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 Les leçons de la crise asiatique I

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Tite Prout
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Tite Prout


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16042006
MessageLes leçons de la crise asiatique I

Les leçons de la crise asiatique





L'objectivité impose de confesser dès l'abord que la crise asiatique n'a été prévue par personne. Ceci réduit d'emblée la portée des explications traditionnelles, liées à la politique macro-économique de ces pays ou aux effets de la mondialisation. Tous les indices disponibles incitent à penser que les racines de la crise asiatique doivent être recherchées dans le modèle asiatique lui-même, plus particulièrement dans la rupture imprévue de l'équilibre entre le marché et l'Etat sur lequel reposait la réussite ce modèle. Mais, si ce facteur explique bien le déclenchement de la crise, il ne permet pas cependant de rendre compte de l'ampleur prise par celle-ci. Sur ce point, des arguments nombreux et convergents conduisent à s'interroger sur la cohérence de l'intervention de la communauté internationale. Finalement, la crise asiatique fait ressortir à la fois les limites intrinsèques de l'interventionnisme économique et le besoin d'une coopération financière internationale plus étroite.



Une crise imprévisible



La première leçon que l'on peut tirer de la crise asiatique a trait à l'étendue de notre ignorance sur l'économie des crises. Non seulement la crise asiatique n'a pas été prévue, mais, en outre, en dépit des instruments d'analyse développés depuis deux ans, nous aurions toujours des difficultés à la prévoir aujourd'hui.

La crise a officiellement débuté, le 2 juillet 1997, avec la décision des autorités thaïlandaises de laisser flotter le baht qui a entraîné dans sa chute la roupie indonésienne, le ringitt malais et le peso philippin. A l'automne, la crise s'est étendue à la Corée, Taïwan, Singapour et Hong Kong. La situation financière des banques et des entreprises locales, qui étaient fortement endettées à court terme en dollars et en yens (1), s'est déteriorée rapidement. L'insolvabilité d'un grand nombre d'entre elles ainsi que la fuite des capitaux ont entraîné un collapsus du crédit et de l'activité économique entre la fin de l'année 1997 et le début de l'année 1998, empêchant les pays concernés d'exploiter les avantages de compétitivité procurés par la dépréciation de leur monnaie.
Au point bas de la crise, c'est-à-dire au cours du premier semestre de l'année 1998, la dépréciation de la monnaie par rapport au dollar a atteint près de 75 % en Indonésie et 35 % en Thaïlande, Malaisie, et Philippines. La chute des cours boursiers a été de l'ordre de 50 % en Corée, 45 % en Malaisie et en Indonésie, et 30 % en Thaïlande, aux Philippines, à Hong Kong et à Singapour. Le recul de l'activité a atteint 20 % en Indonésie, 15-20 % en Thaïlande, 10-15 % en Malaisie, en Corée et à Hong Kong, et 0-5 % aux Philippines. Une comparaison avec les crises précédentes montre que la dépréciation du change a été équivalente mais que le recul de l'activité et l'ajustement des paiements courants ont été plus violents.

Si tout le monde devise aujourd'hui sur les faiblesses du modèle asiatique, il faut rappeler que, avant la crise, les experts ne parlaient que du "miracle asiatique", comme le titrait un rapport de la Banque mondiale publié en 1993. Les uns louaient les vertus asiatiques de travail et d'épargne, à l'encontre des comportements indisciplinés et revendicatifs imputés aux économies de l'Europe du Sud et de l'Amérique latine. Les autres, à l'encontre du libéralisme ambiant, vantaient les bienfaits de l'interventionnisme asiatique. Lors de la crise mexicaine de 1995, l'Asie du Sud-Est a été souvent présentée à l'Amérique latine comme l'exemple à suivre.

Certes, quelques voix sceptiques s'étaient élevées pour mettre en garde contre une vision trop idyllique du modèle asiatique. Dans la première moitié des années 90, deux économistes américains réputés (2) s'étaient inquiétés de l'insuffisante efficacité du capital en Asie et d'un modèle de croissance fondé sur une accumulation excessive de capital. Le 24 août 1996, le très sérieux Economist avait consacré un article à l'assombrissement des perspectives économiques en Asie et traçait un parallèle avec la situation du Mexique à la veille de la crise de 1995. Dans la seconde moitié de l'année 1996, le Fonds monétaire international (FMI) se serait aussi inquiété de la dégradation de la situation financière thaïlandaise. Les économies asiatiques avaient d'ailleurs connu en 1996 un ralentissement de la croissance que l'on avait imputé alors à l'appréciation de leur monnaie, liée au dollar, ainsi qu'à la contraction de la demande et des prix dans le secteur des semi-conducteurs.

