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 Les leçons de la crise asiatique III

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Tite Prout
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Tite Prout


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Date d'inscription : 01/06/2005

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16042006
MessageLes leçons de la crise asiatique III

La crise de la coopération internationale



Le Fonds a lui-même une responsabilité majeure dans l'ampleur prise par la crise. Mais, en arrière-plan du FMI, c'est la paralysie du G7 et de la coopération internationale qui est en cause.

Il ne s'agit pas ici de s'étendre sur l'enthousiasme du FMI et de la Banque mondiale pour le modèle asiatique, encore que l'on puisse se demander si cet enthousiasme n'a pas incité les investisseurs à prendre des risques excessifs en Asie, en partant de l'hypothèse que des pays aussi exemplaires ne pouvaient que bénéficier d'un soutien rapide et généreux de la communauté internationale en cas de crise. Des investissements réalisés en fonction des satisfecits macro-économiques distribués par les organisations internationales n'auraient guère été plus heureux que ceux qui ont été effectués en fonction des critères du marché ! Et pour cause : les connaissances des marchés sur la mécanique des crises ne sont guère différentes de celles du FMI ou de la Banque mondiale.
L'ampleur de la crise a été tout aussi surprenante que la crise elle-même, surtout quand on la compare à celle de la crise mexicaine de 1995. L'environnement international peut l'expliquer partiellement : durant la crise, les économies émergentes d'Asie ont été confrontées à une brutale aggravation de la crise japonaise quand l'économie mexicaine a bénéficié de l'envolée de l'économie américaine. Cependant le facteur n'est pas suffisant pour expliquer la brutale panique qui a saisi les investisseurs. De nombreux arguments incitent à penser que les conditions de l'intervention du FMI portent une responsabilité dans le déclenchement de ce mouvement de panique. Comme on l'a vu, le Fonds a traité la crise, tout au moins dans sa phase initiale, comme une crise traditionnelle de balance des paiements. Il a conditionné son soutien à la Thaïlande, l'Indonésie et la Corée à la mise en oeuvre de programmes d'austérité dans ces pays. Mais ces programmes, loin de rassurer, ont miné la confiance des investisseurs et accéléré la chute de la monnaie. Les économies asiatiques étant fortement endettées en devises, il en est résulté un collapsus du crédit et une panique financière.

De fait, vu les circonstances, le cocktail de mesures imposé par le FMI semble avoir été particulièrement inadapté. Le resserement de la politique budgétaire, alors que les finances publiques étaient en excédent, a pesé sur la demande interne et sur les perspectives de rentabilité des entreprises. La hausse des taux d'intérêt, dans un contexte de grande fragilité des institutions financières, a détérioré les bilans bancaires et provoqué de nombreuses faillites. Quant à la fermeture brutale des banques insolvables, en l'absence d'assurance sur les dépôts et de mesures de consolidations financières des autres banques, elle a lourdement pesé sur les bilans des banques en bonne santé et miné la confiance des déposants. En faisant planer une menace d'insolvabilité générale sur les économies concernées, ces mesures ne pouvaient qu'inciter les investisseurs internationaux à retirer brutalement leurs capitaux et précipiter un mouvement de panique financière (17). Seule une injection massive et rapide de liquidité par le FMI aurait pu éviter que le crise de liquidité ne se transforme en crise de solvabilité. Etant donné la crise de confiance à laquelle les monnaies asiatiques étaient confrontées, il n'était pas injustifié de tarir temporairement les sources domestiques de la liquidité, comme l'a fait le Fonds en imposant des mesures d'austérité. Mais ceci n'avait de sens que si le Fonds avait substitué immédiatement à la liquidité domestique une quantité suffisante de liquidité internationale, supposée de meilleure qualité. Ce qui n'a pas été le cas.

