La Presse
Nouvelles générales, samedi 6 mai 2006, p. A3
GUANTANAMO: UNE PRISON CONTROVERSÉE
DAVID CONTRE GOLIATH
Thibodeau, Marc
Guantanamo Bay - " Aucun avocat ne voulait aider les familles des détenus de Guantanamo. Tout le monde était convaincu, dans le climat de l'époque, qu'il s'agissait de terroristes. Mais après discussion, nous avons décidé de prendre la cause ", relate Gitanjali Gutierrez.
Quatre ans plus tard, l'organisation pour laquelle travaille l'avocate, le Center for Constitutional Rights (CCR), se retrouve au coeur d'une bataille juridique titanesque qui l'oppose à l'administration du président George W. Bush.
" Ça ressemble un peu à David contre Goliath ", dit en entrevue M. Gutierrez, qui travaille de concert avec une poignée de collègues dans les modestes bureaux de l'organisation à New York.
La Maison-Blanche affirme que les détenus de Guantanamo sont des " combattants ennemis " appréhendés dans le cadre de " la guerre contre le terrorisme ". Aussi estime-t-elle qu'ils ne sont pas protégés par les conventions de Genève sur les prisonniers de guerre et qu'ils ne peuvent faire appel à la justice civile américaine.
Le CCR affirme de son côté que l'administration ne peut s'arroger le droit de détenir des personnes en les privant de la possibilité de plaider leur cause devant un tribunal digne de ce nom.
La Cour suprême américaine a reconnu à l'été 2004, à la suite d'une requête du CCR, que les détenus devaient pouvoir plaider leur cause devant les tribunaux civils. L'administration a répliqué en mettant sur pied à Guantanamo même des " tribunaux de révision de statut ", présidés par des militaires qui sont censés déterminer si les détenus doivent toujours être considérés comme des combattants ennemis. Ces instances sont décriées par les organisations de défense des droits de la personne, qui déplorent notamment le fait que le recours à des preuves secrètes est permis.
L'Administration a également institué des commissions militaires pour juger les détenus. Une dizaine d'entre eux, dont le Canadien Omar Khadr, ont été accusés formellement jusqu'à maintenant. Ottawa se dit " préoccupé " et insiste pour que le jeune homme soit jugé dans un cadre conforme au droit international.
Le commandant de la base affirme que la procédure mise en place pour permettre aux prisonniers de contester leur détention constitue, en fait, une preuve de la bonne volonté de l'Administration. " C'est la première fois qu'un pays en guerre accepte que des prisonniers puissent contester leur détention avant la fin du conflit ", dit en entrevue l'amiral Harry Harris. Une décision importante de la Cour suprême, qui viendra préciser les pouvoirs présidentiels, est attendue cet été.
La quasi-totalité des prisonniers sont aujourd'hui représentés par des avocats civils, mais seulement quelques-uns ont pu se rendre sur place pour rencontrer leur client. Aucun ne peut mettre les pieds à la base sans avoir subi au préalable un contrôle de sécurité. Ils doivent aussi s'engager à ne pas divulguer d'information secrète et remettre tout document produit lors des rencontres. L'armée justifie ces mesures par la nécessité de prévenir toute fuite d'information importante. Il s'agit également, a expliqué un officier, d'éviter qu'une personne puisse servir de relais entre un ou des détenus et des organisations terroristes.
Encadré(s) :
L'HISTOIRE DE GUANTANAMO BAY
1903: un traité permettant aux États- Unis d'exploiter une base navale à Guantanamo Bay est signé peu après le départ des soldats espagnols.
1959: les révolutionnaires cubains menés par Fidel Castro arrivent au pouvoir. Ils réclament le départ des troupes américaines de Guantanamo Bay.
Début des années 60: renforcement de la frontière entre Cuba et la base. Installation d'un champ de mines.
Années 90: la base est utilisée à différentes reprises pour détenir des dizaines de milliers de réfugiés cubains ou haïtiens.
2001: la base militaire tourne au ralenti. Elle sert essentiellement à ravitailler les navires américains qui croisent dans la région.
Janvier 2002: des détenus appréhendés dans le cadre de la " guerre contre le terrorisme " sont amenés dans l'île.
Lun 15 Mai - 22:51 par mihou