La nouvelle stratégie commerciale des puissances du Sud : le G-3, le G-20 et le cas du Brésil
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par M.P. Paquin-Boutin
En juin 2003, à l’initiative du Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud s’unissent pour défendre conjointement leurs intérêts et, à cette fin, les trois concluent une nouvelle alliance stratégique qui formera le G-3. Ces puissances revendiquent une plus grande place pour les pays du Sud dans les organisations multilatérales et, surtout, dans leurs organes de décision. Or, au lendemain d’une de leurs premières sorties publiques, quelques jours avant la Conférence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Cancún, le G-3 conduit à la formation d’une seconde coalition de pays du Sud, également mécontents de la tournure des négociations du cycle de Doha, le G-20. La suite est connue. Les négociations commerciales échouent en raison d’un désaccord majeur concernant les subventions agricoles, et plus précisément, à propos du soutien apporté par les pays du Nord, comme les États-Unis, à l’exportation du coton. Contrairement au précédent échec essuyé à Seattle en 1999, celui de Cancún marque l’entrée d’un noyau de puissances du Sud sur la scène internationale et met en évidence le rôle de chef de file du Brésil. Dans le cadre de cette chronique, nous discuterons de cette initiative à partir de la perspective brésilienne. Nous aborderons en un premier temps, les circonstances entourant la création du G-3, son approche, ses objectifs et ses stratégies. Une seconde section sera consacrée à une évaluation de ses actions à deux niveaux, multilatéral et hémisphérique. Nous nous attarderons alors sur la portée et les limites de l’action entreprise par les autorités brésiliennes en prenant en compte les stratégies des pays du Nord et en particulier, celles des États-Unis.
L’émergence d’un nouvel acteur
Au printemps 2003, les négociations du cycle de Doha semblent aller bon train en prévision de la cinquième Rencontre ministérielle prévue pour le mois de septembre à Cancún au Mexique. Cependant, un groupe de pays, dont le poids économique et démographique est de plus en plus important, estime que certains points de négociations les désavantagent nettement au profit des puissances américaines et européennes et décident de faire entendre leur voix. C’est dans ce contexte que le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud forment le G-3, le 6 juin 2003 à Brasilia, avec l’objectif clair de jouer un rôle politique et stratégique à la mesure de leur poids démographique et économique. À eux trois, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud représentent près de 1,5 milliard d’habitants et un PIB de près de cinq milliards de dollars, soit environ 12,5 % du PIB mondial.
À peine né, le G-3 invite la Chine et la Russie à se joindre à lui pour former un G-5. L’objectif de cette alliance est ambitieux. À l’instar de plusieurs initiatives passées prises par les pays du Sud, il s’agit de constituer une alliance stratégique de pays en développement pour affronter l’hégémonie des pays industrialisés. Cette fois-ci, par contre, contrairement à d’autres expériences vite reléguées au domaine des bonnes intentions [1], les pays du G-3 semblent avoir réussi à coordonner efficacement les positions et les revendications des pays du Sud et à obtenir des gains réels. L’un d’eux est certainement d’être parvenu à s’introduire comme « troisième interlocuteur dans le dialogue de sourds entre les grandes puissances et les ONG au sein même de l’OMC [2] » et d’être devenu un joueur incontournable dans les négociations multilatérales.
Dans l’esprit des gouvernements du G-3, il ne s’agit pas d’« une coalition contre qui que ce soit, mais d’une coopération entre nous ». « Nous voulons nous faire entendre », comme le soulignait Yashwant Sinha, le ministre indien des Affaires extérieures. Son homologue brésilien, Celso Amorim, insistait quant à lui sur les bases pragmatiques de la nouvelle alliance qui la dissociait de tout mouvement tiers-mondiste et non-aligné.
Quelques jours à peine après sa création, le G-3 profite de la réunion du G-8 tenue à Evian, au début de juin 2003, pour faire sa première sortie publique. Invités à participer aux travaux, l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil transmettent leurs revendications aux grandes puissances par l’entremise du discours du président brésilien.
Celui-ci évoque la création de ce nouvel axe Sud-Sud qui entend travailler à l’instauration d’un régime multilatéral et à une plus grande justice sociale et économique à l’intérieur d’un système auquel les pays du Sud considèrent avoir largement contribué sans en récolter tous les bénéfices.