On peut être étonné du fait que le cocktail de mesures du Fonds monétaire ait été à l'opposé des mesures mises en oeuvre par les grands pays industrialisés lors des récentes crises bancaires qu'ils ont connues, sans parler de la réaction de la Federal Reserve à la faillite de LTCM à l'automne dernier. Dans tous les cas, les autorités ont bien procédé à la liquidation des institutions financières insolvables, mais elles ont en même temps injecté rapidement et massivement des liquidités, par le biais de la politique monétaire et de la politique budgétaire. La pertinence de cette réaction ne fait guère l'objet de contestation parmi les experts. Dans ces conditions, pourquoi le FMI a-t-il eu une approche différente du problème en Asie et a-t-il traité une crise bancaire comme une crise de balance des paiements ? Surtout, pourquoi n'a-t-il pas injecté immédiatement une quantité suffisante de liquidité internationale dans les économies concernées, en contrepartie de la mise en oeuvre des mesures d'austérité qu'il demandait ? Etant donné les compétences économiques et financières dont dispose le Fonds, il est difficile d'incriminer une quelconque ignorance.

L'explication se trouve ailleurs : en réalité, le Fonds n'avait pas de mandat du G7 pour jouer un rôle de prêteur en dernier ressort. Pourquoi le G7 ne le lui avait-il pas donné ? La raison en est imputable à la paralysie du G7 dont les membres étaient, depuis la fin des années 80, préoccupés principalement par des questions domestiques (réunification allemande et union monétaire en Europe, dollar aux Etats-Unis, gestion de la crise au Japon) aux dépens de leurs responsabilités internationales en tant que grandes puissances économiques. Aussi, en dehors d'épisodes spécifiques, comme la crise mexicaine, où l'un de ses membres a su imposer, à la hussarde, un point de vue nouveau conforme à ses intérêts, le G7 n'a plus été en mesure de faire évoluer la doctrine d'intervention de la communauté internationale. Cette paralysie a été aggravée par l'incapacité du G7 à retrouver une légitimité aux yeux des pays émergents (18). Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi le FMI, confronté à l'urgence, a abordé la crise asiatique avec les instruments qui ont été mis au point pour le traitement de la crise de la dette au début des années 80 et dont il savait qu'ils faisaient l'objet d'un consensus "mou" au sein du G7. Ce n'est que très tardivement, au contact des dures réalités de la crise, que la doctrine du G7 et du FMI s'est ajustée, à l'occasion du traitement de la dette coréenne en début d'année 1998. (19)

Le déclin du rôle de l'Etat



La crise asiatique est donc en même temps le produit d'une crise de l'intervention publique en économie mixte et d'une crise de la coopération internationale. Il nous semble qu'on peut en tirer des leçons importantes sur le rôle économique de l'Etat et sur la place de la coopération internationale dans la gestion des crises. Certains pourraient penser que ces leçons se limitent aux économies émergentes. Nous pensons qu'elles ont une validité plus large et qu'elles s'appliquent aussi bien aux économies développées qui possèdent encore un secteur public important. Les problèmes qui se posent dans les deux cas de figure ne sont pas sans similitudes. Il est, à cet égard, significatif qu'en France les "grands commis de l'Etat" aient été fascinés par le "colbertisme" coréen et japonais, et qu'ils y aient vu, jusqu'à une date récente, l'illustration du rôle moteur que peut jouer l'Etat dans l'économie.

L'expérience asiatique montre que l'Etat peut avoir un rôle décisif dans le décollage des économies en développement. Grâce à l'intervention de l'Etat, des ressources importantes peuvent être mobilisées pour réaliser un effort d'investissement sur vaste échelle (un "pari sur structure neuve" selon l'expression de François Perroux), qui permet à l'économie de franchir un seuil à partir duquel il devient profitable pour les entreprises privées d'investir, sachant que, dans ces économies, il est rarement rentable d'investir isolément. Ce problème de coordination insuffisante dans les pays en développement peut s'analyser comme une défaillance du marché justifiant l'intervention de l'Etat (20). Il faut cependant noter que deux facteurs spécifiques ont contribué au succès de l'expérience asiatique ; d'une part, la relative homogénéité ethnique et sociale de la société, tout au moins en Corée, à Taiwan et en Thaïlande ; d'autre part, la préexistence d'une véritable tradition étatique et administrative, sauf en Indonésie. Il est clair que dans les pays où l'Etat est dès l'abord totalement corrompu, il n'y a aucune chance que celui-ci puisse jouer un rôle positif dans le développement.

