Lettre ouverte à Christophe Girard
Maire adjoint de Paris, chargé de la Culture
Mon cher Christophe,
Suite à la parution d’un entrefilet bien anodin dans Marianne
du 1er décembre 2007 qui disait ma colère et le mépris que
tu affiches pour un projet d’Ousmane Sow, tu as réagi en m’adressant
un message téléphonique et la copie d’un courrier destiné
à Jean-François Kahn, ès qualités de directeur de Marianne.
C’est curieux que tu ne réagisses qu’à Marianne, car il y
a un article beaucoup plus féroce dans Jeune Afrique du 3
décembre intitulé L’Affaire Ousmane Sow. Mais tu ne lis sans
doute pas Jeune Afrique. Et Le Parisien, le lis-tu ? Tu n’y
étais pas épargné la semaine dernière. C’était d’autant plus
grave qu’on citait tes propos. En tout cas, il y a quelque
chose d’assez étrange dans cette lettre que tu adresses à
Jean-François Kahn le jour même où l’on apprend que justement
il vient de quitter Marianne. Je vois dans ce décalage comme
un signe. Tout se passe comme si l’homme à la mode que tu
es prenait soudain du retard. Depuis trente ans, tu es pourtant
de tous les dîners, de tous les cocktails, de tous les raouts.
Mais l’histoire irait-elle trop vite ? Oui, nous vieillissons,
Christophe. Et les hommes politiques vieillissent beaucoup
plus vite encore que les artistes. Après notre mort, on ne
retiendra de nous que ce qui était important. Tu seras le
politicien qui s’est opposé à un projet de statue du général
Dumas par Ousmane Sow. Et moi, je serai l’écrivain qui l’a
imposé. Franchement, je préfère mon rôle posthume à ta gloire
éphémère et mon modeste grenier au palais où s’empresse ton
secrétariat.
Bon, parlons un peu de cette lettre. Pourquoi l’as-tu écrite
? Parce que Marianne t’a épinglé et que, forcément, cela t’a
piqué. Tu n’as pas l’habitude d’être critiqué, toi qui te
voudrais si consensuel. Je te comprends, mais tu verras, on
s’habitue.
Puisque tu m’as fait adresser copie de cette lettre avec le
risque que je la lise, c’est que tu dois en être assez satisfait.
Marianne a dit que tu n’aimais pas le projet d’Ousmane Sow.
Marianne n’a pas menti. Dans un message que tu m’as laissé
en octobre, tu m’as fait savoir très clairement que les projets
présentés à la commission pour l’art dans la ville n’étaient
« pas bons». Parmi ces projets, figurait celui d’Ousmane Sow.
Donc tu as bien dit que son projet n’était « pas bon ». Tu
t’abrites derrière l’autorité d’une commission « que le maire
et moi, son adjoint à la Culture, écoutons beaucoup ». Tu
aurais pu ajouter «une commission que je préside en ma qualité
de maire-adjoint à la Culture». Car tu la présides, n’est-ce
pas, cette commission ? Donc tu écoutes l’écho de la commission
que tu présides. Tu t’écoutes toi-même en quelque sorte. N’est-ce
pas un peu lassant ? D’autant plus que ta commission ignore
tout du général Dumas, sauf ce que tu crois être l’essentiel
: c’était un « noir ».Nous y reviendrons.
Vous considérez, la commission que tu présides et toi, que
le projet d’Ousmane Sow n’est « pas bon ». C’est évidemment
subjectif. Mais dans Le Parisien, tu t’expliques : « Un cheval
qui se cabre, c’est trop attendu ». Donc pour plaire à la
commission que tu présides, il faut être « inattendu ». Ousmane
Sow a fait de l’Ousmane Sow. Pour vous plaire, il aurait dû
faire du Buren. Je vois. Le problème, c’est que tu sembles
confondre un cheval qui se cabre avec un cheval qui s’effondre.
Ousmane Sow l’avait bien précisé dans sa note d’intention.
