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 Le développement agricole, un atout pour l’Afrique

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zapimax
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15062005
MessageLe développement agricole, un atout pour l’Afrique

Sécurité alimentaire et sauvegarde des sociétés rurales

Le développement agricole, un atout pour l’Afrique

Par Jacques Diouf
Directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Le philosophe grec Xénophon disait que « l’agriculture est la mère de tous les arts : lorsqu’elle est bien conduite, tous les autres arts prospèrent ; mais lorsqu’elle est négligée, tous les autres arts déclinent, sur terre comme sur mer ». Pour l’avoir négligé, le monde se trouve avec 852 millions de sous-alimentés, dont quelque 200 millions en Afrique.

Le problème de la faim persiste, non en raison d’un manque de nourriture – on produit assez pour nourrir tous les habitants de la planète –, mais parce que ceux qui en ont le plus besoin sont privés des moyens de produire ou d’acheter les vivres qui leur permettraient de s’alimenter et de préserver leur dignité.

En 1996, à Rome, les chefs d’Etat et de gouvernement de la planète se sont engagés à réduire de moitié, avant 2015, le nombre de personnes souffrant de la faim. Plusieurs pays en développement ont respecté cet engagement en lançant de vastes programmes nationaux. D’autres, hélas, n’ont pas progressé, et parfois la situation alimentaire s’est même dégradée.

On se heurte souvent à un mur d’indifférence lorsqu’on évoque les bienfaits économiques d’une éradication de la faim. Pourtant, son élimination n’est pas seulement un impératif d’ordre moral ou éthique, c’est aussi une nécessité économique. La sous-alimentation affaiblit les capacités physiques et cognitives, favorise la progression de nombreuses maladies et entraîne une forte baisse de la productivité. Selon une étude de la FAO portant sur 110 pays entre 1960 et 1990, le produit intérieur brut (PIB) annuel par habitant en Afrique subsaharienne aurait pu atteindre, s’il n’y avait pas eu de malnutrition, entre 1 000 et 3 500 dollars en 1990, alors qu’il n’a pas dépassé les 800 dollars. Tout être doué de raison devrait comprendre sans difficulté l’énorme avantage, pour les producteurs de biens et de services, de la transformation de 200 millions d’affamés en consommateurs avec un pouvoir d’achat effectif.

L’Afrique est le seul continent où la production agricole par habitant a baissé au cours des vingt-cinq dernières années. C’est aussi le continent où l’agriculture a énormément souffert de politiques erronées ou inadaptées, aussi bien durant la période coloniale que dans un passé plus récent. La priorité à l’industrialisation et à la monoculture de rente a déséquilibré et fragilisé l’agriculture. Mal ciblée, l’aide extérieure n’a pas produit les effets escomptés. D’autre part, rapportée à la population, elle a baissé, passant de 43 dollars par habitant en 1983 à 30 dollars à la fin des années 1990.

Sur les 53 pays africains, 43 disposent d’un faible revenu et connaissent un déficit alimentaire. Non seulement ils ne produisent pas assez pour nourrir leur population, mais ils n’ont pas les ressources suffisantes pour importer les aliments qui combleraient l’écart.

L’Afrique, où les moins de 15 ans représentent environ 45 % de la population, devra nourrir une population qui passera de 832 millions en 2002 à plus de 1,8 milliard en 2 050. Pour relever ce défi, il lui faudra accroître à la fois la production et la productivité agricoles. Actuellement, l’agriculture emploie 57 % de la population, assure 17 % du PIB et procure 11 % des recettes d’exportation. Elle pourrait devenir le moteur du développement économique et social si une partie plus importante des allocations budgétaires nationales lui était accordée. A cet égard, l’engagement pris par les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, lors du sommet de Maputo, au Mozambique, en juillet 2003, de doubler en cinq ans la part des budgets nationaux consacrés à l’agriculture et d’atteindre 10 % est très encourageant. Cette amélioration permettrait de créer la valeur ajoutée nécessaire à la croissance du PIB, avec des effets induits importants sur les secteurs secondaire et tertiaire.

Pour cela, la maîtrise de l’eau s’avère essentielle. En effet, les rendements de l’agriculture irriguée sont trois fois plus élevés que ceux de l’agriculture pluviale. Or l’Afrique n’utilise que 4 % de ses réserves d’eau disponibles avec une irrigation sur seulement 7 % des terres arables. Ce pourcentage tombe à 1,6 % en Afrique subsaharienne. En comparaison, il atteint 17 % en Asie, permettant d’irriguer 40 % des terres arables.

C’est dire l’urgence d’encourager la construction de puits, de petits canaux d’irrigation et de drainage, ainsi que des barrages simples au niveau des villages. L’objectif de la FAO est de doubler rapidement et à des coûts raisonnables, notamment par la mobilisation de la main-d’œuvre rurale, le pourcentage des terres irriguées, qui passerait de 7 % à 14 %. On éviterait ainsi les famines fréquentes dues à la sécheresse.