Mais l'expérience asiatique montre aussi que l'efficacité des interventions de l'Etat a tendance à diminuer avec le développement socio-économique, voire, tout simplement, avec le temps. Cette obsolescence de l'intervention de l'Etat est imputable à trois facteurs principaux qui ont tous trois été à l'oeuvre dans les économies émergentes d'Asie (21) :

* La capture des pouvoirs publics. Ce n'est pas un facteur accidentel mais substantiel, en ce sens qu'il est intrinsèque à l'intervention publique. L'existence, comme en Asie, de dispositifs publics garantissant un niveau minimum de rentabilité à certains projets constitue un enjeu majeur pour les groupes d'intérêts privés. Au départ, l'Etat est bien en mesure d'imposer ses priorités aux industriels. Mais, avec le temps, leur poids grandissant, ceux-ci vont chercher à infléchir ces priorités à leur profit, de façon à pérenniser, voire à accroître, leur rente. Pour cela, ils peuvent utiliser l'information privée dont ils disposent et à laquelle les pouvoirs publics n'ont pas accès. Ils peuvent aussi chercher à acheter les ministres et les fonctionnaires. La corruption sera d'autant plus importante que la rente à gagner est élevée. Lorsque les rentes sont très élevées et le zèle des fonctionnaires faible, la corruption peut même s'avérer être la forme d'investissement la plus rentable.
* L'adaptation des comportements des agents privés. Les agents ont intérêt à modifier leur comportement de façon à tirer le bénéfice maximum des interventions de l'Etat. Toutefois, l'expérience montre qu'avec le temps elle va toujours beaucoup plus loin que prévu et qu'elle finit par détourner de leur objectif initial même les meilleures mesures. Cette dynamique est intrinsèque à la nature des interventions de l'Etat qui ne peuvent infléchir le fonctionnement du marché qu'en distribuant des rentes, c'est-à-dire des revenus qui n'ont pas nécessairement de contreparties en termes d'effort économique réel ou de prise de risque effective. Mais, plus élevée est la rente, plus nombreux sont les agents qui ont intérêt à modifier leur comportement pour en bénéficier, ne serait-ce que marginalement. A quoi il faut ajouter que la rente tend à se diffuser au-delà des bénéficiaires immédiats, par le biais des variations de prix ou de salaires. C'est ainsi que plus une intervention est détournée de sa cible initiale, plus elle est distordante mais aussi plus elle devient difficile à supprimer en raison des droits acquis qu'elle crée.
* L'incapacité du secteur public à gérer convenablement le risque. L'Etat incarne, par nature, la permanence. Il dispose des moyens financiers de s'abstraire du risque économique grâce à sa capacité à lever l'impôt. De plus, ses interventions sont gérées dans le cadre très peu flexible du principe d'organisation bureaucratique qui laisse peu de place à l'imprévu. Enfin, les interventions publiques sont normalement construites en rupture par rapport aux signaux du marché. Si l'Etat intervient, c'est bien pour immuniser un pan de l'activité économique contre les incitations du marché, jugées inefficaces. Au départ, ceci ne pose pas de problème majeur : les objectifs sont clairs, surtout quand il s'agit de rattaper un retard économique important ; les risques encourus sont moins élevés dans le cadre d'une action collective que dans le cadre d'une action isolée ; le potentiel d'effets d'entraînement est important. Mais, au fur et à mesure du développement économique, les risques liés aux choix publics s'accroissent du fait de la baisse du rendement du capital, de la capture des pouvoirs publics et de l'adaptation des comportements. A l'inverse, les risques liés aux choix privés individuels diminuent grâce à la dynamique économique enclenchée par l'intervention publique et au potentiel de synergies qui en résulte. L'efficacité de l'intervention publique s'amenuise progressivement puis s'inverse.

Le vrai problème des interventions de l'Etat est de savoir y mettre fin à temps, avant d'avoir créé trop de droits acquis et introduit des distorsions trop importantes dans l'économie. Ceci n'est pas chose facile en raison tant des coûts sociaux et politiques liés à la suppression de tout dispositif public que des difficultés pour le marché à trouver rapidement un nouvel équilibre (22).
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