Une épineuse question d'argent
Comment financer des lieux de culte sans ingérences étrangères ? L'argent, après le foulard, est l'autre enjeu sensible de l'islam de France.
Jérôme Cordelier
C'est un petit bureau situé dans l'une des principales mosquées de France, celle de Mantes-la-Jolie, banlieue de Paris. Ce local discret est le siège en France du Bolim, Bureau de l'organisation de la Ligue islamique mondiale. Le but de cette ONG ? « Défendre l'islam et les musulmans, propager l'islam, le vrai, et relooker le visage de l'islam, souillé par les médias », selon son représentant en France, Youssef Baouendi. Financée par l'Arabie saoudite (son siège est à La Mecque), à travers 50 représentations dans le monde, la Ligue islamique promeut un islam très conservateur, inspiré du wahhabisme. Comment ? En distribuant de l'argent pour construire des mosquées, former des imams, etc. Indice de son influence : lors d'une tournée européenne, en octobre, son secrétaire général, Abdullah Turki, était reçu Place Beauvau par Nicolas Sarkozy. Qui, dans un communiqué, à l'issue de l'entretien, déclarait : « L'islam de France doit être indépendant des puissances étrangères. » Comment enraciner un culte sur le territoire national si ses lieux d'exercice dépendent d'Etats étrangers ? Après le voile, l'argent, l'autre dossier brûlant de l'islam de France.
En France, outre Mantes, la Ligue islamique mondiale s'estime propriétaire de la mosquée d'Evry, à la construction de laquelle elle a participé et dont elle continue à régler la taxe foncière et divers impôts, selon ses dires (le dossier fait l'objet d'un procès avec l'actuel recteur, Khalil Merroun). La Ligue aide aussi - « ponctuellement », précise le recteur, Kamel Kebtane - au fonctionnement de la grande mosquée de Lyon (dont la construction a été financée à 90 % par l'argent personnel du roi Fahd d'Arabie saoudite). « Nous recevons dix à vingt demandes par an, nous en sélectionnons le quart », dit Youssef Baouendi. La Ligue islamique est présente au Conseil français du culte musulman, via trois personnes : le délégué de la mosquée de Mantes, celui de l'île de la Réunion et son avocat en France, Me Salah Djemaï. Elle ne s'en cache pas.
« Parfaite hypocrisie »
A travers la Ligue islamique mondiale, quelques généreux bienfaiteurs, ou directement les pétrodollars de l'Arabie saoudite, ont largement soutenu l'installation de l'islam en France - avec l'argent de l'Algérie et du Maroc dans des proportions moindres. « La plupart des constructions de mosquées de quelque ambition ont été financées par une aide venue d'ailleurs, c'est-à-dire par les dons des institutions islamiques et de certains pays arabes du Golfe », constatait le rapport - interne - d'un groupe de travail du ministère de l'Intérieur en juin 2001.
« Je n'ai aucun complexe à recevoir des dons des Saoudiens, je ne reçois aucun ordre, cet argent est le fruit du zakat (le devoir d'aumône qui incombe à tout riche musulman), explique le recteur de la Mosquée de Lyon, peu suspect effectivement de vouloir faire le jeu des Saoudiens. La communauté musulmane est économiquement très faible, elle ne peut pas supporter les constructions de lieux de culte. » En outre, les difficultés de financement sont de deux ordres. Principes : si l'islam préconise l'aumône (c'est l'un de ses cinq piliers), il prohibe les prêts avec intérêts. Mentalités : querelles de pouvoir entre associations musulmanes, mauvaise volonté d'élus utilisant la réglementation pour faire barrage.
Dans la majorité des cas, les lieux de culte musulman font partie d'un ensemble plus vaste, culturel, soumis à la loi de 1901 - et non de 1905. En théorie, ils ont donc le droit de recevoir des subventions publiques. Oui, mais voilà : souvent, l'objet de l'association est cultuel et, dans ce cas, le Conseil d'Etat interdit toute subvention en raison de la séparation des Eglises et de l'Etat.
Alors, sur le terrain, on s'arrange... Les futures mosquées de Strasbourg, Montreuil, Marseille (si, dans ce dernier cas, le projet, bloqué pour des querelles politico-religieuses, aboutit) seront bâties sur des terrains « offerts » par les mairies (bail emphytéotique contre loyer symbolique) - à Montreuil, la Ville apporte aussi sa garantie pour des emprunts (à deux conditions : aucun financement étranger et un plafonnement des dons à 1 500 euros par fidèle). « On est dans une parfaite hypocrisie, un terrain, c'est de l'argent public ! » s'exclame Pierre Bédier, premier adjoint de Mantes-la-Jolie. Avec son collègue du gouvernement Jean-François Copé, il plaidait pour la révision de la loi de 1905. Il a évoqué aussi avec François Fillon l'idée d'une fondation pour recueillir les dons et répartir les subventions.
Le maire de Montreuil, Jean-Pierre Brard, propose, lui, que la Caisse des dépôts ouvre des prêts sur trente ans avec un taux corrélé à l'inflation. « Les musulmans s'enrichissent, et ils cherchent à se désengager de l'arrivée de fonds étrangers », relève un spécialiste du dossier au ministère de l'Intérieur. L'avenir de l'islam de France en dépend
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