07 Avril 1803-07 Avril 2003 Bicentenaire de la mort de Toussaint Louverture : le tronc de l’arbre de la liberté
22/04/2003
«En me renversant, on n’a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l’arbre de la liberté des Noirs ; il poussera par les racines parce qu’elles sont profondes et nombreuses». Telles furent, le 7 juin 1802 les paroles historiques et prémonitoires du Général Toussaint Louverture qui venait d’être, par la félonie coloniale, capturé sur ordre de Napoléon et contraint d’embarquer pour le port de Brest vers sa destination ultime…Sienne ultime certes, mais sacrifiée sur l’autel d’idéaux libérés à tout jamais. Cet homme, une nation aux yeux de Lamartine, tellement épris d’égalité qu’il signait l’en-tête de ses missives à Napoléon d’un «Le premier des Noirs au premier des Blancs», devait décéder un 07 avril 1803 vers 11 h 30 au château de Joux dans le Jura des suites des mauvais traitements, vexations et humiliations de sa déportation. Pneumonie authentique ou crime politique par empoisonnement, le mal était déjà fait, et la cause de Toussaint Breda devenu Louverture par ses hauts faits de guerre ne cesserait plus d’être entendue.
Alors que les ondes de l’agitation révolutionnaire métropolitaine gagnent les colonies, Saint-Domingue dispose d’un terrain labouré à la révolte et à l’insurrection contre l’ordre esclavagiste. En 1758, l’esclave marron Markandal avait payé de sa vie son inextinguible désir de liberté ! Désir tellement humain et contagieux que nulle force, nul totalitarisme n’aura pu à l’infini caporaliser. Ce n’est pas plus tard que dans la nuit du 22 au 23 août 1791 que l’esclave Boukman prend la tête d’une armée de révoltés. Malgré sa bravoure et son courage, le sort de Boukman ne différa pas de celui de Markandal ; fait prisonnier il terminerait décapité, la tête fiché sur un pieux, puis brûlé…
C’est alors que Toussaint Breda devait apparaître au devant de la scène, pour progressivement transformer une révolte d’esclaves en insurrection sociale, en révolution politique. L’appel mémorable du 29 août 1793 devait donner le ton de l’action de Louverture : « Frères et amis, je suis Toussaint Louverture. Mon nom s’est peut-être fait connaître jusqu’à vous. J’ai entrepris la vengeance. Je veux que la liberté et l’égalité règnent à Saint-Domingue. Je travaille à les faire exister. Unissez-vous à nous, frères et combattez avec nous pour la même cause…».
Le souffle de cette guerre de libération nourrie à la recherche de la liberté et au refus de l’inique, l’esclavage et la traite des Noirs, allait contraindre la Convention au décret du 16 pluviôse de l’an II, soit le 04 février 1794, à l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.
Malgré le rétablissement de l’esclavage par un Napoléon Bonaparte dans l’air de son temps, c’est à dire en phase avec un siècle archi-dominé par l’idéologie raciste de supériorité blanche, Saint-Domingue, sous l’autorité de Dessalines ancien Général de Louverture, devait conquérir son indépendance et la proclamer le 1er janvier 1804, 10 mois après la mort du libérateur et accoucheur de l’histoire, l’ancien esclave Toussaint Breda.
L’œuvre de Toussaint Louverture et la révolution haïtienne sont emblématiques à plusieurs titres dans l’histoire de la décolonisation et de celle, universelle…des êtres humains. Si la résistance est une constante et fidèle accompagnatrice des procès de colonisation, d’esclavisation et d’aliénation des Africains et de leurs Descendants des colonies des Caraïbes, celle d’Haïti porte une marque positivement distinctive entre toutes. Rien n’effacera les héroïques révoltes de Jamaïque conduites par le grand héros Cudjoe, aucun souvenir ne se substituera au marronnage, la conquête de bastions de résistance ou d’états autonomes en Amérique demeurera emblématique dans la mémoire collective de la résistance, à l’instar du Quilombo de Los Palmares, bastion imprenable de marrons, territoire dirigé et organisé par des esclaves rebellés ayant conquis leur indépendance.
