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 Islam:Le révélateur turc

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mihou
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mihou


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06052006
MessageIslam:Le révélateur turc

Le révélateur turc

Le Premier ministre Erdogan est-il l'héritier d'Atatürk, qui fit de la Turquie le seul Etat laïque du monde musulman, ou un chef musulman qui veut faire entrer l'islam dans l'Europe ?

Jérôme Cordelier

Ce devait être une démonstration de tolérance, l'inauguration, le 8 décembre 2004, dans le sud de la Turquie, d'un « jardin des religions ». L'idée ? Faire cohabiter en un même espace une église, une synagogue et une mosquée. Dans son discours, devant les dignitaires religieux du pays et le représentant de l'Union européenne, le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, assurait que la tolérance religieuse faisait partie de l'héritage de l'Empire ottoman.

C'était là un gage de plus de la bonne volonté laïque manifestée par la Turquie depuis cinq ans qu'elle est officiellement candidate à l'intégration dans l'Europe. Politique ancrée dans le réel ? Ou opération de séduction destinée à amadouer les adversaires de l'entrée en Europe d'un Etat dont les 70 millions d'habitants - 80 millions en 2015 - sont à 99 % de tradition musulmane ?

Minarets, appels du muezzin, foulards, voire tchadors noirs : pour le voyageur de passage en Turquie, nul doute qu'il se trouve dans un pays islamique. Même si les rues d'Istanbul ou d'Ankara ne ressemblent pas à celles de Riyad, Téhéran ou Damas... « A majorité sunnite, l'islam turc est pluriel, relève Thierry Zarcone, chercheur au Cnrs, auteur de "La Turquie moderne et l'islam" (Flammarion). Il est fortement imprégné des anciennes croyances populaires de l'animisme et du chamanisme. Dans le monde rural, c'est surtout l'alevisme qui domine. Or ce courant issu du chiisme est plutôt souple - ses fidèles, par exemple, n'ont pas à observer les cinq piliers de l'islam. »

Si la République turque est l'héritière d'une théocratie musulmane conquérante vieille de cinq siècles, depuis son instauration en 1923 par Mustafa Kemal, dit Atatürk, elle repose sur un principe de gouvernement exceptionnel dans le monde musulman : la laïcité. La référence à l'islam fut supprimée de la Constitution en 1928, et la « laiklik » inscrite noir sur blanc dans la Constitution de 1936. Le foulard est interdit dans les universités et les administrations, aucune communauté religieuse n'a le droit d'ouvrir une école ou de proposer un enseignement dans un but religieux. Et l'Etat assure un contrôle sur la religion, via la présidence des Affaires religieuses - tous les imams des mosquées officielles sont payés par l'argent public. Le sacro-saint principe de laïcité a ses gardiens vigilants, et non des moindres : les militaires - responsables de trois coups d'Etat depuis 1960. A priori, comme le voulait Atatürk, l'islam en Turquie reste donc contenu à l'écart du domaine public.

Oui, mais voilà. L'homme à la tête de cet Etat laïque est, à l'origine, un musulman pur et dur. Recep Tayyip Erdogan a fait ses études dans une école coranique. A une époque, il refusait de serrer la main des femmes et de s'asseoir à une table où l'on servait de l'alcool. En 1999, il fut même condamné à quatre mois de prison pour « incitation à l'extrémisme religieux ». Il fut l'un des leaders du Refah, parti islamiste qui voulait revenir sur l'interdiction du voile et voyait l'Union européenne comme un « club chrétien ». Interrogation essentielle, donc, au moment où l'on discute de la candidature de la turquie dans l'UE : Erdogan est-il le digne successeur d'Atatürk ou un chef islamiste ?

« Erdogan fait partie de la génération de jeunes universitaires qui ont voulu faire de la politique dans les années 70 avec la religion, note la sociologue Nilüfer Göle, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, à Paris. Il s'est engagé dans le sillage d'Erbakan, fondateur de l'islam politique. Mais il s'en est séparé en 2000. Aujourd'hui, le mouvement d'Erbakan, qui reste religieux et antioccidental, pèse seulement 3 % des suffrages. Et le parti d'Erdogan, au lieu de se radicaliser, s'est déplacé vers le centre politique. » Devenu Premier ministre en 1996, Erbakan, dont le parti avait été souvent interdit pour « activités antilaïques », s'était rapproché de l'Iran et de la Libye et avait même voulu créer un marché commun musulman - ce fut la raison de son éviction du pouvoir, en 1997.

Aujourd'hui, son ancien fidèle, Erdogan, se pose en démocrate-musulman - à l'image des démocrates-chrétiens, qui ont fait l'Europe... « Nous suivons une expérimentation en cours, poursuit Nilüfer Göle. L'enjeu peut se résumer en une question : un mouvement radical peut-il se transformer et accepter la laïcité ? »

L'interrogation en contient une autre : quelle est la nature exacte de la laïcité turque ? Faut-il souscrire aux propos récents tenus dans Le Figaro par Mgr Hippolyte Simon, vice-président de la Commission des épiscopats catholiques de la Communauté européenne : « Ce pays refuse la liberté religieuse aux minorités » ?

Force est de constater que les minorités chrétienne et juive en Turquie sont de nos jours souvent perçues comme étrangères. La propriété des biens dont elles jouissaient avant l'avènement de la République est contestée. Il leur est difficile d'acquérir des terrains pour bâtir de nouvelles écoles ou de nouveaux lieux de culte. L'administration multiplie les vexations et les obstacles aux missionnaires, soupçonnés de prosélytisme.

Islam, vieux fonds fédérateur

Juifs et chrétiens s'inquiètent de leur élimination progressive du paysage. L'Empire ottoman, en 1908, comptait 250 000 juifs - leur présence à Byzance remontait au XVIe siècle... -, ils ne sont plus que 20 000 aujourd'hui. L'actuelle Turquie, jusqu'à la fin du XIXe siècle, était la région du Proche-Orient où les chrétiens étaient les plus nombreux. Seuls 80 000 à 100 000 y vivent encore.

A la veille de la première guerre mondiale, Istanbul comprenait deux tiers de chrétiens - Grecs et Arméniens - pour un tiers de musulmans. Les Arméniens étaient 2 millions à la fin du XIXe siècle, 1,5 million ont été exterminés lors du génocide de 1915. Aujourd'hui, les Arméniens apostoliques ne sont plus que 40 000 à 50 000 en Turquie. Plus de 100 000 syriens orthodoxes étaient établis dans l'empire ottoman à la fin du XIXe siècle, leurs descendants ne sont plus que 15 000.

« A partir de 1880, les minorités chrétiennes ont été persécutées par le radicalisme musulman et turc, en réaction aux attaques des empires anglais, français et russe, explique le sociologue Sébastien de Courtois, auteur du « Génocide oublié : chrétiens d'Orient, les derniers araméens » (Ellipses). Face au danger, l'islam, comme l'anatolisme, racines mythologiques, reste le vieux fonds fédérateur. » De nos jours, encore ? « J'ai assisté, par hasard, il y a quelques années, dans le village de Kars, à l'est du pays, à la transformation d'une vieille église arménienne en mosquée, témoigne Sébastien de Courtois. J'ai vu des hommes creuser dans la pierre de cette oeuvre d'art du Ve siècle une niche en direction de La Mecque, puis badigeonner de peinture verte des fresques du XIIe siècle... »

Le médiatique « jardin des religions » du premier ministre Erdogan ne suffit pas pour l'heure à apaiser les inquiétudes
© le point 10/03/05 - N°1695 - Page 52 - 1305 mots
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