Afrique Relance, Vol.16 #4 (fevrier 2003), page 7
NEPAD : Le Nouveau Partenariat de l'Afrique
Les Africains analysent le Nouveau Partenariat
Des débats sont engagés sur le développement, la démocratie et les relations mondiales
Par Ernest Harsch
Dans toute l'Afrique, le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) fait de plus en plus parler de lui. Ce ne sont plus seulement quelques dirigeants gouvernementaux et conseillers spécialisés qui débattent de la stratégie à suivre. Des parlementaires, des représentants de la société civile, des chefs religieux et aussi des syndicalistes cherchent à se faire entendre. Certains estiment que le NEPAD est sur la bonne voie et incitent les dirigeants africains à passer rapidement au stade de la mise en oeuvre. D'autres redoutent que le plan soit foncièrement inadapté. Quelles que soient leurs opinions, tous semblent accepter que le Nouveau Partenariat, officiellement adopté en juillet 2001 par les chefs d'Etat africains, constitue désormais le principal cadre de développement du continent. La communauté internationale est du même avis. Le NEPAD a été examiné en détail lors du sommet du Groupe des huit pays industrialisés (G-
en juin dernier et adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies le 4 novembre (voir page précédente). Ces derniers mois, le NEPAD a suscité de plus en plus d'intérêt de la part de la population :
-- Fin octobre, près de 200 législateurs de toute l'Afrique se sont réunis au Bénin pour avaliser le Nouveau Partenariat et envisager des moyens de le faire progresser. En reliant leurs problèmes nationaux au plan continental, les parlementaires ont renforcé les "liens de solidarité" dans toute l'Afrique, a commenté M. Adrien Houngbedji, président de l'Assemblée nationale du Bénin.
-- Quelques jours plus tard, à Durban (Afrique du Sud), il a été demandé à des juristes participant à un congrès de soutenir les objectifs du NEPAD en promouvant la justice et le respect de la loi.
-- Au Sénégal, de futurs fonctionnaires et juges reçoivent maintenant une formation aux objectifs et priorités du Nouveau Partenariat, et les campus universitaires présentent des séminaires et ateliers sur le sujet. Une association de "clubs du NEPAD" a vu le jour et sera chargée de diffuser des informations sur le programme, au départ dans les 11 régions du Sénégal et par la suite dans les pays voisins. "Notre objectif est de promouvoir le NEPAD auprès de la population africaine", explique M. Babacar Diagne, président de l'association.
Bien que divers gouvernements et groupes de la société civile aient entamé des débats sur le NEPAD, la consultation de la population n'en est qu'à ses débuts. Dans l'ensemble, le Nouveau Partenariat n'est pas bien connu. Le texte du NEPAD n'a généralement pas été distribué en dehors des milieux gouvernementaux et rares sont les Africains ayant un accès rapide ou abordable à Internet leur permettant de télécharger la version en ligne de ce long document (www.unesco.org/africa/seminar/Documents/nepad_french_version.pdf).
Ce que le NEPAD cherche à obtenir, a déclaré le Président sénégalais Abdoulaye Wade à l'ONU en septembre dernier, ce sont des "partenariats, et non de l'aide".
Les participants à un forum organisé à Abuja (Nigéria) par des organisations non gouvernementales ont affirmé que peu d'efforts avaient été faits pour mettre en oeuvre le NEPAD à l'échelle nationale, bien que le Gouvernement du Nigéria en ait été l'un des plus fervents défenseurs sur la scène internationale. Au Ghana, Mme Ama Benyiwa-Doe a admis qu'elle-même et d'autres membres du parlement "ne comprenaient pas le NEPAD".
Les partisans du Nouveau Partenariat reconnaissent qu'il s'agit là d'un problème. "Il faut que le NEPAD soit mieux expliqué et mieux compris par tous les participants au développement", ont déclaré les ministres africains de la finance, de la planification et du développement économique, réunis à Johannesburg (Afrique du Sud) les 19 et 20 octobre derniers. Pour que le plan ait un véritable impact sur les conditions de vie et les moyens de subsistance de la population africaine, ont-ils dit, il sera essentiel "de faire participer les parlements et les participants du secteur privé et de la société civile à des stratégies de développement définies par les pays eux-mêmes".
