. La Russie suit de très près ces tendances, et elle planifie ses démarches à très long terme. Quoique la Russie exporte plus de 90% de ses hydrocarbures vers des pays européens, nous allons accorder de plus en plus d’attention aux pays d’Asie-Pacifique.
La part des pays d’Asie dans les exportations russes de pétrole doit passer de 3% aujourd’hui à 30% d’ici 2020 (+100 millions de tonnes), et leur part dans les exportations de gaz naturel doit s’élever à 25%, contre 5% aujourd’hui (+65 milliards de mètres cubes). Nous partons du principe que le marché asiatique fait partie du marché global et que ses problèmes devraient être étudiés à travers le prisme des processus en cours sur le marché énergétique mondial. C’est la raison pour laquelle nous estimons judicieux de créer auprès du G8 des groupes de travail réguliers sur les principaux axes de la sécurité énergétique qui regrouperaient, à part les pays membres de ce club, des représentants des pays producteurs et consommateurs d’hydrocarbures, en premier lieu des grands partenaires asiatiques, pour débattre de la sécurité et de l’efficacité énergétiques régionales tout en coordonnant ces dossiers avec l’agenda du G8.
La Russie mise sur le partenariat énergétique avec l’Union européenne
Historiquement, l’Union européenne est née de l’idée du "marché commun" et des "infrastructures communes". La Russie est quant à elle un acteur de poids qui réalise des projets ambitieux dont beaucoup ne peuvent pas être mis en oeuvre même au niveau de plusieurs pays. Nous tentons d’exploiter activement le potentiel du dialogue Russie-UE dans les grands projets commerciaux.
Lors du sommet de 2001 qui a eu lieu à Bruxelles, la Russie et l’Union européenne ont adopté une Déclaration conjointe sur le dialogue énergétique définissant plusieurs axes pratiques de la coopération dans le domaine des infrastructures, notamment la jonction de leurs réseaux d’électricité, la prolongation des contrats à long terme de Gazprom et la construction d’un système de transport d’énergie.
Aujourd’hui, on constate une nette avancée sur ces projets. Le dialogue énergétique ne peut être considéré comme efficace que s’il débouche sur des résultats palpables sous forme de projets pratiques. Parmi ces derniers on peut citer le gazoduc Iamal-Europe dont la construction doit s’achever en 2006, l’oléoduc Bourgas-Alexandroupolis, le Réseau d’oléoducs de la Baltique ainsi que les oléoducs Droujba et Adria.
En collaborant avec nos partenaires étrangers, nous utilisons largement des formats éprouvés, dont celui du dialogue énergétique. Un vaste dialogue énergétique se poursuit entre la Russie et l’Union européenne, de même qu’entre la Russie et les Etats-Unis. Et les résultats de ces dialogues sont évidents, il s’agit de projets précis tels que le Gazoduc nord-européen (GNE). Il y a encore peu, nos collègues européens soulevaient timidement leur intérêt pour des projets de ce type, alors qu’à présent une décision de principe est déjà prise avec la signature en septembre 2005 de l’accord de construction. Le GNE est l’un des axes réels de diversification des fournitures de gaz russe. Nous devons privilégier à long terme de tels schémas de zones de transit fiables et de zones extraterritoriales.
La Russie commence à effectuer des démarches actives dont beaucoup se transforment en projets d’investissements conjoints avec des partenaires étrangers, qu’il s’agisse des gouvernements ou des entreprises privées. Il faut diversifier les approvisionnements en hydrocarbures. Au lieu d’utiliser des itinéraires exclusifs par lesquels passent 80% des exportations, comme c’est le cas de l’Ukraine qui détient en réalité le monopole du transit de gaz vers l’Europe, il faut avoir le choix.
L’expérience du projet Blue Stream, que certains avaient surnommé "blue dream" (rêve bleu), a montré qu’on pouvait installer des infrastructures efficaces même dans les conditions extrêmement compliquées sur le plan technologique : à une profondeur de plus de 2.000 m et dans le milieu agressif saturé d’hydrogène sulfuré de la mer Noire.
Le rapprochement des stratégies et des systèmes énergétiques reste un axe majeur du dialogue énergétique Russie-UE. Les parties ont entamé l’étude de faisabilité du projet de synchronisation entre le réseau d’électricité de l’Union pour la coordination du transport d’électricité (UCTE), en Europe occidentale, et celui du Système d’électricité unifié de la Russie et des pays de la CEI qui fonctionnent parallèlement avec les réseaux analogues des pays baltes. Ce projet est d’autant plus important après l’adoption du Livre vert.