Pour autant, ces voix sont restées marginales puisque, dans ses prévisions rendues publiques en mai 1997, le FMI ne prévoyait d'infléxion de la croissance dans aucune des économies emergentes d'Asie. Le même rapport citait la stratégie asiatique en exemple : "Les pays qui acceptent la mondialisation et qui mettent en oeuvre les réformes nécessaires pour cela, en libéralisant leurs marchés et en poursuivant des politiques macro-économiques rigoureuses, peuvent espérer converger avec les économies développées, comme le montre la réussite des nouvelles économies industrialisées d'Asie." De la même façon, l'OCDE, dans ses prévisions publiées en juin 1997, annonçait une poursuite de la croissance en Asie. Elle s'inquiétait toutefois des risques de ralentissement qui pourraient résulter d'une poursuite de la baisse des cours boursiers et des prix immobiliers en Thaïlande, Malaisie et aux Philippines.

Ces prévisions ne résultaient pas d'un aveuglement coupable mais du fait que, sur la base des connaissances économiques actuelles, il n'était pas possible d'anticiper la crise. Aujourd'hui encore, les modèles économétriques estimés à partir des données sur les crises passées ne font apparaître aucun risque sérieux à l'époque en Asie (3). Sur douze indicateurs avancés des crises de change, trois signalaient un léger risque en Corée, Malaisie et Thaïlande en 1997, et deux en Indonésie et aux Philippines. Il s'agit essentiellement de la croissance du crédit, et, surtout, de la surévaluation du change (4). De fait, au moment du déclenchement de la crise, les monnaies asiatiques qui étaient rattachées au dollar s'étaient fortement appréciées depuis vingt-quatre mois. Pour autant, elles ne semblent pas avoir été significativement surévaluées : leur taux de change réel ne présentait pas d'écart très important par rapport à la moyenne des dix années précédentes. (5) Jusqu'en juillet 1997, l'institut Euromoney ne mentionnait pas de risque-pays particulier dans la zone. De leur côté, les agences privées de rating, comme Standard and Poor et Moody, ont conservé jusqu'en décembre 1997 un bon crédit à la dette de ces pays (6).



Une crise atypique



La crise asiatique présente aussi la particularité d'avoir résisté à la thérapie traditionnelle du FMI.
Le soutien apporté par le Fonds était conditionné à la mise en oeuvre, par les autorités nationales concernées, de programmes qui comportaient quatre composantes principales destinées à rétablir la confiance des marchés : un resserrement de la politique budgétaire, une hausse des taux d'intérêt, la fermeture des banques et institutions financières insolvables (7), et le renforcement de la régulation prudentielle des banques. Les deux premières mesures font partie de l'arsenal classique utilisé pour stabiliser les changes dans un pays qui connaît une crise de balance des paiements. Elles visent à rétablir la confiance en réduisant le besoin de financement extérieur et en améliorant la rémunération des investisseurs. Les deux autres mesures sont destinées à traiter les crises bancaires. Elles visent à empêcher que des institutions financières en grande difficulté ne se lancent dans des opérations à très haut risque, dans l'espoir d'une rémunération élevée, quoique incertaine, qui prolongerait leur survie. Ces mesures, qui avaient fait leurs preuves lors de la crise de la dette au cours des années 1980 et lors de la crise mexicaine en 1994-95, n'ont pas eu les effets attendus puisqu'elles ont été suivies d'un mouvement de panique financière.
Depuis le début de l'année 1999, on observe au sein de la zone un rebond qui demeure certes fragile mais qui a, lui aussi, surpris les experts par sa vigueur. Par rapport au point bas de 1998, le rebond de l'activité a atteint près de 10 % en Corée, 7 % à Singapour, 4 % en Malaisie, 2 % en Indonésie et 1 % en Thaïlande. Les prévisions de croissance pour la zone, bien qu'encore faibles, voire négatives, sont systématiquement revues à la hausse. Cette reprise est liée à l'arrêt du déstockage ainsi qu'au desserrement progressif du crédit, qui permet d'exploiter les gains de compétitivité procurés par les dévaluations et de donner aux exportations le dynamisme qu'elles auraient dû connaître depuis plus d'un an en l'absence de crise financière. Avec la reprise, les capitaux internationaux reprennent le chemin de l'Asie. Le mouvement est assez général. Il profite même aux pays, comme la Malaisie et l'Indonésie, dont le consensus pensait qu'ils auraient de grandes difficultés à sortir de la crise, le premier en raison du contrôle des mouvements de capitaux qu'il a mis en place au plus fort de la crise, le second en raison de la timidité des réformes structurelles qu'il a mises en oeuvre.