C'est également ce qu'a affirmé le professeur Adebayo Adedeji, ancien Secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique, au cours d'un forum organisé à New York sur le NEPAD : "Tant que la maîtrise du NEPAD n'appartiendra pas à la population africaine, à sa société civile et aux simples citoyens, l'initiative ne s'imposera pas à l'échelle nationale. Et si tel est le cas, le plan est condamné d'avance."
Dépendre de l'extérieur ?
Le Nouveau Partenariat souligne à quel point il est nécessaire pour l'Afrique de mobiliser davantage de ressources sur le plan intérieur, en augmentant l'épargne et les investissements nationaux, en améliorant la collecte d'impôts, en rationalisant les dépenses publiques et en luttant résolument contre la corruption. Dans ce contexte, le NEPAD considère que les soutiens extérieurs les "partenariats" viennent compléter la volonté et l'action de l'Afrique. Cependant, parce que la première grande présentation du NEPAD s'est faite devant les dirigeants des principaux pays industrialisés, le partenariat a pu donner l'impression de dépendre surtout d'appuis extérieurs : de l'augmentation de l'aide et de la réduction de la dette, d'un meilleur accès des exportations de l'Afrique aux marchés des pays du Nord et de nouveaux flux importants d'investissements étrangers.
Lors d'une consultation réunissant en avril 2002 à Abidjan (Côte d'Ivoire) la Banque africaine de développement et des groupes de la société civile africaine, ces derniers se sont interrogés sur la démarche proposée dans le Nouveau Partenariat. "Cette vision d'avenir consiste avant tout à vendre l'Afrique à l'extérieur", peut-on lire dans un résumé des prises de position de la société civile. "Il manque une stratégie interne".
Quelques dirigeants africains ont exprimé la même inquiétude. Lors du lancement de l'Union africaine à Durban, début juillet, le dirigeant libyen Muammar Kadhafi a affirmé que le NEPAD cherchait à imposer à l'Afrique le "modèle démocratique occidental", contraire aux religions et traditions africaines. Dans le courant du même mois, le Président gambien Yahya Jammeh a déclaré que, sans critiquer le NEPAD même, il craignait que sa mise en oeuvre soit tributaire de "la mendicité" vis-à-vis de l'extérieur. "Les gens en ont assez de mendier, a-t-il ajouté, et d'une Afrique de mendiants". A la fin du mois de juillet, le Président de la Namibie, Sam Nujoma, a affirmé, à propos du NEPAD, qu'il fallait faire attention à ne pas "succomber aux idéologies et aux influences étrangères".
D'autres dirigeants africains nient vouloir perpétuer la dépendance de l'Afrique vis-à-vis de l'aide. Ce que le NEPAD cherche à obtenir, a déclaré le Président sénégalais Abdoulaye Wade à l'ONU en septembre dernier, ce sont des "partenariats, et non de l'aide". Avant tout, a-t-il insisté, l'Afrique doit pouvoir produire davantage de biens et augmenter ses recettes en devises en exportant davantage sur les marchés mondiaux.
Mais même en faisant de leur mieux, les pays africains resteront confrontés à de graves déficits financiers pendant encore un certain temps. C'est pour cette raison, a déclaré le Ministre sud-africain des finances, Trevor Manuel, aux ministres réunis à Johannesburg, que l'Afrique doit bénéficier d'une augmentation de l'aide et d'une réduction plus importante de la dette. Il faut toutefois que ces flux d'aide soient plus prévisibles qu'ils ne l'ont été au cours des dernières années et "renforcent les stratégies de développement des pays bénéficiaires".