La présence du G-3 à la réunion du G-8, tout comme le rôle de leader assumé par le président brésilien, sont loin d’être anodins. L’un et l’autre reflètent la ferme intention du Brésil de se positionner à l’échelle internationale et d’être le chef de file de cet axe de partenariats Sud-Sud entre les géants de la périphérie mondiale. À ce sujet, le quotidien argentin de gauche Página 12, notait que « si le plan de Lula Da Silva se résumait à une thèse, celle-ci serait de construire le pouvoir dans les vides laissés par la globalisation. Il ne s’agit pas de socialisme, ni d’anti-impérialisme, mais de construire un marché étendu vers le bas et de donner la priorité aux relations diplomatiques symétriques [3] ».
L’agenda de la nouvelle alliance
Non seulement le Brésil a-t-il un intérêt économique à créer une alliance stratégique avec l’Inde et l’Afrique du Sud, mais il y trouve également un grand intérêt politique. Pour le gouvernement brésilien, l’émergence et le positionnement des pays du Sud passent nécessairement par un « aggiornamento » des institutions internationales [4], c’est-à-dire leur réforme pour qu’elles reflètent l’état actuel du monde. Au sein du G-3, le Brésil cultive donc également ses appuis politiques et entretient, au-delà de l’objectif de renforcement de coopération trilatérale, deux autres buts nettement plus ambitieux. D’abord, la réforme de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et de son Conseil de sécurité, puis la constitution d’une alliance stratégique aux tables de négociations à l’intérieur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Le projet de réforme de l’ONU, discuté dans les coulisses depuis des années [5], a été remis à l’ordre du jour à la suite du désaccord au Conseil de sécurité sur la guerre en Irak. À cette occasion, de nombreux pays membres expriment leur désir de revoir la structure du Conseil, afin qu’il reflète davantage le paysage politique mondial actuel. Profitant de cette conjoncture, le président Lula se fait le porte-parole du G-3 lors de la 59è Assemblée générale des Nations Unies et plaide en faveur d’une réforme de l’ONU. Au cours de la même assemblée, le secrétaire général, Kofi Annan, recommande la formation d’un Comité international de 16 sages pour étudier le projet. Le 30 novembre 2004, le Comité dépose son rapport qui contient, selon certains, les recommandations les plus ambitieuses de l’histoire de l’ONU. L’une d’elle propose l’élargissement du Conseil de sécurité à 24 membres, au lieu des 15 actuels, et suggère deux modèles. Le premier scénario prévoit ajouter six nouveaux membres permanents (deux pour l’Asie, deux pour l’Afrique, un pour l’Europe et un pour l’Amérique latine) et trois nouveaux membres non permanents élus pour deux ans. Un second modèle recommande de créer un nouveau statut, celui de membre non permanent élu pour quatre ans renouvelables, et de l’accorder à huit membres entrants. Dans les deux cas, le droit de veto demeure l’apanage des cinq membres permanents actuels. Préférant la seconde option, le gouvernement brésilien souhaiterait tout de même une réforme « sans discrimination » du droit de veto pour les nouveaux membres. Quoi qu’il en soit, cette réforme est prioritaire pour le Brésil qui estime qu’un rééquilibrage s’impose. L’accession du Brésil au Conseil de sécurité signifierait un pas énorme pour le pays en quête d’un statut de puissance mondiale. À ceux qui avancent que nombre de projets de réforme n’ont jamais vu le jour, le ministre brésilien des Affaires extérieures, Celso Amorim, rétorque que, cette fois, la proposition a été reprise sous l’égide du secrétariat général et non plus de l’Assemblée générale où, malgré une majorité en faveur, la règle du consensus bloquait toute réforme en raison de la réticence d’un ou deux pays. De plus, un sentiment d’urgence animerait la communauté internationale et rendrait inévitable une réforme.
En bonne position pour obtenir un siège au Conseil de l’Amérique, le Brésil ne lésine tout de même pas sur la création d’alliances avec des pays prêts à soutenir sa candidature. C’est ainsi pour augmenter ses chances que le Brésil a accepté de coordonner la mission de maintien de la paix en Haïti. Malgré la tiédeur qu’affichent les gouvernements argentin et mexicain face à l’octroi d’un siège permanent au Conseil de sécurité au Brésil, tout semble indiquer que le président Lula est sur la bonne voie, puisqu’il peut compter sur l’appui de la Chine, de l’Inde, de l’Afrique du Sud et de la Russie.
Mar 13 Juin - 17:45 par Tite Prout