La France célèbrera-t-elle en 2006 le bicentenaire de la mort du Général Alexandre Dumas ?
Par actuafricaine, samedi 3 décembre 2005 à 01:40 :: Général :: #610 :: rss
Au moment où on célèbre le bicentenaire de la victoire de Napoléon à Austerlitz ce 2 décembre 2005, Claude Ribbe commet un livre qui détonne : Le crime de Napoléon (Editions Privé, 2005). L'historien et philosophe d'origine guadeloupéenne est invité sur le plateau de Itélé pour présenter son ouvrage. D'entrée de jeu, la journaliste Sophia Synodinos minimise l'originalité de l'œuvre : « Napoléon a rétabli l'esclavage, Ok ! Moi je l'ai appris à l'école. » « Vous avez la chance, madame, d'avoir été à une bonne école. Ce n'est pas le cas de tous les Français. » L'empoignade s'annonce rude.
Parce que la couverture de ce livre est une photo d'Hitler s'inclinant devant la tombe de Napoléon aux Invalides, la journaliste reproche à l'auteur ce parallèle. Il retient à peine ses nerfs : « Mais madame, ce n'est pas moi qui ai pris la photo ! Ce qui vous gène ce sont les faits. » Seulement, quand il faut en discuter, « on ne m'envoie que des seconds couteaux », se plaint-il. Et ces derniers reconnaissent très vite « avec gêne » qu'ils savaient tout. « Ils savaient, mais ils se sont tus ! » A l'image de Max Gallo, auteur d'une biographie de Napoléon, adaptée en plusieurs épisodes pour la télévision française, sans un mot sur le rétablissement de l'esclavage.
L'auteur de Le chevalier de Saint-Georges (Editions Perrin, 2004) se retient de bondir sur la journaliste et montre son agacement quand elle l'accuse d' « appeler à la haine » à travers ses écrits, alors que la France sort difficilement d'une crise dans les banlieues. « Mais madame, s'insurge-t-il, qu'est-ce que la vérité a à voir avec les banlieues ? Au contraire, si on avait dit la vérité un peu plus tôt, peut-être que la crise n'aurait pas eu cette ampleur. » Et j'ajoute que les intellectuels sont les premiers à organiser ce camouflage.
On peut lire dans Le Figaro (1) une contribution d'Emmanuel Le Roy Ladurie estampillé 'De l'Institut', dans laquelle il s'offusque de la volonté d'interdire d'honorer la mémoire des ‘grands hommes’ sous prétexte que certains de leurs profils sont moins glorieux : « Et voilà maintenant qu'on boycotte tout anniversaire de Napoléon (Austerlitz, etc.), parce que ce personnage fut, comme tant d'autres, esclavagiste pendant la plus grande partie de son règne ! » Jacques Garnier, historien et Administrateur de l’Institut Napoléon renchérit dans Le Parisien : « Que reproche-t-on à Napoléon ? Essentiellement d’avoir rétabli en 1802 l’esclavage (aboli par la Convention de 1794) à un moment où les Anglais pourtant ne l’avaient même pas encore supprimé. Et bien sûr d’avoir fait la guerre. » (2) Mais non, Messieurs de l'Institut, certes c’est déjà grave, mais ce n'est pas (‘seulement’) de cela qu'il s'agit ! On parle d'un homme, Napoléon, qui dès 1802 a utilisé l'oxyde de souffre dans les cales des bateaux de la Marine française, pour gazer les Guadeloupéens et les Haïtiens qui refusaient le rétablissement de l'esclavage !
Sophia Synodinos dans un rôle difficile ici de contradictrice, ose que « Napoléon a quand même défendu la France contre l'envahisseur. » « Certes, concède Claude Ribbe. Mais d'autres, pour les mêmes faits n'ont pas eu droit aux mêmes honneurs. » Et l'auteur d' Alexandre Dumas. Le dragon de la reine (Editions du Rocher. Monaco 2002) poursuit : « Le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres refuse de célébrer l'année prochaine le bicentenaire de la mort en 1806 du général Alexandre Dumas », père de l'écrivain bien connu. Pourtant ce ne sont pas les faits d'arme qui manquent.
Voici ce que dit le poète et romancier Anatole France (1844-1924), d'Alexandre Dumas, alias Thomas-alexandre Davy de La Pailleterie, né esclave en 1762 dans la colonie française de Saint-Domingue (aujourd'hui République d'Haïti) fils d'une Africaine déportée et d'un Normand : « Le plus grand des Dumas, c'est le fils de la négresse, c'est le général Alexandre Dumas de La Pailleterie, le vainqueur du Saint-Bernard et du Mont-Cenis, le héros de Brixen. Il offrit soixante fois sa vie à la France, fut admiré de Bonaparte et mourut pauvre. Une pareille existence est un chef-d'oeuvre auquel il n'y a rien à comparer. » (3) Claude Ribbe est l'auteur d'une lettre (4) à Jacques Chirac, demandant que Thomas-alexandre Davy de La Pailleterie, soit décoré de la légion d'honneur.
Il faut se réjouir du débat qui naît en France autour de l'Histoire, notamment de l'esclavage. Olivier Petré Grenouilleau vient d'être encensé pour son livre sur le sujet. Si Claude Ribbe ne le goûte pas (« Olivier Pétré-Grenouilleau n'est pas dans un débat. Il assène une vérité officielle. Jusqu'à aujourd'hui, la plupart des médias colportaient ce qu'il dit comme une vérité officielle. C'était l'homme qui savait. (…) OPG a le droit d'écrire les livres qu'il veut mais il a aussi le droit d'être contesté »), Emmanuel Le Roy Ladurie l'adule (« Plusieurs prix littéraires de très haut niveau ont récompensé l'œuvre majeure de Pétré, considérée historiquement et politiquement correcte, au vrai sens de cet adjectif »).
Avec un peu d'intelligence, cette guéguerre ne devrait pas durer. Si chaque peuple a son histoire, la France a encore à inventer la sienne. En même temps que lui (le peuple)…. Il y a du boulot ! Jusqu'ici, les histoires de chasse glorifiaient le chasseur. Les lions se sont mis à écrire la leur. Il faut les réconcilier. En ne retenant que la vérité. Toute la vérité.
Notes : (1) « Napoléon boycotté, l’histoire amputée », Le Figaro 1er décembre 2005. (2) « Il ne faut pas avoir honte de notre passé », Le Parisien 2 décembre 2005. (3) http://noiresmemoires.rfo.fr/imprimer.php3?id_article=36. (4) http://www.afrik.com/article8507.html.
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