La maîtrise de l’eau est essentielle pour générer des revenus et des emplois stables pendant toute l’année. C’est pourquoi elle est une composante majeure du Programme spécial pour la sécurité alimentaire (PSSA) de la FAO, maintenant opérationnel dans 101 pays, dont 42 en Afrique. Au 1er novembre 2004, le montant total des financements mobilisés atteignait 766 millions de dollars, dont environ 67 % fournis par les budgets nationaux des pays en voie de développement. Ce programme permet, en outre, d’intensifier les cultures céréalières, horticoles et fruitières par l’introduction de variétés à haut rendement et de développer la petite production animale (avicole, ovine, caprine, porcine) ainsi que la pêche artisanale et l’aquaculture.

Par ailleurs, nul ne peut ignorer les attaques des ravageurs et les maladies qui déciment plantes et bétail. La FAO a donc lancé, en 1994, à l’échelle mondiale, ce que l’on appelle le Système de prévention et de réponse rapide contre les ravageurs et les maladies transfrontières des animaux et des plantes (EMPRES). L’objectif est de faciliter la détection, l’alerte précoce et la réponse rapide, ainsi que le renforcement des capacités nationales et l’organisation de réseaux de recherche pour disposer de méthodes de lutte plus efficaces et moins néfastes à l’environnement. Dans le domaine de la « protection des plantes », la priorité a été donnée à la lutte contre le criquet pèlerin.

Incontestablement, ce programme, opérationnel depuis 1997, s’est montré efficace dans la région centrale de l’aire de répartition du criquet pèlerin (le pourtour de la mer Rouge), grâce au financement continu des bailleurs de fonds. Mais il n’a jamais pu être totalement mis en œuvre dans la région occidentale faute de ressources suffisantes. La crise acridienne en Afrique de l’Ouest et du Nord-Ouest a pris des proportions dramatiques malgré les alertes émises par la FAO dès octobre 2003. Les pluies, qui constituent le facteur primordial dans la bio-écologie du criquet pèlerin, ont été abondantes, créant ainsi des conditions favorables à une bonne reproduction sur de très vastes zones. La situation s’est particulièrement dégradée en juillet-août 2004, du fait des réactions tardives des bailleurs de fonds et des organismes d’aide multilatérale. En effet, la lutte contre le criquet pèlerin repose sur une responsabilité collective des pays concernés et de la communauté internationale.

De plus, si la priorité demeure de permettre aux pays africains d’atteindre l’autosuffisance alimentaire et d’être en mesure d’éradiquer la faim, ces pays ne peuvent rester en dehors du commerce mondial. Ils doivent donc se conformer aux normes de qualité et de sécurité sanitaire des aliments pour avoir accès aux marchés internationaux. Et l’assistance de la FAO porte notamment sur les aspects législatifs et réglementaires, le renforcement des institutions, la formation et l’équipement scientifiques.

Enfin, et ce n’est pas le moindre défi, des infrastructures rurales (routes, moyens de stockage et de conditionnement, marchés, etc.) doivent être construites pour permettre aux agriculteurs de disposer des matières premières modernes et de commercialiser leurs produits à des coûts compétitifs. Le plan Marshall a contribué à reconstituer les infrastructures en Europe, et les aides régionales de l’Union européenne se fixent officiellement pour objectif de rattraper le retard des nouveaux membres dans ce domaine. Pourquoi les pays africains devraient-ils se développer sans ports, aéroports, routes, chemins de fer et énergie électrique ?

Il faut également remarquer que les famines résultent surtout des sécheresses et des conflits. Les troubles armés qui ont ravagé les pays d’Afrique subsaharienne entre 1970 et 1997 (date de la dernière étude) ont entraîné des pertes de production agricole de l’ordre de 52 milliards de dollars, soit l’équivalent de 75 % de toute l’aide au développement officielle reçue au cours de la même période.

Bien sûr, l’Afrique souffre de nombreux handicaps : sa part dans les échanges mondiaux ne dépasse pas 2 %, notamment à cause des difficultés d’accès des produits agricoles africains aux marchés des pays développés ; sa croissance démographique va plus vite que sa croissance économique ; le poids de l’endettement public extérieur demeure trop lourd ; les problèmes de santé sont immenses, avec en particulier le paludisme, les maladies diarrhéiques et l’épidémie de sida. Toutefois, l’Afrique dispose d’immenses atouts, parmi lesquels ses ressources naturelles et un marché intérieur qui va atteindre 2 milliards de personnes.

L’Europe et l’Amérique, dans la première moitié du siècle passé, ont été impliquées dans deux guerres mondiales dévastatrices. Ensuite, les conflits ont été transposés en Asie, avec la Corée, l’Indochine et l’Indonésie notamment. Puis les guerres civiles ont provoqué des ravages terribles dans les rangs des populations d’Amérique centrale et du Sud.

Actuellement, avec à peine cinquante années de souveraineté internationale, l’Afrique traverse les crises de jeunesse liées à la construction des Etats et la consolidation de nations soumises aux forces centrifuges des différences ethniques et des appétits financiers internationaux. Pour autant, on ne peut ignorer sa jeunesse avide de savoir et d’éducation, ses paysans et ouvriers laborieux, et ses émigrés qui travaillent avec acharnement pour améliorer les conditions de vie de leur famille restée au pays.

C’est cette Afrique-là qui est le fondement de notre optimisme et de notre espoir.
Jacques Diouf.


lire : Pour mettre fin à la faim
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