Les termes de ces échanges entre Nord et Afrique sont de loin défavorables à cette dernière, puisque depuis les années 80 et hormis quelques rares exceptions (comme le boom passager du cacao et du café en 1995-1996), les prix des matières premières (côtés essentiellement sur les marchés de Wall Street, Chicago et Londres), n'ont cessé de baiser plus rapidement que les prix des produits manufacturés du Nord. Il en résulte que l'Afrique se voit condamnée par des fluctuations extérieures à vendre des matières premières sans valeur ajoutée. Depuis 1980, la valeur du panier des produits exportés par l'Afrique a ainsi perdu la moitié de sa valeur face aux produits importés du Nord. Conséquence logique de cette réalité : la balance commerciale africaine connaît un déficit croissant. La situation est plus dramatique pour les pays de l'Afrique subsaharienne : leur déficit commercial, inexistant au début des années 80, passe de 600 millions de dollars en 1990 à 11, 5 milliards en 1996, soit presque vingt fois en six ans !
Les pays riches du Nord subventionnent quant à eux allègrement leurs produits d'exportation (essentiellement les produits agricoles). Sous l'effet de ce « dumping », les productions subventionnées du Nord envahissent les marchés africains au détriment des productions locales. Parallèlement, le nord fait preuve de protectionnisme à l'égard des produits du Sud. Par exemple les tarifs moyens imposés par le Nord sur les produits manufacturés importés du Sud restent quatre fois plus élevés que ceux sur les produits venant d'autres pays du Nord.
La conscience que l'on a prise un peu partout à travers le monde, de l'aggravation des inégalités entre pays développés et pays en voie de développement, du fait de la mondialisation, a redonné à l'impératif de développement une actualité et une urgence que lui avait fait perdre l'euphorie initiale née, au début des années 90, de la victoire et de l'universalisation du libéralisme. Tout un chacun est conscient (du moins on l'espère) , que cette exigence est devenue véritablement brûlante depuis les attentats du 11 septembre 2001, la guerre d'Afghanistan, la sinistre aggravationdu conflit israélo-palestinien,la complication de la Guerre en Irak et les attentats du 11 mars à Londres. Il a été reconnu partout que la fracture croissante entre riches et pauvres, sans être l'unique cause des agitations qui secouent le monde, en constitue l'un des facteurs les plus déterminants. Le président américain a déclaré à l'Assemblée de l'ONU le 14 septembre 2005, qu'il était prêt à ouvrir son pays aux produits des pays pauvres, mais seulement si les autres en faisaient pareil. Un appel lancé aux pays européens, mais qui montre que la prise de conscience est réelle même chez les plus sceptiques, et que la nécessité d'agir est forte et urgente.
Les tragédies dont nous sommes témoins et les graves menaces qui pèsent désormais sur notre humanité ont enfin conduit l'ensemble de la communauté internationale (et d'abord les pays occidentaux) à admettre que « les bonnes paroles et les discours rassurants ne suffisent plus », et que l'échec des politiques de développement menées depuis plus d'un demi siècle, a engendré des frustrations et des ressentiments qui explosent maintenant dans les manifestations d'agressivité de moins en moins contrôlables.
En fait les Européens et les américains commencent à prendre consciences de la vigueurs de principes simples qu'ils ont toujours ignoré : le profond respect de la liberté d'autrui, de la vie, de ses droits, le respect de la nature et de ses lois, le respect de la justice et les effets tardifs, mais certains des erreurs commises par le passé. Une prise de conscience croissante des concepts aussi « abstraits » (en apparence) que ceux de la « causalité et de l'effet boumerang », permet à certains de voir que la nature finit d'une manière ou d'une autre par riposter ; si ce n'est pas à travers la révolte des hommes accablés et dépassés par les évènements, ce sont les éléments de la nature qui se déchaînent anormalement pour régler quelques comptes avec ce nouvel ordre que les hommes puissants de leur intelligence, de leur pouvoir lui ont imposé. Beaucoup tant qu'ils n'ont pas été frappés pensent qu'ils peuvent user de leur pouvoir avec souveraineté, ce en oubliant qu'à moyen et long terme une action implique toujours une réaction. On peut s'attaquer à tout et se dire, que rien n'arrivera, détruire la nature, les hommes, les systèmes, ce sans remords ou remise en cause aucune.
Dans les cultures et traditions africaines comme orientales, il est connu que la nature a des droits qu'il ne faut pas heurter, même lorsque l'on en a la liberté, car dans sa dynamique autonome et silencieuse, elle répond toujours et sans faillir aux actions pausées à son endroit. Si ces actions sont positives, la réponse le sera encore plus, si, celles-ci sont négatives, la réponse sera foudroyante.
Le fait est que l'intelligence humaine étant limité (notre éducation est certes un facteur de développement, mais elle nous transmet l'ignorance et le regard corrompu de nos prédécesseurs, ce qui en soit limite notre potentiel et notre perception du réel), l'être humain dans la pleine possession de ses moyens et « pouvoirs » a tendance à ne pas croire en la logique d'une réactivité d'un système sur lequel il agit librement en permanence. Ceux qui sont un peu proche (en occident) de cette sagesse qui oblige à un minimum d'humilité et de mesure dans les actes posés sont peut-être les écologistes, car ils ont compris l'interdépendance entre les systèmes existants, du moins dans notre biosphère. Beaucoup de difficultés que les êtres humains en société rencontrent à un moment de leur existence ont souvent une origine bien lointaine et même des causes et une signification bien plus évidentes qu'ils ne peuvent l'imaginer. Les êtres humains, coincés dans leur orgueil et dans la défense des intérêts égoïstes matériels tardent généralement à voir la vérité et la simplicité de celle-ci. Parfois leur esprit est tellement embourbé dans des calculs froids que la cécité dont ils souffrent ne leur apparaît même pas, car leur ego est parfois le plus écouté.