Le sommet Russie-UE d’octobre a permis de constater que les entreprises russes et européennes sont enfin motivées pour s’impliquer activement dans la mise en place d’un espace économique doté d’un marché intégré. Autrement dit, on peut constater une nette convergence entre les objectifs déclarés par les autorités officielles de la Russie et de l’Union européenne et les intérêts à long terme des milieux d’affaires. Cela veut dire que nous pouvons espérer des idées et des propositions ambitieuses de la part des structures et des unions patronales.
Vers une politique ouverte en matière d’investissement
La dernière réunion du conseil pour les investissements étrangers a rendu public un sondage montrant que 80% des compagnies étrangères opérant en Russie étaient déterminées à développer leurs activités en Russie. Celles qui ne travaillent pas en Russie étaient divisées à parité. Cela veut dire que nous ne perdons pas sur le plan des activités réelles, mais sur le plan des relations publiques.
A l’heure actuelle, le ministère de l’Industrie et de l’Energie travaille sur un projet de loi définissant les modalités d’accès des capitaux étrangers aux secteurs stratégiques de l’économie russe. Ce texte sera prochainement débattu par le cabinet. Il se fonde sur le principe de la prise de décision pour chaque transaction concrète. Il doit y avoir aussi toute une liste de critères décrivant l’appartenance sectorielle des entreprises où la participation des investisseurs étrangers sera limitée et établissant le plafond de la participation étrangère (minorité de blocage, bloc de contrôle, etc.). Seules les propositions correspondant à ces conditions précises et transparentes seront soumises à l’examen des autorités compétentes. En fait, cette méthode revient à "restreindre les restrictions". Résultat : les investisseurs comprennent nettement les règles du jeu, et le volume des opérations occultes diminue.
Quant à la coopération en matière d’investissement, je voudrais noter l’expérience positive de la coopération avec Total sur le gisement de Khariaga dans le cadre d’un accord de partage de la production. Le succès de ce dialogue pourrait marquer le début d’une nouvelle étape dans les rapports entre la Russie et les compagnies énergétiques étrangères, quelle que soit la forme de coopération prévue ou en cours. Le travail accompli par le ministère de l’Industrie et de l’Energie au cours de l’année passée dans le domaine des accords de partage de la production a permis d’évaluer non seulement le fardeau des contradictions accumulées au fil des années, mais aussi les perspectives de solutions mutuellement avantageuses.
Les événements du secteur énergétique russe : une tendance mondiale
Ce qui se passe actuellement dans le secteur énergétique russe est une tendance internationale. Si nous regardons les dernières transformations structurelles des grandes compagnies pétro-gazières mondiales, nous verrons que leurs appellations formées auparavant d’un seul terme en comprennent désormais au moins deux. Là, nous ne suivons pas une tradition, nous faisons face à des risques liés à la réalisation de grands projets. Tout devient cher, difficile, les risques augmentent, et pour parer les nouveaux risques et développer de nouveaux projets, la compagnie elle-même doit se transformer. Il s’agit d’un processus objectif qui s’inscrit dans la logique de la mondialisation. Cela veut dire aussi que nous nous intégrons dans ce processus à mesure que nous y sommes prêts, car toute démarche doit être suffisamment solide, pesée et compréhensible.
Les compagnies russes sont absolument comparables aux compagnies étrangères par leur niveau, leur statut et leurs possibilités. Elles peuvent négocier avec n’importe quel partenaire, sur n’importe quel dossier et à n’importe quel niveau. C’est une chose déjà acquise. D’autre part, nos compagnies doivent devenir transnationales au sens propre du terme. Pour cela, elles doivent au moins disposer d’un réseau développé de projets à travers le monde. En participant à la réalisation de ces projets avec d’autres compagnies, les compagnies russes pourront couvrir leurs principaux risques.
Il est vrai que nous ne faisons pas partie de l’OPEP ou de l’Agence internationale de l’énergie, mais nous travaillons en permanence avec les experts de ces organisations internationales.
Je voudrais souligner à nouveau - cela est très important - que nous avons pris l’habitude des formes de coopération telles que le dialogue énergétique, et nous les utilisons largement. Les conclusions que ces dialogues permettent de tirer suscitent une certaine polémique au niveau politique, économique, à d’autres niveaux encore. Les dialogues énergétiques débouchent, à chaque étape, sur des décisions pratiques. Nous avons déjà entamé un tel dialogue avec les grandes économies émergentes d’Asie-Pacifique.
La poursuite de notre coopération, y compris dans le cadre de la présidence russe au G8, sera essentiellement axée sur la mise en place d’un système unique de critères en matière de politique énergétique. Rien que cette mesure permettrait de lever la plupart des risques que j’avais évoqués. La Russie est prête à servir d’intermédiaire dans ce processus entre toutes les parties intéressées.
De : gp
vendredi 28 avril 2006
http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=27087