Le point de... Guy Carcassonne
Voile : loi ou pas loi ?
Faut-il légiférer ou non pour interdire le voile ? Si la question est amplement débattue, si les opinions tranchées sont rares, si les gens lucides et de bonne foi hésitent et s'interrogent, ce n'est pas seulement parce que le sujet est délicat, qu'il touche au respect des consciences, met en cause, en toute hypothèse, des libertés sacrées, c'est aussi, très prosaïquement, parce que les conséquences juridiques de l'option finalement retenue ne sont pas toujours concrètement cernées.
Ne pas légiférer, c'est continuer à s'appuyer sur l'avis rendu par le Conseil d'Etat le 27 novembre 1989. Celui-ci guide le comportement des autorités scolaires. Il présente le grand avantage de la souplesse, les établissements n'étant nullement contraints d'agir, mais ayant la possibilité de le faire, avec un fondement juridique connu, lorsqu'ils estiment que l'ostentation dépasse les limites tolérables.
Légiférer, c'est énoncer un interdit explicite, clarificateur, donc a priori rassurant, mais dont on ne peut feindre d'ignorer qu'il déplace le problème plus qu'il ne le règle. A moins d'imaginer qu'il soit appliqué avec rigueur et brutalité - ce qui n'est ni probable ni souhaitable -, il donnerait aux enseignants un instrument puissant, mais il ne leur livrerait pas en même temps le mode d'emploi pourtant indispensable pour qu'il soit utilisé avec le tact nécessaire.
L'évolution récente de la Cour européenne des droits de l'homme rend sans doute une législation possible (Le Point, n° 1599), mais, d'un côté, un collège d'Aubervilliers n'a pas eu besoin d'une loi pour exclure deux élèves coupables, à ses yeux, d'une provocation délibérée et, d'un autre côté, l'existence d'une loi ne devrait pas conduire à rendre systématique un conflit qui aujourd'hui n'est souvent que sporadique. Enfin, dans un cas comme dans l'autre, ce sont toujours les enseignants qui sont dans la pénible situation d'être en première ligne et c'est toujours au juge que revient le redoutable dernier mot.
En d'autres termes, si pédagogues et magistrats ont droit à ce que soit clarifiée la règle qu'il leur faut appliquer, il peut être illusoire de penser que cela apportera la solution. La difficulté, en effet, vient moins de l'énoncé du principe - que le Conseil d'Etat a formulé dans des termes auxquels une loi n'ajouterait pas grand-chose - que de la difficulté de sa mise en oeuvre quand on la veut humaine et raisonnée.
Est-ce à dire qu'une loi serait vaine parce qu'elle ne suffirait pas à tout régler ? Certes non. Le droit est coutumier du décalage entre la norme et son exécution. C'est dans sa nature même. Ce n'est pas une raison suffisante pour renoncer à fixer une règle claire. Il faut seulement être conscient que, enseignants, parents d'élèves, pouvoirs publics, nul, hélas, n'en serait quitte à si bon compte
© le point 17/10/03 - N°1622 - Page 49 - 461 mots