Mais, diras-tu, ce n’est qu’un détail. Un détail d’autant
plus insignifiant qu’il était, selon l’artiste, inspiré par
un livre que j’ai écrit. Tu n’as lu ni mon livre ni la note
d’intention d’Ousmane Sow. Tu n’as lu que Marianne.
Dans ta lettre, on apprend que « les célébrations liées au
bicentenaire de la mort du général Alexandre Dumas avaient
été l’occasion pour Bertrand Delanoë, maire de Paris, George
Pau Langevin, alors déléguée générale à l’Outremer et moi-même,
adjoint chargé de la Culture, de rappeler l’attachement de
la Ville de Paris à sa mémoire.»
La mairie avait effectivement diffusé à la sauvette un communiqué
le vendredi 24 février 2006, deux jours avant le jour du bicentenaire
de la mort du général Dumas. Tu nous parles de l’occasion
donnée par les « célébrations liées au bicentenaire ». Quelles
célébrations ? Comme si tu avais fait quelque chose pour ce
bicentenaire. Or il n’y a rien eu. En 1906, la ville de Paris
élevait une statue à la gloire du général Dumas. En 2006,
rien qu’un communiqué administratif bâclé, pour ne pas dire
« trop attendu ».
Que disait-il, ce communiqué de 2006 ?
« Alexandre Dumas, né esclave aux Antilles françaises, est
le premier général noir de l’histoire de France. Combattant
de la Révolution française, il a porté sa vie durant l’idéal
républicain. Le Général Dumas symbolise l’affrontement entre
deux réalités françaises : l’élan progressiste des Lumières
et l’idéologie coloniale. Il a consacré sa vie à la promotion
révolutionnaire de l’égalité entre les hommes tout en ayant
souffert de l’injustice de l’esclavage imposé aux Antilles.
Sur proposition de Christophe Girard et de George Pau-Langevin,
la Ville de Paris a lancé une consultation pour implanter
une œuvre en hommage au Général Dumas place du Général Catroux
dans le 17ème arrondissement. Cette œuvre prendra place aux
côtés des monuments dédiés aux deux Dumas hommes de lettres,
respectivement fils et petit-fils du Général. La statue précédemment
implantée en l’honneur du Général Dumas sur cette même place
(précédemment dénommée Place des 3 Dumas) fut déboulonnée
par les nazis en 1940 puis envoyée à la fonte. Trois artistes
participent à la consultation en cours : Jean-Louis Faure,
Ousmane Sow, Barthélemy Toguo. Le choix de l’œuvre interviendra
après consultation du Comité de l’Art dans la Ville et de
la Mairie du 17ème arrondissement. »
Et que dis-tu aujourd’hui dans ta lettre à Marianne ?
« Alexandre Dumas, né esclave aux Antilles françaises, est
le premier général noir de l’histoire de France. Combattant
de la Révolution française, il a porté sa vie durant l’idéal
républicain. Le Général Dumas symbolise l’affrontement entre
deux réalités françaises : l’élan progressiste des Lumières
et l’idéologie coloniale. Il a consacré sa vie à la promotion
révolutionnaire de l’égalité entre les hommes tout en ayant
souffert de l’injustice de l’esclavage imposé aux Antilles.
Sur proposition de Christophe Girard et de George Pau-Langevin,
la Ville de Paris a lancé une consultation pour implanter
une œuvre en hommage au Général Dumas place du Général Catroux
dans le 17ème arrondissement.Cette œuvre doit prendre place
aux côtés des monuments dédiés aux deux Dumas hommes de lettres,
respectivement fils et petit-fils du Général. La statue précédemment
implantée en l’honneur du Général Dumas sur cette même place
(précédemment dénommée Place des 3 Dumas) fut déboulonnée
par les nazis en 1940 puis envoyée à la fonte.Trois artistes
ont participé à cette consultation : Jean-Louis Faure, Ousmane
Sow, Barthélemy Toguo. Le comité de l’art dans la ville n’a
pas donné un avis favorable à ces propositions. Une nouvelle
consultation a été lancée. De nouveaux projets seront présentés
prochainement au Comité de l’Art dans la Ville »
Jeu 6 Déc - 7:39 par mihou