À boire et à manger
Le dilemme oméga
Krol, Ariane
Une nouvelle variété de glaces apparaîtra bientôt dans les congélateurs des supermarchés. Avec des parfums comme chocolat belge ou café, le fabricant québécois Crème glacée Lambert cible une classe de gourmands peu portés sur la napolitaine trois couleurs ni peut-être même sur sa traditionnelle bûche de Noël congelée. Cela dit, ce n'est pas la saveur qui retiendra l'attention des consommateurs, mais un petit mot suivi d'un trait d'union et d'un chiffre: oméga-3. Si vous trouvez étrange d'aller chercher des acides gras polyinsaturés censés protéger des maladies cardiovasculaires en mangeant un dessert contenant des gras saturés, faites-vous à l'idée. Après les vitamines, les minéraux et les fibres, les oméga-3 sont la prochaine coqueluche des industriels de l'alimentation, qui ont déjà commencé à en ajouter dans les oeufs, le lait et le jus d'orange. Nous n'avons encore rien vu.
Séduisant
Ce qu'on sait pour l'instant des oméga-3 est assez séduisant. " C'est à peu près le seul nutriment dans lequel on est en déficit au Québec et au Canada ", résume Eric Dewailly, chercheur à l'Institut national de santé publique du Québec. Certains groupes, les femmes par exemple, affichent des carences comme le fer ou le calcium, mais les oméga-3 semblent les seuls à faire défaut à une si large partie de la population.
Et si l'on se fie aux recherches présentées par une brochette de scientifiques de pointe réunis à Québec cette semaine, ce déficit aurait un impact important sur la santé publique.
Certaines maladies sont en effet plus répandues dans les populations dont les concentrations sanguines d'oméga-3 sont faibles ou présumées telles parce qu'on y consomme peu de poisson.
Cette carence expliquerait que la mortalité associée aux maladies ischémiques cardiaques soit deux fois plus élevée au Québec qu'au Nunavut, que le taux de mortalité coronarienne soit beaucoup plus important ici qu'au Japon, qu'on risque davantage de faire une dépression majeure au Canada qu'à Taiwan ou au Japon, et que les Canadiennes, les Australiennes et les Allemandes souffrent plus de dépressions postpartum que les Japonaises.
À l'inverse, les patients dont le sang contient plus d'acides gras de type oméga-3, à l'état naturel ou parce qu'on leur en a administrés sous diverses formes (huile de poisson, comprimés, repas de poisson), affichent des profils plutôt réjouissants: moins de risques de démence, de troubles bipolaires et de mort subite par maladie cardiovasculaire, moins d'arythmie cardiaque, de réactions inflammatoires et de triglycérides dans le sang, et un pouls plus lent.
" Ce n'est pas une substance miracle. C'est simplement que nous sommes tellement déficients que toutes nos cellules sont en manque donc fonctionnent mal. Dès que vous corrigez ce déficit, vous corrigez les dysfonctions cellulaires et par conséquent, c'est rare que les gens n'en voient pas une espèce de bénéfice ", explique Michel de Lorgeril, cardiologue nutritionniste au CNRS en France.
Pas de consensus
Par contre, la traduction des études scientifiques en équivalents huile de lin, boules de crème glacée ou gélules autoprescrites est encore loin de faire consensus dans la communauté scientifique. De plus, les doses recommandées par des organismes comme l'American Heart Association ne tiennent pas compte des interactions favorables (sélénium, vitamines C et E, zinc, etc.) et défavorables (oméga-6, mercure, pesticides, gras trans et saturés) aux oméga-3. " Il y a quand même dans la population des gens qui ne sont pas malades et qui s'intéressent à la prévention. Je ne me sens pas du tout à risque de recommander une augmentation de la consommation de poisson ", souligne toutefois Éric Dewailly.
Pourquoi pas? Même si deux repas de poisson par semaine ne suffisaient pas à combler cette fameuse carence, présumée rappelons-le, en oméga-3, ils amèneraient bien d'autres choses à table. C'est une habitude plus difficile à intégrer qu'une nouvelle variété d'oeufs, de produit laitier ou de supplément alimentaire, mais ô combien plus gratifiante au point de vue culinaire. Essayez d'impressionner une date avec un verre de jus d'orange à l'huile de lin, pour voir...
Les nutritionnistes croquent la pomme
Girard, Mario
Dans le cadre de la Journée des diététistes et nutritionnistes du Québec, qui avait lieu hier, on a procédé à l'attribution des fameux prix Pommes récompensant ou critiquant la nature de certains messages publicitaires en matière d'alimentation.
Une Pomme dorée a d'abord été remise à la compagnie Sunkist pour sa publicité imprimée suggérant l'idée qu'un fruit puisse être aussi bon qu'une sucrerie. Dans la catégorie télévision, une publicité de Becel a été récompensée pour sa façon de montrer l'importance des petits gestes pour la santé. Les jus de fruits Welch et les céréales Spécial K étaient finalistes dans ces deux catégories.
Moins glorificatrices que les précédentes, les Pommes gâtées dénoncent le flou véhiculé par certains annonceurs autour du concept de la santé ou de la valeur nutritive d'un produit.
Ainsi, Burger King reçoit ce " prix " pour une série de publicités télévisées du X-Treme Whopper qui encensent les grosses portions. L'un des messages montre notamment un homme souhaitant se faire agrandir la bouche par un chirurgien esthétique afin de pouvoir mordre dans le gigantesque hamburger. Subway et les gâteaux Jos Louis de Vachon faisaient partie des finalistes dans cette catégorie.
Du côté des publicités imprimées, la marque Splenda a reçu une Pomme gâtée pour avoir suggéré l'idée que ce produit peut être utilisé en tout temps, et que les enfants n'ont pas à craindre cet édulcorant. Le produit à tartiner Nutella, les pizzas Cuisine Minceur de Stouffers et les chaussons Hot Stuffs de Schneiders étaient également en nomination.
Laissées en plan depuis quelques années, les Pommes gâtées effectuent cette année un retour en force. " On a tendance à croire que les bonnes habitudes sont de plus en plus présentes chez les gens. C'est vrai pour une certaine tranche de la société, mais il y a encore beaucoup à faire, dit Paul-Guy Duhamel, président de l'Ordre professionnel des diététistes du Québec. Nous ramenons ce prix pour démontrer au public les dangers d'une mauvaise alimentation. Il y a malheureusement une perte de culture et de connaissances. Ajoutez à cela un environnement publicitaire parfois malsain contre lequel il faut lutter. "
Soumis par 200 nutritionnistes et diététistes, les messages publicitaires ont subi une scrupuleuse épuration avant le choix final des lauréats par un jury formé de membres de l'Ordre et d'un spécialiste de la publicité.