Si les
Etats Unis suivaient ce conseil, nous devrions bombarder le Salvador, le
Guatemala,
l'Indonésie, Damas, Tel Aviv, Le Cap, la Turquie, Washington et une liste
interminable
d'autres États, tous coupables d'occupation illégale et d'agression ainsi que
de sérieuses
violations des droits de la personne. Quand on analyse précisément tous ces
exemples, on
sait très bien que l'invasion et les atrocités commises par Saddam Hussein
sont du même
ordre. Et que ce ne sont pas les pires. Pourtant personne n'arrive à cette
conclusion.
Pourquoi? La réponse est simple: parce que personne n'en sait rien.
Dans un système de propagande efficace à 100 %, personne ne saurait à quoi je
fais
allusion quand je dresse cette liste d'exemples. Mais pour peu que l'on ait
pris la peine de
se renseigner, on constate que ces exemples sont tout à fait appropriés.
Prenons un cas qui a presque réussi à faire surface pendant la guerre du
Golfe. En février,
au beau milieu de la campagne de bombardements, le gouvernement libanais a
demandé
qu'Israël se conforme à la résolution 425 du Conseil de sécurité des Nations
unies qui
exigeait le retrait immédiat et inconditionnel des troupes israéliennes du
Liban. Cette
résolution date du mois de mars 1978. Depuis, deux autres résolutions ont été
adoptées;
elles réclament le retrait immédiat et inconditionnel d'Israël du territoire
libanais. Bien
entendu, Israël ne s'y conforme pas parce que les États Unis soutiennent cette
occupation.
Pendant ce temps, la terreur règne dans le sud du Liban. Il s y trouve de
vastes chambres
de torture dans lesquelles se déroulent des choses terrifiantes. Le sud du
Liban est utilisé
comme base pour attaquer d'autres parties du pays. Depuis 1978, le Liban a été
envahi, la
ville de Beyrouth a été bombardée, près de vingt mille personnes ont été
tuées, dont 80 %
de civils, les hôpitaux ont été détruits et un régime de terreur, de pillages
et de vols s'est
installé. Pas de problème: les États Unis ont appuyé cela. Ce n'est là qu'un
exemple parmi
d'autres. Les médias n'en ont rien dit et on n'y a pas abordé la question de
savoir si Israël
et les États Unis devaient appliquer la résolution 425 ou une autre, personne
n'a réclamé
le bombardement de Tel Aviv, alors que, selon les principes défendus par les
deux tiers
de la population, nous devrions le faire. Après tout, nous sommes devant un
cas
d'occupation illégale et de sérieuses violations des droits de la personne. Ce
n'est qu'un
exemple, il y en a de bien pires. L’invasion du Timor Oriental par l'Indonésie
a causé la
mort de près de deux cent mille personnes. Tous les exemples donnés plus haut
semblent
insignifiants en comparaison de ce dernier. Les États Unis ont apporté leur
soutien à cette
invasion qui se poursuit grâce à l'important soutien militaire et diplomatique
de notre
pays. Et on pourrait sans fin continuer sur ce thème.
CHAPITRE 9 : La guerre du Golfe
Le dernier exemple évoqué au chapitre précédent illustre bien comment
fonctionne un
système de propagande efficace. La population peut croire que, lorsque nous
avons
recours à la force contre l'Irak et le Koweït, c’est parce que nous appliquons
le principe
selon lequel il faut combattre par la force toute occupation illégale de
territoire et toute
violation des droits de la personne. La population ne se rend pas compte de ce
qui se
passerait si ce principe était appliqué à la lettre à la conduite des États
Unis. Ici, l'exploit
de la propagande est tout à fait spectaculaire.
Considérons un autre cas. Si l'on prend la peine d'analyser la couverture de
presse de la
guerre du Golfe à compter du mois d'août 1990, on ne peut manquer de constater
que
certains n’ont pas eu voix au chapitre. Par exemple, il existe un mouvement
d’opposition
démocratique irakien, un mouvement très courageux et dont l'importance est
loin d'être
négligeable. Bien évidemment, ce mouvement est en exil, car il ne pourrait
survivre en
Irak. Il est surtout implanté en Europe et regroupe des banquiers, des
ingénieurs, des
architectes, etc. Ce sont des gens qui s'expriment facilement, dont les
revendications sont
claires et qui ne manquent pas de les faire connaître. Selon des informations
émanant de
l'opposition démocratique irakienne, plusieurs d'entre eux se sont rendus à
Washington au
mois de février 1990, quand Saddam Hussein était encore le bon ami et l'allié
commercial
de George Bush, afin d'y faire valoir la cause de l'opposition démocratique
irakienne et
d'obtenir que l'on soutienne leur volonté d'instaurer une démocratie
parlementaire en Irak.
Ils ont essuyé une rebuffade, purement et simplement, car les États-Unis
n'avaient aucun
intérêt à prendre en considération leurs revendications. Il n'y a pas eu de
réaction du côté
des médias.
