LES LECONS D’UNE OFFRE PUBLIQUE D’ACHAT (OPA) EN COURS : MITTAL STEEL contre ARCELOR
Par Ibou, jeudi 2 février 2006 à 20:30 :: Général :: #779 :: rss
Dans mon post précédent, publié le 31 janvier et relatif aux émeutes, j’ai pris du champ avec l’actualité. Avec celui-ci, c’est une actu brûlante et dont on ignore encore à ce jour l’épisode, qui m’inspire un certain nombre de réflexions.
C’est adolescent que je me suis pris de passion pour ces fameuses opérations financières, qui opposent régulièrement les entreprises géantes du monde capitaliste (selon une expression aujourd’hui bien désuète puisqu’on parle désormais d’économie de marché et de libéralisme ; à chaque temps, son vocabulaire donc). Les OPA qui m’ont marqué : la longue guerre de tranchée qui à opposé Bernard ARNAULT, aujourd’hui patron et fondateur du groupe Louis Vuitton Moët Hennessy (LVMH), aujourd’hui première fortune professionnelle de France et membre du gotha français des affaires et de l’establishment, à Henri RACAMIER alors patron de Louis Vuitton. Marque devenue 20 ans plus tard un des fleurons de LVMH.
Il y eut aussi une tentative célèbre d’OPA avortée de la BNP dont la cible était la SOCIETE GENERALE, sa rivale sur le marché bancaire français. Faute de croquer la SG, la BNP se consola avec un morceau plus digeste, PARIBAS d’où l’émergence du géant français de la banque BNP PARIBAS qui pourrait se faire croquer par un de ces conglomérats financiers, qui rayonnent sur la planète entière comme Hong Kong and Shangai Bank Corporation (HSBC ; lequel a d’ailleurs absorbé « amicalement » le CCF français) On se rappelle aussi une OPA qui fit couler beaucoup d’encre de la part du condottiere italien des affaires, Carlo de Carlo de Benedetti , contre la SOCIETE GENERALE DE BELGIQUE . Il y eut l’OPA réussie de TOTAL sur ELF et plus récemment, celle de SANOFI SYNTHELABO sur AVENTIS…
Toutes ces opérations, souvent inamicales ont généré leur lot de psychodrames, déclarations à l’emporte pièce, noms d’oiseau jusqu’à ce que l’un finisse par croquer l’autre, que les patrons remerciés s’en aillent avec leur « golden parachute » et retraites confortables ; les cadres dirigeants et autres « vaincus » se voyant souvent remerciés avec moins de ménagements pour cause de doublons et de réduction de coûts (cette « vache sacrée » du libéralisme moderne justifiant souvent les OPA à côté des raisons de nécessité d’atteindre une masse critique nécessaire pour se battre sur les marchés mondiaux) ; les salariés de base connaissant des sorts divers dans ce genre d’opérations qui peuvent se faire pour le meilleur, le statu quo, comme pour le pire (l’absorption du fleuron français de l’aluminium PECHINEY par son rival canadien ALCAN, a laissé bien des blessures dans bien des cœurs en France… ).
Une des constantes de ces opérations, c’est aussi l’irruption du politique dans des jeux qui sont pourtant censés être purement économiques, au nom d’enjeux aussi flamboyants que flous tels le patriotisme économique inventé pendant l’été en France, lorsque des rumeurs à l’origine ambigüe, on parlé d’une OPA de PEPSICO sur DANONE. Pure hypocrisie et rodomontades destinées à calmer le salarié électeur et le citoyen en adoptant des postures défensives qui n’ont aucune base solide.
La bataille en cours entre MITTAL STEEL (géant de droit privé néerlandais de la sidérurgie, aux implantations majoritairement en Asie, Europe de l’Est, Afrique, Amérique du Sud et autres pays émergents, contrôlé majoritairement par une famille Hindoue installée à Londres !!!) et ARCELOR (groupe franco luxembourgeois dont le siège est situé justement dans le grand duché ; issu il y a quelques années du rapprochement entre des groupes sidérurgiques français, espagnol et luxembourgeois sur les décombres encore fumantes des douloureuses transformations subies par cette industrie sur le vieux continent à partir des années 70) est exemplaire dans ce qu’elle révèle de constats :
La posture grandiloquente et incohérente des politiques : quand on entend Thierry BRETON notre ministre des finances s’indigner du fait que MITTAL n’ait pas pris langue avec ARCELOR pour parler de ses projets, on hallucine ; cela ne manque pas de sel venant de la bouche d’un ex PDG de multinationales qui sait bien que la règle de base d’une OPA inamicale réussie, c’est le secret absolu sur l’opération jusqu’à son lancement. Les cris d’orfraie des politiques sont encore plus risibles quand les mêmes, toutes sensibilités confondues, privatisent à tout vent, ont défait les fameux « noyaux durs » mis en place par Balladur dans les fleurons du capitalisme français, justement pour les mettre à l’abri de raids hostiles.