La mondialisation n'est pas coupable



Et c'est clairement la deuxième solution que l'on peut tirer de la crise asiatique. L'ouverture aux échanges commerciaux internationaux et aux investissements étrangers n'a joué aucun rôle significatif dans le déclenchement de cette crise.

A la suite de l'échec des politiques protectionnistes, qui visaient à substituer la production locale aux importations dans les années 50 à 70, les économies en développement se sont progressivement tournées vers des politiques de croissance fondées sur l'ouverture aux échanges internationaux. On a souvent imputé le succès de ces politiques au soutien qu'elles ont apporté aux exportations. Ceci est vraisemblablement excessif. D'une part, le boom des exportations asiatiques n'est pas corrélé à une modification substantielle des aides à l'exportation. D'autre part, l'observation empirique ne permet pas de confirmer l'existence d'externalités significatives des exportations sur la productivité, l'investissement et la croissance (Cool. Les véritables bénéfices de l'ouverture sont à rechercher dans le jeu des avantages comparatifs qui conduit à optimiser l'usage des facteurs de production en se spécialisant dans les activités pour lesquelles on dispose d'un avantage relatif et en important les biens et services qui ne pourraient être produits localement qu'à un coût plus élevé. Ces bénéfices transitent principalement par le biais des importations en provenance des pays industrialisés, dont les prix sont inférieurs à ceux des produits locaux et dont le contenu technologique est plus élevé. Les exportations servent, en revanche, à fournir les devises nécessaires à l'acquisition de ces importations.

Les économies émergentes d'Asie, notamment la Corée et Taiwan, ont été les premières à adopter ce modèle de croissance dès le début des années soixante. Elles ont sensiblement abaissé le niveau de leurs barrières tarifaires (9). Avec succès puisque le taux d'ouverture se situe aujourd'hui entre 25 % (pour l'Indonésie) et 80 % (pour la Malaisie), et que le niveau de vie s'est amélioré dans des proportions remarquables. Entre 1975 et 1995, le taux de pauvreté a chuté de 60 à 20 % ; entre 1966 et 1996, le revenu par tête a augmenté au rythme annuel de 7,5 % en Corée, de 5 % en Thaïlande, et de 4,5 % en Indonésie et en Malaisie.

Certains analystes n'ont pas manqué d'imputer la responsabilité de la crise asiatique à cette politique d'ouverture commerciale. L'ouverture crée en effet un lien de dépendance, qui tient au fait que les exportations ne peuvent se développer que si elles s'insèrent dans une division internationale du travail maîtrisée essentiellement par les économies développées. Cette dépendance comporte le risque d'une spécialisation excessive dans des secteurs technologiquement moins dynamiques, où les économies émergentes possèdent en général un avantage comparatif initial. Elle constitue, de ce fait, une source de vulnérabilité pour ces économies qui ne peuvent maîtriser qu'une gamme réduite de compétences et qui ont donc une capacité limitée à s'adapter aux modifications de la division internationale du travail.

Toutefois, cette vulnérabilité ne semble pas avoir joué de rôle particulier dans le déclenchement de la crise asiatique. Certes, les économies émergentes d'Asie donnaient des signes d'essoufflement, comme nous l'avons vu. L'accélération de la hausse des salaires, l'insertion plus rapide que prévue de la Chine dans les échanges internationaux, la situation dégradée dans le secteur des semi-conducteurs et l'approfondissement de la crise au Japon imposaient certainement des adaptations, notamment une montée en gamme dans la spécialisation de ces pays. Mais, pour cette transition, l'Asie possédait des atouts majeurs, notamment un bon niveau d'éducation de base, un taux d'épargne toujours élevé et des politiques budgétaires prudentes. Tout au plus s'agissait-il d'une question de temps. Un ralentissement de la croissance était probablement inévitable mais pas une crise.
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