Solliciter des investissements
Le Nouveau Partenariat signale également qu'il est nécessaire pour l'Afrique d'attirer nettement plus d'investissements étrangers directs (IED). Certains dirigeants africains accordent une importance particulière à ce mode de financement. Le Président Wade, qui mentionne souvent le rôle que pourraient jouer les investissements étrangers en stimulant la croissance et le développement, a contribué à organiser à Dakar, en avril dernier, une conférence sur le financement du NEPAD à laquelle ont assisté de nombreux investisseurs privés d'Afrique et d'ailleurs. Le mois suivant, le Nouveau Partenariat a été présenté à un salon du tourisme organisé en Afrique du Sud, qui réunissait 1 300 entreprises de 70 pays. En septembre, une conférence régionale ouest-africaine sur l'appui du secteur privé au NEPAD a rassemblé à Ouagadougou (Burkina Faso) plusieurs centaines de participants.
De l'avis de nombreux experts, l'Afrique présente un énorme potentiel en matière d'investissements et suscite de plus en plus d'intérêt. L'an dernier, les flux d'IED en direction de l'Afrique ont atteint, contre toute attente, un sommet de 17 milliards de dollars, soit près du double de l'année précédente, d'après les estimations publiées en septembre par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement. Mais il ne s'agit que d'une infime partie des flux mondiaux d'IED. Et ces investissements ne bénéficient qu'à un nombre très restreint de pays africains, qui sont soit des grands producteurs de pétrole comme l'Angola et le Nigéria, soit des pays plus industrialisés, comme l'Afrique du Sud et le Maroc.
Constatant à quel point il est difficile, même pour l'Afrique du Sud, d'augmenter considérablement les IED, M. Adedeji a averti, lors du forum de New York de juillet dernier, que "les principes de base du NEPAD doivent être examinés de façon plus critique et réaliste, afin d'éviter les conséquences négatives qu'entraînerait la non réalisation d'attentes élevées". De même, le Secrétaire général adjoint de l'ONU, Ibrahim Gambari, a constaté la "déception dans certains milieux africains" face aux engagements limités pris au sommet du G-8 (voir Afrique Relance, septembre 2002). Il a vivement prié les partisans du Nouveau Partenariat de ne pas "s'illusionner".
Mondialisation et ajustement
En affirmant que l'Afrique doit trouver des moyens de mieux maîtriser la mondialisation, le Nouveau Partenariat est loin d'avoir fait l'unanimité parmi les groupes de la société civile africaine. Peu d'Africains ayant retiré des avantages concrets de l'intégration mondiale des marchés mais beaucoup d'entre eux en ayant subi les conséquences négatives la mondialisation tend à être associée au libre jeu des forces du marché et à des inégalités croissantes entre riches et pauvres. Lors d'une conférence organisée à Accra (Ghana) en avril dernier, deux grandes organisations non gouvernementales et universitaires, le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique et le Third World Network-Africa, ont critiqué les stratégies qui préconisent "l'intégration inadéquate de nos économies à l'ordre mondial". A propos du NEPAD, les deux groupes voient "au coeur du plan une orientation économique néo-libérale, qui reprend les programmes d'ajustement structurel des deux dernières décennies sans tenir compte des effets désastreux de ces programmes".
A mesure que l'on se rapproche du stade de la mise en oeuvre du Nouveau Partenariat, il est probable que la participation de la société civile s'intensifie dans les différents domaines prioritaires du plan.
A peu près au même moment, l'organisation de l'unité syndicale africaine, qui représente la plupart des fédérations syndicales de l'Afrique, a regretté que le NEPAD semble "se fonder en très grande partie" sur des principes néo-libéraux. Dans une déclaration publiée ultérieurement, 40 groupes africains de la société civile et du secteur des droits de l'homme ont catégoriquement rejeté le Nouveau Partenariat, arguant que le plan "accepte les principes fondamentaux du cadre néo-libéral" sur lequel s'appuient les programmes d'ajustement structurel.
Lun 15 Mai - 9:39 par Tite Prout