Enfin, on voit les limites des principes et valeurs (économie de marché et libéralisme, démocratie) dont se gaussent nos sociétés quand elles considèrent à tort ou à raison, objectivement ou démagogiquement (toujours la fameux électeur à caresser dans le sens du poil quand on ne le considère pas comme un débile mental peu au fait des subtilités des « grands de ce monde ») que des intérêts vitaux sont en jeu ; du moins, ceux de certaines catégories sociales. En effet, rappelons que ce sont des ardents partisans de l’économie de marché qui sont au pouvoir en France (même si le libéralisme à la française est plein de nuances et de non dits) ; rappelons aussi que c’est un gouvernement et des élus américains qu’on peut difficilement taxer d’être contre le marché, qui se sont vigoureusement opposés, il y a quelques semaines, à la prise de contrôle d’une compagnie pétrolière yankee, par une homologue…chinoise !!! On reviendra sur la nationalité du prédateur qui peut poser visiblement divers problèmes, par ces temps-ci. Bref, MITTAL STEEL ne fait que jouer le jeu du capitalisme mondialisé et c’est à peine si cette entreprise et son patron ne sont pas en train de se faire traiter de voyous.
Les mille et une contradictions de nos sociétés : une belle expression française, légèrement encanaillée, dit qu’ « on ne peut pas vouloir le beurre, l’argent du beurre et cul de la fermière » ; elle résume parfaitement la situation et apparaissent largement dans le passage précédent relatif à la posture des politiques qui reflètent jusqu’à la caricature, les contradictions de notre société. Plus précisément, on ne peut pas durablement et raisonnablement opter par exemple pour le système de retraites par répartition (schématiquement, les actifs cotisent pour les retraités ; système qui marche bien tant qu’il y a suffisamment d’actifs et que la démographie suit ; tout se corse quand on évolue vers des sociétés vieillissantes où le nombre d’inactifs tend à croître naturellement, de façon vertigineuse) en refusant le système par capitalisation (les cotisations retraites des actifs sont confiées à d’immenses fonds de pension qui investissent les énormes sommes ainsi collectées, sur les marchés ; notamment sur les marchés actions) qui permet d’injecter des sommes conséquentes dans les entreprises nationales et d’ailleurs ; la conséquence, c’est qu’une proportion considérable des entreprises du CAC 40 (indice de la bourse de Paris qui regroupe les 40 plus puissantes entreprises de la cote) est contrôlée par des capitaux étrangers.
Parallèlement, de gauche comme de droite, pour de bonnes ou mauvaises raisons, la tendance est plutôt à la privatisation des grandes entreprises du pays.
De même ne peut-on pas défendre, promouvoir le libre jeu du marché, et s’immiscer dans ce marché, quand il fonctionne « normalement » via une opération banale et hyper encadrée telle une OPA. On pourrait citer mille autres exemples du genre qui illustrent bien la mauvaise foi et l’hypocrisie qui guident largement le fonctionnement du monde des humains.
Une OPA, c’est aussi une opération de communication « virile » et fortement orientée « séduction » : les propos de Thierry BRETON ministre français des finances, de Guy DOLLE, PDG d’ARCELOR, entreprise cible de l’OPA de MITTAL STEEL (dans une conférence de presse, lundi 30 janvier, il ironisait sur la présence aux côtés de Lakshmi MITTAL (PDG de MITTAL STEEL), de son directeur financier de 29 ans, en l’occurrence son fils. Et d’évoquer aussi une « incompatibilité de cultures » entre MITTAL STEEL (présenté comme un agglomérat de sociétés de diverses tailles aux performances inégales ; qui s’est développé en payant ses proies en « monnaie de singe » et dont les produits sont bas de gamme) et ARCELOR présenté comme un « AIRBUS de l’acier » qui produit des aciers de grande qualité… On ne saurait être plus clair et des propos aussi « virils » et « assassins » ont déjà été tenus à l’occasion d’autres OPA mémorables (TOTAL sur ELF, SANOFI sur AVENTIS, tentative de la BNP de prendre le contrôle de la SOCIETE GENERALE) avant que les patrons aussitôt débarqués des cibles atteintes d’OPA ne « ferment leur gueule » en négociant des retraites en or massif et leur silence définitif ; Philippe JAFFRE, ex- PDG bien cassant et hautain d’ELF AQUITAINE, l’ex patron d’AVENTIS absorbé par SANOFI, se sont retirés avec des sommes conséquentes et on n’en entend même plus parler ; le premier se serait même installé dans un autre pays pour des raisons fiscales. Comme quoi, dans ce genre d’affaire, seul le vainqueur a le dernier mot et le temps de la bataille, l’objectif prioritaire est de convaincre ses actionnaires de ne pas se laisser tenter par l’offre « alléchante » du prédateur en lui apportant ses titres.
Sam 3 Juin - 16:26 par mihou