Il faut toujours qu'un évènement leur tombe brutalement dessus, pour qu'ils aient souvent l'occasion de voir ce qu'ils regardent depuis longtemps sans jamais en prendre connaissance, ni conscience ; et généralement c'est trop tard pour revenir en arrière, car il est plus facile de détruire que de construire, et le temps on ne le remonte pas ; si d'ailleurs cela s'avérait possible, ce ne serait pas pour changer le passé.
La couche d'ozone, ce n'est pas pour demain sa reconstruction, les glaciers qui fondent ne vont faire qu'augmenter le niveau de la mer, et non l'inverse ; des espèces animales disparaissent chaque année, de par la faute de ceux qui ne respectent pas les lois de la nature ; le climat change, les hommes aussi, et juste parce qu'une minorité n'est pas en mesure de remettre en cause des choix opérés sans prendre en compte toute la spatialité des incidences causées par une petite décision prise pour satisfaire l'ego…Il faut parfois énormément de temps pour comprendre qu'avoir raison n'est qu'une vue de l'esprit, et que la vraie raison est dans la douce Sagesse et l'Amour.
Violemment heurtés par les évènements, poussés brutalement dans une remise en cause tardive, certains groupes en Europe et en Amérique commencent à faire pression sur les gouvernements et pôles de décisions. Depuis quelques années, et maintenant avec une conviction qui semble plus assurée, on déclare partout qu' « il est indispensable et urgent de repenser les rapports Nord-Sud » et d'instaurer des relations « d'un type nouveau » entre le pays développés et les pays en voie de développement. D'où une évolution des « notions fondamentales » sur lesquelles s'appuyaient ces rapports depuis des siècles. Au Nord on remet réellement en cause la notion de développement et celle de coopération. Pourtant le problème est bien plus profond, il est dans les habitudes, l'éducation, le regard que l'on pause sur autrui, et sur le temps, sur la responsabilité par rapport à son environnement immédiat, sur monde, et sur la manière dont chacun doit gérer sa parcelle de pouvoir sur le reste de la planète ; mais surtout la manière dont chacun va vivre les lois ignorées de la nature en fonction de la gestion de sa propre « liberté » et de son « indépendance ».
Tant que l'on continue à perdre/détruire en nous cette humanité/cet humanisme qui devrait nous « prévenir » sur la portée des choix et de leurs incidences, difficilement les rapport Nord-sud et Sud-Sud seront équilibrés. Le danger dans ces cas vient généralement de là où on l'attend le moins, et surtout de là où personne ne pourrait l'imaginer, car la causalité n'est pas géométrique, ni quantifiable, elle n'est non plus liée à des faits, à des phénomènes nécessairement mesurables, visibles ou perceptibles. Elle vit tout simplement et ignore toutes nos considérations humaines et « logiques », elle est une logique plus ferme, plus subtile, que celle de notre intelligence socialement acquise et développée, elle est difficilement saisissable, mais surtout elle est plus que tout ce dont nous avons le pouvoir d'imaginer, activement vivante et imperturbable : car elle ne se repose jamais et son énergie est celle de la nature, inépuisable.
Les réflexions ci-dessus exprimées ont un champ d'application extrêmement vaste et sont à intégrer profondément dans les relations internationales, si bien entendu repenser les rapports Nord-Sud a un sens pour tout le monde, du moins pour ceux qui ont du « pouvoir », aiment en user, et en abuser. Nous pouvons toujours avoir raison sur les autres, sur le reste, sur la nature et les pauvres (c'est facile !), et nous continuerons juste à couler sans jamais en prendre conscience ; le jour où un éclair d'inspiration nous montre la vraie réalité, il est trop tard. Il faudrait que l'on redéfinisse ce qu'est le bonheur pour commencer, ce qu'est la liberté, ce qu'est l'indépendance, ce qu'est la force, ce qu'est le pouvoir, ce qu'est la richesse, ce qu'est l'harmonie, ce qu'est la grandeur…
Au regard de la finance, tout devient marchandise : le vivant que l'on s'attache à breveter pour se l'approprier ; la culture, l'art, le spectacle qui, de finalités deviennent les instruments de l'appareil qui devrait les servir comme en témoigne notamment la pratique de l'audimat ; « la vie humaine appréciée à sa Life Time Value (LTV) » c'est-à-dire la capacité potentielle d'achat que (compte tenu de ses revenus, son apparence sociale, ses habitudes personnelles, son espérance de vie) une personne représente pour l'appareil commercial. A l'opposé d'une ouverture, c'est d'une « réduction universelle aux seules dimensions des choses marchandes » qu'il s'agit désormais.
Une économie mondiale déréglementée, et sous la coupe des firmes commerciales qui ne jurent que par l'argent, est par définition instable et en réalité, appauvrit l'humanité, d'après le Pr DAVID KORTEN. Il faut repenser la gouvernance nationale et mondiale, en axant sur le développement humain et l'équité. « Il peut être légitime d'obéir à un calcul rationnel lorsqu'on achète des actions en bourse, mais lorsqu'on fait de même pour régler des problèmes qui concernent les hommes, il est déraisonnable de se fier uniquement au calcul. Parce qu'on toujours affaire dans le social à des valeurs, de justice, de liberté etc. On ne peut plus se fier au calcul, puisque cela suppose que l'on ait éliminé les valeurs ou que l'on situe son action d'une valeur unique » déclare Serge Latouche. Le monde se portrait bien mieux si certains intégraient une logique aussi simple.
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Guy Parfait Songue
Politologue
jeudi 13 octobre 2005
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