En France, elle ne sera vraiment adoptée qu'au XIXe siècle, le peuple restant très attaché à son pain, qu'il peut tremper dans l'incontournable soupe qui constitue l'essentiel de son « souper ». Une fois bien acceptée, par contre, elle prendra une place de plus en plus grande dans l'alimentation. Au point de constituer, dans certaines cultures, l'unique aliment, comme ce fut le cas dans l'Irlande du milieu du XIXe siècle, où le paysan moyen en consommait près de 8 kg par jour. Des chercheurs n'hésitent d'ailleurs pas à lui attribuer l'explosion démographique qui a entraîné la révolution industrielle dans son sillage. D'abord parce que, grâce à elle, les famines jusqu'alors fréquentes avaient disparu. Ensuite, parce que sa production à grande échelle a entraîné des surplus permettant de nourrir un nombre accru de bouches, tant dans les campagnes que dans les villes, en plus de constituer une excellente nourriture pour le bétail et la volaille.
Aujourd'hui, la pomme de terre est, après le blé, le riz et le maïs, la culture la plus importante sur la planète. La création d'un important centre de recherches en Amérique du Sud dans les années 1970 a permis de mettre au point de nombreuses variétés de même que des techniques de culture adaptées à divers climats, notamment ceux des tropiques humides de l'Afrique et de l'Asie, si bien qu'on la cultive désormais dans des régions où il n'était pas envisageable de le faire auparavant. Très digeste, riche en nutriments, elle représente en outre pour les paysans de ces pays un revenu non négligeable, ce qui contribue encore à améliorer leur qualité de vie.
Par contre, dans nos contrées, la consommation de pommes de terre fraîches ne cesse de diminuer au profit de celle de produits dérivés - croustilles, frites surgelées - qui, à cause des procédés de transformation, sont nettement moins nutritifs et beaucoup plus gras.
Usages culinaires
Bien choisir
Superstitions
Comme elle appartient à la famille des solanacées, bien pourvue en plantes toxiques et hallucinogènes (belladone, mandragore, datura), et qu'elle partage avec elles certains traits communs, la pomme de terre sera l'objet de superstitions. On l'accusera de provoquer la lèpre et d'exciter Vénus (c'est-à-dire d'éveiller les sens).
Acheter de préférence des variétés à chair jaune, rouge ou bleue, qui sont plus riches en nutriments que la pomme de terre blanche. Il faudra peut-être aller au marché pour les trouver, car elles sont encore rares dans les épiceries.
Rechercher les variétés à petits tubercules allongés, telles la Ratte, la German Fingerling, la Banane, la pomme de terre virgule, etc. Leur goût est plus fin, et on peut les servir entières sans surcharger l'assiette.
Apprêts culinaires
* Dans les soupes : pendant longtemps, en Europe, la pomme de terre a été essentiellement consommée de cette façon. La vichyssoise, à base de poireaux, pommes de terre, bouillon de poulet et crème (ou yogourt), reste un classique. Servir chaude ou froide, garnie de ciboulette ou de cresson ciselé. À cause de sa richesse en amidon, la pomme de terre permet de donner du velouté à n'importe quelle soupe un peu trop claire.
* En purée, avec du beurre, du lait ou de la crème, le zeste d'un citron, de l'ail et du persil. Ou avec des échalotes et un fromage Boursin aux herbes. Ne pas hésiter à lui adjoindre d'autres légumes pilés : carotte, navet, céleri-rave...
* Au four, en robe des champs, farcie de crème sûre et de ciboulette hachée. Ou à la hongroise, farcie d'une sauce au yogourt, bouillon de poulet, paprika, sel et poivre.
* Découpées en bâtonnets de diverses grosseurs ou en rubans et mises à haute friture : les frites. Une solution moins grasse est de les rôtir au four, après les avoir arrosées d'un peu d'huile d'olive.
* Chips ou croustilles : une fois n'est pas coutume, tailler des pommes de terre en fines rondelles, si possible avec une mandoline, les faire tremper dans l'eau froide une dizaine de minutes, les égoutter et les sécher dans un linge, puis les frire. Les égoutter sur un papier absorbant, saler et servir chaudes ou froides. Un mélange de chips blanches, rouges, bleues et jaunes sera du plus bel effet à l'apéro, en plus d'apporter aux convives quelques pigments santé.
* À la crème : les cuire à l'eau salée, puis les peler. Les couper en rondelles épaisses, les mettre dans un sautoir, mouiller à couvert de crème bouillante, assaisonner et réduire la crème en travaillant les pommes à la spatule en plein feu. Au dernier moment, ajouter un peu de crème crue.
* En salade à la parisienne : les cuire à l'eau salée, les émincer chaudes et les mariner au vin blanc sec à raison d'environ 300 ml de vin par kilo de pommes de terre. Au dernier moment, assaisonner à l'huile et au vinaigre, et saupoudrer de persil ou de cerfeuil haché. On peut créer des dizaines de salades à base de pommes de terre. Avec des haricots verts, par exemple, ou des pissenlits et des lardons, ou encore, des tomates et du thon.
* Les râper crues et les façonner en galettes que l'on fera cuire comme des crêpes dans de l'huile d'olive ou du beurre.
Aux États-Unis, on les fait rissoler (hash brown) après les avoir fait cuire à l'eau salée. Bien les égoutter et les sauter au beurre, à la poêle. Assaisonner de sel et de poivre. Les façonner en forme de chausson et les faire colorer. Ajouter, si désiré, des oignons hachés revenus dans du beurre.