À compter du mois d'août, il devenait un peu plus difficile de passer sous
silence
l'existence de l'opposition démocratique irakienne. En août, les États-Unis se
sont soudain
retournés contre Saddam Hussein après lui avoir accordé leurs faveurs pendant
des
années. L'opposition démocratique devait forcément avoir une opinion sur les
événements en cours. Tous les démocrates irakiens en exil auraient été ravis
de voir
Saddam Hussein destitué et écartelé. Ce sont leurs frères qu'il avait
assassinés, leurs
soeurs qu'il avait torturées et eux-mêmes qu'il avait contraints à l'exil. Ils
avaient combattu
la tyrannie de Saddam Hussein pendant toute la période où Ronald Reagan et
George
Bush le chérissaient. Qu'a t on fait de leur opinion? Il suffit de consulter
la presse
américaine pour constater le peu d'intérêt accordé à l'opposition démocratique
irakienne
entre le mois d'août 1990 et le mois de mars 1991. Il est impossible de
trouver une seule
ligne qui lui soit consacrée. La raison ne réside pas dans leur silence. Ils
ont formulé des
déclarations, des propositions, des demandes ainsi que des exigences qui
ressemblent en
tout point, si on en fait l'analyse, à celles du mouvement américain pour la
paix. Ils
étaient contre Saddam Hussein, mais ils s'opposaient à la guerre contre
l'Irak. Ils ne
voulaient pas que leur pays soit détruit. Ce qu'ils désiraient, c'était une
solution pacifique.
Ils savaient parfaitement qu'une telle solution était possible. Mais ce point
de vue était
inacceptable pour les États-Unis, par conséquent, on l'a exclu. Pas une seule
bribe
des propos de l'opposition démocratique irakienne n'a été portée à la
connaissance
de la population. Si l'on veut s'informer à ce sujet, il faut consulter la
presse allemande
ou la presse britannique. Bien qu'elles aient peu traité de cette opposition,
elles sont
toutefois moins étroitement contrôlées que la presse américaine et en ont dit
un peu plus.
Cet exploit de la propagande est tout à fait impressionnant, car non seulement
l'opinion
des démocrates irakiens a été complètement exclue, mais encore personne n'a
remarqué
ce fait. Voilà qui est fort intéressant. Il faut qu'une population soit
vraiment
profondément endoctrinée pour ne pas remarquer le silence de l'opposition
démocratique irakienne, pour ne pas se demander la raison de ce silence et
pour ne pas
trouver la réponse, évidente: les démocrates irakiens avaient leurs idées
propres, ils
étaient en accord avec le mouvement international pour la paix et par
conséquent, ils ont
été exclus.
Examinons les arguments présentés pour justifier guerre, car on a tenté de la
justifier. Il
ne faut jamais récompenser les agresseurs et il est obligatoire de
contrecarrer toute
agression par un recours rapide à la violence. Tels ont été les arguments
invoqués pour
justifier la guerre. Il n'y en pas eu d'autres. Ces arguments peuvent-ils
vraiment justifier
cette guerre? Les États-Unis appliquent-ils réellement le principe selon
lequel on ne doit
pas récompenser les agresseurs et qu'il faut contrecarrer toute agression par
un recours
rapide à la violence ? Les faits qui démontrent le contraire sont si nombreux
et si évidents
que n'importe quel adolescent qui sait lire et écrire peut réfuter ces
arguments en moins
de deux minutes. Cependant, ils n'ont jamais été réfutés. Dans les médias,
parmi les
commentateurs et les critiques libéraux, parmi les gens qui ont témoigné
devant le
Congrès, nous chercherions vainement un seul exemple d'une personne qui se
soit
demandé si les États-Unis appliquent ce principe. Les États-Unis se sont-ils
opposés à
leur propre agression contre le Panama en réclamant le bombardement de
Washington
afin de contrecarrer l'agression? En 1969, lorsque l'occupation de la Namibie
par
l'Afrique du Sud a été déclarée illégale, les États-Unis ont-ils imposé des
sanctions
touchant l'approvisionnement de denrées alimentaires ou l'acheminement de
médicaments
? Ont-ils déclaré la guerre ? Ont-ils bombardé Le Cap? Non, ils ont mené une «
diplomatie tranquille » pendant vingt ans. Ce n'était pas très joli pendant
ces vingt ans.
Pendant les seules années de l'administration Reagan et de l'administration
Bush,
l'Afrique du Sud a tué environ un million et demi de personnes dans les pays
environnants. Mais oublions ce qui s'est passé en Afrique du Sud et en
Namibie. D'une
certaine manière, cela n'a pas fait vibrer nos cordes sensibles. Nous avons
maintenu notre
« diplomatie tranquille » et avons fini par récompenser largement les
agresseurs. Nous
leur avons concédé le principal port de la Namibie et beaucoup d'avantages qui
tenaient
compte de leur désir d'assurer leur propre sécurité. Où est ce principe que
nous
défendons? Encore une fois, c'est un jeu d'enfant de montrer que nos raisons
d'entrer en
guerre ne reposaient nullement sur ce principe, parce que nous ne l'appliquons
pas.
Personne n'a essayé d'en faire la preuve et c'est ce qu'il importe de bien
garder à l'esprit.
Nul ne s'est donné la peine de tirer la conclusion qui en découle: aucune
raison n'a été
donnée pour justifier notre entrée en guerre. Absolument aucune. Aucune raison
qu'un
adolescent qui sait lire et écrire n'aurait pu réfuter en deux minutes.
Ce fait est caractéristique d'une culture totalitaire. Cela devrait nous
effrayer d'être un
pays totalitaire au point d'entrer en guerre sans qu'aucune raison ne soit
fournie et
sans que personne ne remarque la réclamation du Liban ou ne s'en soucie. C'est
tout à fait
remarquable.
Juste avant que les bombardements ne commencent à la mi-janvier, un sondage
important
du Washington Post et d'ABC a révélé un fait intéressant. Dans ce sondage, on
demandait
aux gens s'ils appuieraient une proposition irakienne de se retirer du Koweït
à la
condition que le Conseil de sécurité examine la question du conflit
israélo-arabe. Deux
personnes sur trois étaient favorables à cette idée. La même opinion
prédominait dans le
monde entier, ainsi que dans les rangs de l'opposition démocratique irakienne.