Haïti, sous l’impulsion de Toussaint Louverture pour la première fois réussira à délier la chape de plomb coloniale, ce jusqu’à la proclamation de son indépendance, première république noire indépendante, au 19ème siècle, renversant toutes les certitudes et a contrario du raz de marée de soumission du monde non-blanc par la toute puissance impérialiste européenne alors au faîte de sa gloire.
Les troupes de Toussaint Louverture allaient infliger sa première défaite à l’armée la plus expansionniste du monde de l’époque, décimant littéralement -avec les effets conjugués des maladies- la presque totalité des 40000 soldats commandés par le général Leclerc, gendre de Bonaparte soi-même.
Le génie de Toussaint Louverture ne sera que rarement mis en défaut, quant il aura agit pour ses seuls et uniques idéaux, liberté et égalité. Sa capacité stratégique à utiliser les rivalités coloniales pour en tirer des surcroîts de liberté collective est hors du commun et exceptionnelle. Allié aux Espagnols contre les Français, il saura se rallier aux Français contre les Anglais, augmentant son pouvoir sur l’île et surtout améliorant le sort de son peuple encore en servitude. Tant d’habileté politique ne sera pas de trop pour stabiliser son pays en proie à des agitations récurrentes.
Cette intelligence des situations, ce génie de la stratégie militaire et diplomatique, cette puissance de vision d’un idéal au minimum commun, cette faculté à mettre en branle une dynamique révolutionnaire qui allait lui survivre en faisant école, voilà Louverture vers un nouveau monde et de nouveaux espoirs que lègue le digne fils d’un chef du Dahomey déporté à Saint-Domingue au 18ème siècle.
Alors que Toussaint Louverture plante les jalons du dépassement des pulsions expansionnistes, prédatrices et racistes de l’ordre ancien, fraternisant avec le futur et seul avenir commun possible, Napoléon Bonaparte illustre la face émergée de l’ordre colonial, ivre de volonté de puissance et de domination. L’arrestation de Toussaint Louverture et la tentative de reprise en main d’Haïti s’accordent avec une réaffirmation totalisante de la politique coloniale et de la prégnance de l’idéologie raciste. Le 20 mai 1802 Bonaparte rétablit l’esclavage et la traite des Noirs dans les colonies, le 02 juillet 1802 les Noirs et les Métis sont interdits d’entrée en France (…), le 08 janvier 1803 les mariages inter-raciaux sont interdits…L’œuvre et le legs de Louverture sont donc un inadmissible contrepoint et une contrariété intolérable pour des nations éconduites vers des desseins de captation, de négation ethnocentriste et de supériorité raciale.
Ceci expliquera d’ailleurs la rançon exigée par la France pour la reconnaissance officielle d’Haïti, en effet Charles X exigera 150 millions de Francs et des aménagements douaniers contre le paraphe de l’indépendance de son ancienne colonie en 1825…Coûteuse conquête de sa liberté, et le prix ne s’en arrêtera pas là …
Authentique noir natif de Saint-Domingue, semence de la terre africaine d’Allada par ses parents, stigmatisé par les écorchures de la vie d’esclave, affranchi puis mué en révolutionnaire, Toussaint Breda devait surpasser dans le sens de l’histoire un Bonaparte qu’il traitait en égal. Il graverait dans les pavés de l’histoire des Noirs et des Humains, une inscription indélébile, prémonitoire et auto-réalisatrice. Au bout de l’idéal incarné de liberté et d’humanité, se trouve comme dans son habitacle, la victoire assise. De l’art et de la manière d’ouvrager une émancipation répondent la pérennité de la victoire sur l’aliénation et la régression…
Toussaint Breda ouvre sa vie et son épopée, épîtres de la décolonisation, à la compréhension de la marche vers la libération. Il s’agit de savoir saisir le moment subtile et avant-coureur du renversement du paradigme idéologique et pratique négrier et esclavagiste, l’approprier et l’acclimater aux routines soporifiques d’un vécu néo-colonialiste où rien n’est jamais plus obscur que le clair…
Ze Belinga