En Europe, il est de coutume de mélanger de la morue émiettée et de l'ail à de la purée de pommes de terre : c'est la brandade.
Au Canada, on prépare une tourtière à base de saumon et pomme de terre, tandis qu'en Italie, la tourte est simplement composée de pomme de terre, parmesan, ricotta ainsi que d'un oeuf battu. Une variante, la torta verde, comprend de la bette à carde, et la feta remplace le parmesan.
En Inde, on fait cuire les tubercules avec la viande et d'autres légumes dans un bouillon fortement épicé. Ils entrent également dans la confection des samosas et pakoras, beignets que l'on peut servir avec une sauce au yogourt. Le curry de pois verts et de pommes de terre est un autre classique.
Conservation
Garder les pommes de terre à l'obscurité, au frais et au sec, mais éviter le réfrigérateur, les températures froides ayant pour effet de transformer l'amidon en sucre, un trait peu désirable du point de vue culinaire.
Jardinage biologique
L'idéal pour la culture de la pomme de terre est une terre riche dont le pH est relativement bas.
De nombreuses maladies affectent cette plante, les plus dévastatrices sous nos climats étant le mildiou et la gale. La première, qui fut la cause de la Grande famine en Irlande, est présentement en recrudescence et elle constitue une menace même dans les potagers familiaux, généralement mieux protégés contre les maladies. Pour la prévenir, on recommande de ne planter que des tubercules certifiés sains provenant de variétés résistantes, d'irriguer le sol en évitant d'arroser le feuillage, de pratiquer une rotation de quatre ou cinq ans (cela vaut aussi pour les tomates qui sont très sensibles à la maladie); de bien butter les plants et d'ajouter un paillis pour isoler le plus possible le feuillage des tubercules; de faire toutes les semaines une application foliaire de bouillie bordelaise, un fongicide accepté en agriculture biologique; et enfin, de détruire les plants gravement affectés de même que les feuilles des plants moins affectés en les enterrant profondément, le plus loin possible du jardin.
Les mêmes mesures de protection s'appliquent pour la gale, à ces différences près qu'on ne traite pas à la bouillie bordelaise et qu'on veille à garder le sol constamment humide durant les premières semaines de la formation des tubercules. Éviter tout fertilisant ou amendement ayant pour effet d'alcaliniser le sol : fumier frais, particulièrement le fumier de volaille, chaux ou cendres. Au besoin, abaisser le pH en incorporant du soufre au sol l'année précédant la culture.
Certaines variétés de pomme de terre sont sensibles à la pourriture du chou. Il vaut donc mieux les éloigner de celui-ci dans le jardin.
Pour contrôler le doryphore, principal insecte s'attaquant à la pomme de terre, on peut recouvrir les plants d'un fin voilage, ce qui empêche l'adulte de se poser et de pondre ses oeufs sur les plants. Si, en culture commerciale, cette technique est trop coûteuse, elle est non seulement abordable, mais c'est la plus écologique pour le potager familial. On n'emploiera l'huile de margousier (neem) et la roténone (deux insecticides végétaux) qu'en cas d'absolue nécessité, car ils ne sont pas sélectifs et détruisent les insectes utiles.
Écologie et environnement
La Grande famine d'Irlande
En Irlande, où la pomme de terre était de loin la culture la plus importante, l'épidémie de mildiou frappa pendant quatre années consécutives (1845-1848). Les Irlandais, qui ne subsistaient pratiquement que grâce au tubercule, se retrouvèrent sans ressources. L'entière dépendance de ce peuple à l'égard de la pomme de terre, couplée à l'indifférence des autorités britanniques vis-à-vis de sa misère et de sa souffrance, transforma cette catastrophe écologique en tragédie humaine. L'aliment qui avait tant combattu les famines était devenu lui-même source de famine, si bien qu'un million d'Irlandais mourut de faim tandis qu'un autre million émigra, principalement aux États-Unis.
Pendant les 250 années qui ont suivi l'introduction de la pomme de terre en Europe, les variétés que l'on y a cultivées provenaient d'un pool génétique extrêmement réduit. Ce qui représentait une situation potentiellement explosive, comme certains l'avaient prédit bien avant la « Grande famine d'Irlande », les risques d'attaques par les maladies ou les insectes étant inversement proportionnels à l'étendue de la diversité. Il arriva donc ce qui devait arriver : lorsque le mildiou, une maladie fongique, arriva en Europe après avoir frappé aux États-Unis, il ne rencontra nulle résistance dans cette population végétale génétiquement uniforme.
Préserver la biodiversité est donc incontournable si l'on veut être en mesure de faire face aux maladies et insectes, de plus en plus virulents, qui attaquent la pomme de terre. Et pourtant, cette diversité risque de s'éroder dans son centre même d'origine à la suite de l'introduction de quelques cultivars à haut rendement qui remplacent graduellement les nombreuses variétés locales, moins productives. Jusqu'à tout récemment, il n'était pas rare de voir les Amérindiens cultiver sur une même butte cinq variétés différentes. De plus, on laissait volontiers les variétés cultivées se mêler aux variétés ou espèces sauvages poussant à proximité des champs, histoire de favoriser la création de nouveaux cultivars, dont certains, avec un peu de chance, pourraient présenter une résistance naturelle élevée contre l'un ou l'autre des ennemis de la pomme de terre.
Section Profil santé
Recherche et rédaction : Hélène Baribeau, nutritionniste
Autres sections
Recherche et rédaction : Paulette Vanier
Fiche révisée le : 25 janvier 2005
Références
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